Conditions de détention : Dominique Simonnot évoque une « humiliation » pour la France

Conditions de détention : Dominique Simonnot évoque une « humiliation » pour la France

La nouvelle contrôleure générale des lieux de privation de liberté, nommée en octobre 2020, était auditionnée mardi 22 juin par la commission des lois, dans le cadre de la remise de son rapport annuel.
Public Sénat

Par Jules Fresard

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Des locaux de garde à vue dont l’odeur est insoutenable au point de prendre à la gorge, car la chasse d’eau des toilettes est cassée alors que trois hommes y sont entassés. Un gardien de prison agressé à l’eau bouillante par un détenu souffrant de troubles mentaux, dont la place devrait être en institution spécialisée. Des centres éducatifs fermés pour enfants et adolescents embauchant d’anciens tenanciers de boîtes de nuit en qualité d’éducateurs, face aux difficultés de recrutement.

Auditionnée par la commission des Lois à l’occasion de la publication du rapport annuel de l’autorité administrative dont elle est à la tête depuis octobre 2020, Dominique Simonnot est venue au Palais du Luxembourg avec un inventaire de situations effarantes qu’elle a pu constater depuis sa prise de fonction. Et force est de constater qu’en 2021, en France, bon nombre de lieux de privation de liberté n’offrent pas de conditions d’accueil dignes. « Je viens ici après avoir relu le rapport formidable du Sénat publié en 2000, Prisons, une humiliation pour la République. Je me dis, comment se fait-il que 20 ans plus tard, on en soit toujours là. On s’est habitués à cette humiliation », s’est émue dans son propos introductif, l’ancienne journaliste du Canard Enchaîné.

Un retour en force de la surpopulation carcérale

Une humiliation concernant la surpopulation carcérale d’abord. Car bien que le début de la crise sanitaire ait entraîné une diminution des taux d’occupation des établissements pénitentiaires, « la population carcérale a recommencé à augmenter depuis septembre dernier », a souligné Dominique Simonnot, avant de continuer : « On a laissé le flux remonter de plus belle, il y a trop d’entrées pas assez de sorties, quelque chose ne va pas ». D’autant que comme l’a rappelé François-Noël Buffet, président de la commission des Lois, sur ce sujet, c’est le Sénat qui s’est avant tout mobilisé sur le sujet face à l’inaction du gouvernement.

Preuve en est, en mars, c’est à l’initiative de la Haute Assemblée qu’une proposition de loi permettant aux personnes placées en détention de faire respecter le droit à être incarcéré dans des conditions dignes avait été adoptée. Le gouvernement, auquel le Conseil Constitutionnel avait pourtant demandé d’agir sur la question, n’avait pas jugé bon de légiférer dans les temps.

Pourtant, si l’on en croit Dominique Simonnot, d’immenses progrès sont à faire si l’on entend offrir aux détenus des conditions de détention dignes. « Avant, quand j’étais journaliste, j’écrivais qu’ils vivaient à trois dans 9 m2. En réalité, ils vivent à trois dans 4,2 m2, car il faut retrancher l’emprise des deux lits superposés, le coin toilettes… » a souligné la contrôleure générale, jugeant au passage que les conditions de détention n’ont pu être qu’aggravées avec la crise sanitaire, avec pour les détenus, « 23 heures sur 24 dans la cellule ».

Poussant le sénateur socialiste Jean-Pierre Sueur à se demander, « comment arriver à ce que l’on comprenne dans ce pays que la surpopulation n’est pas une fatalité, que des peines alternatives plus utiles existent ».

Des conditions sanitaires loin d’être respectées

En évoquant la crise sanitaire, Dominique Simonnot a également tenu à souligner l’absence dans certains lieux de tout respect des gestes barrières. Elle a notamment pu visiter un commissariat où les locaux de garde à vue, qui se présentaient sous la forme d’un mobile home, étaient à des années-lumière des considérations sanitaires qu’a apporté la crise du covid.

« À côté d’un micro-ondes absolument immonde, une horrible odeur m’a prise à la gorge car la chasse d’eau ne marchait pas et que trois types vivaient là-dedans. On s’assoit sur le matelas et l’on se demande ce que l’on va choper. Mais surtout, j’ai vu de vieilles couvertures dégoûtantes, entassées. C’étaient les couvertures des gardés à vue, qui n’avaient pas été lavées depuis 15 jours. Et cela, c’était en décembre, quand les restrictions sanitaires étaient plus strictes qu’aujourd’hui ».

Même constat du côté des centres de rétention, où sont détenus les immigrés sans papiers. Dominique Simonnot y évoque l’absence de gel hydro alcoolique dans les établissements destinés aux personnes cas contact, les surveillant les accusant de les boire ou d’y mettre le feu. Elle a d’ailleurs interrogé au passage le coût de ces centres. « La cour des Comptes estime à 620 € par jour le prix d’un jour de détention. Je comprends que le côté punitif s’applique également aux étrangers sans papiers, mais le prix à payer est un peu dur à gober » a-t-elle alerté.

La crise des vocations

Autre souci propre à ces lieux qui connaissent une crise protéiforme, celui de la crise des vocations. Dans les centres de rétention pour enfants et adolescents notamment, où le manque d’éducateurs pousse certains sites à embaucher d’anciens vigiles de boîte de nuit, au chômage forcé avec la crise du covid. « Or ce sont des gens, qui ne sont évidemment pas formés pour. À peine un gamin les provoquait, que boum, l’adolescente prenait une baffe », a évoqué Dominique Simonnot.

Même constat du côté des hôpitaux psychiatriques, où l’absence de psychologues pousse certains établissements à embaucher des intérimaires payés 18 000 € mensuels, ne restant que trois mois et ne pouvant offrir aux malades un réel suivi. Dominique Simonnot n’a d’ailleurs pas hésité à évoquer une véritable « fuite des psychiatres du service public », mentionnant au passage « des fermetures de lits d’hôpitaux qui auraient dû être remplacés par de l’ambulatoire, or cela ne l’a pas été ».

Conséquence indirecte de cette crise de la psychiatrie en France, la présence massive de détenus souffrant de troubles mentaux dans les prisons, que Dominique Simonnot estime à 30 % de la population carcérale totale. « Or, je ne pense pas que les surveillants pénitenciers soient infirmiers en psychiatrie », a-t-elle souligné.

Preuve s’il en fallait une de cette impossible prise en charge, la contrôleure générale a évoqué l’agression dont elle a été témoin et qui l’a « profondément marquée et perturbée ». Celle d’un « surveillant attaqué par un détenu fou, une agression sauvage, où le détenu lui a balancé une bouilloire remplie d’eau bouillante en pleine figure ».

C’est donc un portrait particulièrement sévère que Dominique Simonnot est venue dresser au Sénat, d’autant que son rapport souligne la « désinvolture » dont font preuve les ministères concernés par son champ d’action. Quand on lui demande si elle rencontre souvent les ministres, elle répond « oui… enfin, un peu ».

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