Concentration des médias : divisés, les sénateurs s’accordent malgré tout sur les préconisations du rapport
Après 6 mois de travaux et 48 auditions, la commission d’enquête du Sénat sur la concentration des médias a remis 32 propositions ce jeudi. Entre la droite sénatoriale et le rapporteur socialiste, David Assouline, un conflit est apparu sur la conduite des travaux, en particulier lorsqu’il s’est agi d’aborder la question de la chaîne CNews de Vincent Bolloré.
Pendant six mois les élus ont travaillé sur ce phénomène de concentration des médias qui n’est certes pas nouveau. « Le paysage audiovisuel français se caractérise par une double spécificité : des industriels propriétaires de grands groupes de médias et la présence de deux concentrations publiques : France Télévisions, qui regroupe 5 chaînes de télévision, et Radio France, composé de 5 stations à diffusion nationale », rappelle le rapport.
Un administrateur pour veiller à l’indépendance des rédactions
Mais l’assèchement des recettes publicitaires par les Gafam ces dernières années, a poussé les médias français à la concentration, en témoigne les justifications au projet de fusion d’M6 et TF1 émis par leurs dirigeants respectifs devant la commission. Un mouvement qui n’est pas sans conséquences sur leur ligne éditoriale. « L’hyper-concurrence entre les chaînes, leur difficulté à trouver un équilibre financier et à le préserver, ainsi que leur exposition inégale ont favorisé une évolution vers un modèle privilégiant les débats sur les reportages et les directs sur le terrain », relève le rapport de David Assouline.
Parmi les propositions qui ont fait consensus entre les élus, on retient la création d’un « administrateur indépendant » au sein du Conseil d’administration des groupes de médias. Il aura pour mission de veiller à l’indépendance des rédactions en prévenant les conflits d’intérêts qui pourraient se présenter au sein de ces groupes. La nomination de cet administrateur serait soumise à un avis consultatif de l’Arcom.
« Le journalisme, ce n’est pas une activité aux ordres d’un patron » avait martelé Christophe Deloire, le directeur général de Reporters sans frontières (RSF) devant la commission.
De l’autre côté, Bernard Arnault, le PDG de LVMH, propriétaire des Echos, du Parisien ou des radios de musique classique avait logiquement émis un avis contraire affirmant : « Il faut que l’actionnaire puisse réagir au changement de ligne. Je n’ai pas envie de financer un journal qui devienne le support de l’extrême droite ou de l’extrême gauche ». Cet administrateur indépendant serait également prévu au sein des sociétés de l’audiovisuel public. Il devra veiller à l’impartialité de l’information et d’en rendre compte devant le Parlement.
« N’autoriser la mutation ou le licenciement du président d’une SDJ qu’avec l’accord d’une organisation professionnelle de journalistes »
Autres mesures préconisées par le rapport : « Organiser en 2022 un grand débat au Parlement » avec le gouvernement sur les « orientations qu’il envisage suite au rapport de la commission d’enquête » ; « Accorder une bonification des aides à la presse aux titres respectant de manière volontaire certains critères permettant de mieux assurer l’indépendance des rédactions » ou encore « n’autoriser la mutation ou le licenciement du président d’une SDJ (société des journalistes) qu’avec l’accord d’une organisation professionnelle de journalistes ou, à défaut, d’une commission paritaire qui statue en appel ».
Comme nous l’indiquions mercredi, l’adoption de ce rapport a été le fruit de 6 heures de réunion et d’échanges parfois « très tendus » entre la droite sénatoriale et la gauche du Sénat. Dès le début des auditions, un désaccord de fond est apparu sur l’objet même de la commission d’enquête : la concentration des médias. Pour le rapporteur socialiste David Assouline, elle est à la source d’un affaiblissement du pluralisme dans les médias. Pour les sénateurs de droite, elle est au contraire défendue comme seule voie possible pour faire face au poids des GAFAM. Malgré cette division, le rapport a été adopté à l’unanimité. Certaines propositions ont été en partie modifiées et les quatre premiers chapitres du rapport ont été par endroits complétés ou précisées sur certains points.
La droite sénatoriale s’est notamment farouchement opposée à certaines propositions initiales, telle que la mise sous tutelle par l’ARCOM des comités d’éthique, ou encore la création d’un droit de véto des rédactions sur la nomination d’un nouveau directeur de l’information. Une mesure directement inspirée du journal Le Monde qui applique une stricte séparation entre le pouvoir actionnarial et le pouvoir éditorial. Son « pôle d’indépendance » lui confère le « droit d’agrément » pour l’arrivée de nouveaux actionnaires et pour la nomination du directeur de la rédaction.
En conférence de presse, ce jeudi David Assouline a évoqué avoir ressenti « une chape de plomb » lors de ses travaux. « J’ai compris assez vite pourquoi car le politique est relativement tributaire des médias. J’ai ressenti une inhabituelle dureté dans nos débats ».
« Ce rapport existe. Il sera une référence […] Je pense que ça peut servir aux universitaires, aux citoyens, à ceux qui vont alimenter le débat public, à vous, journalistes », ajoute-t-il. Quant au débouché législatif de ce rapport, le président de la commission d’enquête, Laurent Lafon (centriste) a renvoyé prudemment « à l’initiative parlementaire de chacun ».
« Beaucoup de bruit pour rien » pour la droite sénatoriale
Dans un communiqué publié ce jeudi, le sénateur LR, Jean-Raymond Hugonet ne ménage pas ses critiques sur la manière dont les travaux ont été menés par son collègue socialiste. Dénonçant « Beaucoup de bruit pour rien », il considère que les auditions ont « permis d’établir que la concentration des médias n’était pas excessive en France et que le pluralisme de l’information était pleinement respecté ». « Les sénateurs du groupe Les Républicains regrettent que la conduite des auditions par le rapporteur ait le plus souvent eu pour objet de mettre en accusation les responsables des grands groupes de médias français au lieu de s’interroger sur les archaïsmes d’une législation qui freine l’émergence des groupes de médias français de taille européenne », écrit-il.
Sous couvert d’anonymat, un sénateur LR confirme à publicsenat.fr que l’ambiance n’était pas forcément très amicale. « Il n’en ressort pas grand-chose de ce rapport. C’est un coup politique qui fait flop. C’est un peu un non-événement. L’éléphant accouche d’une souris et l’accouchement fut difficile », cingle-t-il.
Interrogé sur le communiqué de son collègue, David Assouline regrette de voir que « certains essayent de faire passer leurs positions personnelles pour celles de la commission d’enquête ». « Certains sont rentrés dans cette commission d’enquête en pensant qu’il n’y avait pas de problème, pas d’atteinte au pluralisme ou de tentative d’ingérence (des actionnaires sur les rédactions). S’ils continuent de le dire, ça ne m’étonne pas. Mais ce n’est pas ce que dit le rapport. Et c’est le rapport du Sénat pas celui de tel ou tel collègue ».
Toutefois, suffisamment rare pour être relevé, figurent en annexe du rapport, les contributions et les propositions de chaque groupe politique du Sénat. Le groupe communiste a, par exemple jugé le « diagnostic utile » « mais les recommandations décevantes ». Il formule des propositions en faveur d’une législation anti-concentration et en soutien pluralisme de la presse.
Le point de discorde a atteint son apogée lorsqu’il s’est agi d’aborder la chaîne du groupe Bolloré, Cnews. Tout un chapitre du rapport lui est consacré. David Assouline considère qu’il s’agit d’une chaîne d’opinion. Or, selon la convention signée par la chaîne et le CSA pour sa diffusion TNT, CNews est définie comme une chaîne « consacrée à l’information » et la soumet à des obligations déontologiques, plus particulièrement de « pluralisme d’expression des courants de pensée et d’opinion ». « CNews est une chaîne de débat » a affirmé Vincent Bolloré devant la commission. Ce que « pense » également le groupe LR. Parmi ces propositions, les sénateurs ont finalement convenu d’inscrire dans la loi sur l’audiovisuel du 30 septembre 1986, « le respect de la pluralité de points de vue et des sensibilités dans la présentation des débats ».
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