Covid-19 : il y a un an, la semaine folle qui a précédé le premier tour des municipales
Ce sont des jours de rumeurs et de tensions politiques, finalement conclus par le maintien in extremis du premier tour des municipales le 15 mars 2020. Lorsque les résultats tombent, la France semble avoir pris conscience qu’elle a basculé dans une autre dimension de l’épidémie.
Dans les premiers jours de mars 2020, une petite musique monte. Et si les municipales étaient reportées, pour cause de covid-19 ? Voici le septième épisode de notre série rétrospective sur les semaines qui ont précédé le confinement, telles que les a vécues le Sénat. Interrogations légitimes, fantasmes ou rumeur insistante : ce qui était inimaginable à la mi-février se matérialise désormais sous forme de mots. Au Sénat, le sénateur Jérôme Bascher (LR) demande précisément au gouvernement le 4 mars 2020 quelles sont ses intentions (relire notre épisode précédent). Au cours d’un face-à-face tendu, le secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Intérieur, Laurent Nuñez, assure qu’un report n’est « absolument pas à l’ordre du jour aujourd’hui » et qu’il n’y a « pas de risque sanitaire identifié à ce stade ».
Au Sénat, la question est loin d’être anecdotique. La Haute assemblée sert de caisse de résonance aux inquiétudes des 35 000 mairies qui vont organiser le scrutin les 15 et 22 mars. Le sujet la concerne aussi directement. Les sénatoriales prévues dans six mois ne peuvent se tenir si les grands électeurs – des conseillers municipaux à 90 % – n’ont pas été renouvelés.
« Si nous vivons une situation à l’italienne le 15 mars… »
Dans la soirée du 4 mars, les sénateurs se confrontent à nouveau avec le gouvernement, à l’occasion d’un débat convoqué par Bruno Retailleau sur les mesures de santé publique « prises face aux risques d’une épidémie de coronavirus ». Interrogé à deux reprises sur les élections, le ministre de la Santé Olivier Véran souligne que la vie démocratique est « importante » et que les conditions sont réunies pour pouvoir maintenir ce rendez-vous. « Les experts de santé publique ne nous opposent aujourd’hui aucun argument pouvant conduire à suspendre ou à repousser les élections municipales », détaille-t-il. Il ajoute qu’un bureau de vote n’est pas concerné par l’interdiction des rassemblements de plus de 5 000 personnes, décidée quatre jours plus tôt. « Même si la mobilisation était très forte, une telle affluence apparaît absolument impossible. Donc, les élections municipales se tiendront. »
Malgré les assurances du ministre, les doutes sont loin d’être levés. Sénateur de Haute-Savoie, l’un des premiers départements touchés par des foyers de contamination, Loïc Hervé (Union centriste) met en avant un certain nombre de difficultés : comment accomplir son devoir d’électeur dans des lieux qui pourraient être confinés ? « Si nous vivons une situation à l’italienne le 15 ou le 22 mars, l’inquiétude en France sera d’une tout autre nature qu’aujourd’hui, et sans parler du report des élections. » Le sénateur ne croit pas si bien dire. Cinq jours plus tard, le 9 mars, le confinement est ordonné sur l’ensemble de l’Italie, et non plus seulement en Lombardie et dans les territoires avoisinants. Une semaine avant la France.
Menaces sur la participation, meetings annulés : l’urgence sanitaire occulte progressivement la campagne
Dans les jours qui suivent, ministres et membres de la majorité présidentielle occupent le terrain médiatique. Les messages sont toujours les mêmes : il n’est pas question de reporter les municipales, aucun risque sanitaire n’est identifié. Tout un protocole sanitaire et une panoplie de mesures barrières se préparent dans les bureaux de vote. Au sein des partis politiques, comme chez les Républicains, on redoute surtout la désertion des urnes, notamment chez les personnes les plus âgées. « C’est sûr qu’on est un peu inquiets de voir beaucoup de gens qui seraient susceptibles de ne pas aller voter », témoigne ainsi le sénateur LR Roger Karoutchi.
Au cours de la semaine qui précède le premier tour, l’urgence sanitaire occulte de plus en plus la campagne. Dans les plus grandes villes, les meetings sont annulés les uns après les autres. L’interdiction des rassemblements se déclenche au seuil de 1 000 personnes. Le 11 mars, la France compte désormais 48 morts et près de 2 300 cas, 500 de plus détectés en 24 heures. La trajectoire de l’épidémie est-elle en train de changer la donne ? Lorsqu’il reçoit les principaux responsables politiques du pays le lendemain, pour la deuxième fois en deux semaines, le Premier ministre Édouard Philippe exclut totalement le scénario d’un report. Le consensus semble acté.
D’hésitations en rumeurs : la journée clé du 12 mars
Cette journée du 12 mars va en réalité balayer toutes les certitudes. Une allocution du président de la République est annoncée pour le soir. La fébrilité monte, l’Elysée hésite. Proche d’Emmanuel Macron, le leader du MoDem François Bayrou, lui-même candidat aux municipales à Pau, plaide pour un report. La France précède de quelques jours la situation italienne, où la progression de l’épidémie est verticale. Deux titres de presse laissent entendre que le report des élections devient « vraisemblable » et que la décision serait sur le point d’être prise. La question se pose désormais ouvertement au sommet de l’Etat. Le président des Républicains Christian Jacob s’insurge. « Si c’était le cas, c’est un coup d’État ! » François Baroin, le président de l’Association des maires de France, Martine Aubry ou encore Anne Hidalgo protestent également.
Tout au long de l’après-midi, le chef de l’Etat consulte, il s’entretient avec les présidents des deux assemblées. Le Conseil scientifique va servir de juge de paix. La rumeur perdure jusqu’au dernier moment. A 20 heures, Emmanuel Macron fait part de sa décision. « J’ai interrogé les scientifiques sur la tenue de nos élections municipales […] Ils considèrent que rien ne s’oppose à ce que les Français, y compris les plus vulnérables, ne se rendent aux urnes. J’ai aussi demandé au Premier ministre de consulter les familles politiques et elles ont exprimé la même volonté. »
Coronavirus : Emmanuel Macron maintient les élections municipales
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Son allocution marque une rupture dans le mois de mars. Face à ce qu’il qualifie de « plus grave crise sanitaire depuis un siècle », Emmanuel Macron annonce à la surprise générale la fermeture des établissements scolaires « jusqu’à nouvel ordre », mais aussi des mesures « exceptionnelles et massives » de chômage partiel. Il recommande aux Français de limiter leurs déplacements « au plus strict nécessaire ». Les plus de 70 ans et les plus fragiles sont invités à rester chez eux.
Une semaine après la soirée d’Emmanuel Macron au théâtre, le Premier ministre place la France sous cloche
Face à l’accélération de l’épidémie, et à ses recommandations non suivies d’effet, le gouvernement resserre l’étau le samedi soir. Édouard Philippe annonce la fermeture des lieux recevant du public « non indispensables à la vie du pays ». Bars, restaurants, ou encore discothèques. La décision est inédite, mais le processus électoral poursuit son cours, garanti par les gestes barrières et un nouvel appui du Conseil scientifique. « Les opérations de vote se dérouleront demain comme prévu », maintient le Premier ministre. Il y a encore une semaine, le 6 mars, Emmanuel Macron se rendait au théâtre pour inciter les Français à sortir. « La vie continue. Il n’y a aucune raison, mis à part pour les populations fragilisées, de modifier nos habitudes de sortie », encourageait-il.
Plus que l’allocution présidentielle renvoyant les élèves à la maison, le nouveau tour de vis du Premier ministre laisse apparaître des contradictions encore fortes, aux yeux de plusieurs responsables politiques. « Avoir maintenu les élections municipales dans ces conditions est une aberration. » Au Sénat, Philippe Dallier est l’un de ceux qui donnent de la voix. « Que cherche le Premier ministre en annonçant la veille du scrutin qu’il ferme tout ce qui est normalement fermé le dimanche ? Créer la panique pour que les Français n’aillent pas voter ? Ou la situation est grave et le Premier ministre n’a rien dit ? » s’interroge la socialiste Hélène Conway-Mouret. Dans la soirée, des élus de tous bords, et pas moins de six présidents de régions appellent à un report du scrutin.
Le jour du scrutin, le 15 mars, c’est un pays placé au stade 3 de l’épidémie qui se réveille. A peine 45 % des électeurs inscrits se déplacent dans les bureaux de vote, près de 19 points de moins par rapport au premier tour des municipales en 2014. Lors de la soirée électorale, la lecture des résultats passe quasiment au second plan de l’urgence sanitaire. L’épidémie est hors de contrôle. 5 423 contaminations et 127 décès, contre 4 500 et 91 la veille.
Les appels au confinement se multiplient. La polémique monte également sur les choix qui ont guidé au maintien du premier tour. Le président du Sénat, qui n’avait eu qu’un rôle consultatif, est l’un de ceux visés par les critiques. « Le report des élections ne me semblait, jeudi après-midi, pas justifié », se défend-il. D’autres personnalités rappellent qu’ils n’avaient pas toutes les cartes en main le jeudi.
Le lundi 16 mars, le second tour est reporté sine die, dans une forme de consensus général, et de nombreux candidats stoppent leur campagne. Devant l’avancée exponentielle du virus, Emmanuel Macron reprend la parole dans la soirée lors d’une allocution d’une exceptionnelle gravité. Confinée, la France bascule dans des terres inconnues.
Les débuts de la crise du covid-19, vus depuis le Sénat - tous les épisodes :
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