Texte hautement sensible en discussion dans la nuit du 4 au 5 mai au Sénat, première chambre saisie. Les sénateurs ont adopté leur version modifiée de l’article 1 du projet de loi de prorogation de l’état d’urgence sanitaire. Ils ont notamment réduit la durée de prorogation de ce régime d’exception, expirant le 23 mai, en fixant la nouvelle date butoir au 10 juillet 2020, au lieu du 23 juillet, comme le prévoyait le gouvernement.
Pour le rapporteur du texte au Sénat, Philippe Bas (LR), président de la commission des Lois, il fallait s’assurer que le Parlement puisse se prononcer dans « un délai plus court » pour définir une éventuelle nouvelle prolongation de l’état d’urgence, au regard des « incertitudes » qui pèsent sur le déconfinement.
À la quasi-unanimité, le Sénat a également choisi de valider la rédaction adoptée le matin même en commission des Lois, rendant plus précis le régime de responsabilité des élus locaux, fonctionnaires ou chefs d’entreprise pour leurs décisions prises pendant l’état d’urgence sanitaire, dans la perspective du déconfinement. Selon l’article adopté, « nul ne peut voir sa responsabilité pénale engagée du fait d’avoir, pendant la durée de l'état d'urgence sanitaire […] pour faire face à l'épidémie de Covid-19, soit exposé autrui à un risque de contamination par le coronavirus SARS-CoV-2, soit causé ou contribué à causer une telle contamination. » En fixant toutefois trois limites. La responsabilité pourra être engagée en cas de « faute intentionnelle », de « faute par imprudence ou négligence » et de « violation manifestement délibérée des mesures ».
« Ce n’est pas une exonération totale des responsabilités pénales », insiste Philippe Bas (LR)
Pour Philippe Bas, il ne s’agit donc pas d’exonérer tous les actes, mais de répondre à l’inquiétude montante des décideurs, comme les maires, face aux conséquences des décisions du gouvernement. « Ce n’est pas une exonération totale des responsabilités pénales, mais c’est éviter que le juge pénal puisse trouver – par l’application de la loi actuelle – le moyen d’attraire la responsabilité pénale, par exemple d’un maire, pour le motif qu’il aurait commis une faute caractérisée, parfaitement indéfinie dans le Code pénal, mais que le juge invoquerait pour pouvoir rechercher la responsabilité pénale de quelqu’un qui, du fait de la politique du gouvernement, aurait pris un risque. »
Plus tôt dans la journée, lors de sa déclaration sur le plan de déconfinement, le Premier ministre avait expliqué qu’il fallait « préciser la loi » sur la question de la responsabilité des décideurs, encadrée par la loi Fauchon de 2000. Pour autant, il s’est dit « nettement plus réservé » sur l’idée d’ « atténuer la responsabilité ».
Le gouvernement demande le retrait de la mesure mais se montre « disposé à ce que la loi puisse être précisée »
Lors de la séance sur le projet de loi, la garde des Sceaux n’a pas dévié de cette position. « Le gouvernement est tout à fait sensible aux inquiétudes des acteurs publics et élus locaux, ainsi que des acteurs privés, sur le risque pénal encouru pendant la période de déconfinement. Nous ne voulions pas pour autant atténuer la responsabilité des décideurs, mais prendre en compte la spécificité dans laquelle ils évoluent », a-t-elle expliqué.
La ministre de la Justice a estimé que le cadre actuel, en vigueur depuis 20 ans, fonctionnait « bien » et qu’il était « protecteur ». Elle a également justifié son opposition à la modification sénatoriale, en insistant sur le risque de rupture du principe d’égalité devant la loi. Un décideur ne sera pas traité de la même manière suivant que les faits reprochés aient eu lieu à l’intérieur, ou en dehors de la période de l’état d’urgence sanitaire.
Pour elle, la question doit continuer à être creusée. « Le gouvernement est disposé à ce que la loi puisse être précisée. Il faut encore travailler la réponse apportée. Le temps de la navette au moins doit nous permettre de trouver la réponse adéquate », a-t-elle promis, évoquant une écriture « différente ».
Le groupe LREM a voté contre le gouvernement
L’amendement de suppression, déposé par le gouvernement, a fait l’unanimité contre lui. « Vous ne créerez pas de confiance, si vous ne rassurez pas les maires, si vous n’éclaircissez pas ce régime », a tempêté Bruno Retailleau, le président du groupe LR. Le sénateur centriste Hervé Maurey, qui proposait lui aussi des évolutions législatives sur ce terrain, a partagé sa « stupéfaction ».
Unanime, l’opposition est venue également, « une fois n’est pas coutume », du groupe La République en marche. Plus de 150 de députés et sénateurs de la majorité présidentielle avaient soutenu la veille une tribune pour demander une protection juridique pour les maires. « Le groupe La République en marche ne votera pas l’amendement », a expliqué son président François Patriat, provoquant quelques réactions étonnées dans l’hémicycle. « Nous ne pouvons pas rester insensibles à la demande des élus locaux, de l’ensemble des gens chargés d’une responsabilité », a-t-il défendu, insistant aussi sur la suite de la navette parlementaire. « L’amendement du président Bas est un premier pas, qui servira de discussion dans le débat à l’Assemblée nationale », selon lui.
Comme l’ensemble des autres sénateurs, la totalité du groupe LREM a choisi de refuser de soutenir l’amendement du gouvernement : 10 ont voté contre, 13 se sont abstenus.
Au cours du débat, Philippe Bas a également rappelé que les amendements traitant spécifiquement de la responsabilité pénale des maires en cas de réouverture des établissements scolaires, n’étaient pas utiles. « Sachez que votre responsabilité ne peut pas être engagée à raison des décisions prises pour les ouvertures d’écoles », a-t-il énoncé. La responsabilité pèse sur les directeurs d’école, « sous l’autorité des inspecteurs d’académie ». Preuve que les écoles cristallisent les peurs sur le terrain, le sénateur LR Max Brisson a relayé les inquiétudes des maires, en dénonçant des protocoles sanitaires « totalement hors-sol ». « On est dans l’irréel le plus complet. »