Covid-19 : ne pas avoir confiné en janvier, « c’est 8.000 à 10.000 vies de perdues »

Covid-19 : ne pas avoir confiné en janvier, « c’est 8.000 à 10.000 vies de perdues »

Le nouveau confinement est « un échec » dénonce une partie de l’opposition. « C’est une faute lourde de nier la réalité » selon le socialiste Bernard Jomier, qui reproche à Emmanuel Macron de ne pas avoir confiné plus tôt. « Je ne reprocherai pas au Président d’avoir tenté le coup » tempère la sénatrice LR Catherine Deroche.
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Un an après le premier confinement, revoilà une partie du pays de nouveau mise sous cloche. Un troisième confinement certes plus léger. Mais avec des services de réanimation qui font le plein, Emmanuel Macron a choisi de reconfiner 16 départements pendant quatre semaines.

« Forme de gâchis et de temps perdu »

Alors qu’un reconfinement semblait éminent fin janvier, Emmanuel Macron a préféré en rester au couvre-feu, le 29 janvier. C’est son pari. Une attitude très macronienne. En paye-t-on le prix aujourd’hui ? Une bonne partie de l’opposition tombe aujourd’hui sur le chef de l’Etat. Bernard Jomier, sénateur PS et président de la mission d’information du Sénat sur les effets des mesures sanitaires, juge durement l’action du Président.

« Les faits lui donnent tort à tous points de vue. Que le politique parte d’une description scientifique pour établir différentes options, c’est son travail. Mais c’est une faute lourde de nier la réalité, la réalité scientifique. Il y avait une large convergence des épidémiologistes, reprise par le Conseil scientifique fin janvier, pour décrire le scénario qui est en train de se passer », dénonce le sénateur socialiste de Paris, qui ressent « une forme de gâchis et de temps perdu. Le choix de fin janvier est un lourd échec ». Bernard Jomier va plus loin : « Là, on est à plus de 300 voire 400 morts par jour. On a 7 semaines de retard. La conséquence du choix de janvier, c’est 8.000 à 10.000 vies de perdues ».

« C’est un échec, puisqu’on est débordés »

Invité ce matin de Public Sénat, Philippe Juvin, chef des urgences de l’hôpital Pompidou à Paris et maire LR de La Garenne-Colombes, n’est pas plus tendre. « Le vrai sujet, c’est qu’on est face à un aveu d’échec. Cette politique qui a consisté à agir par intuition depuis deux ou trois mois, en disant on croise les doigts et puis on attend que quelque chose se passe, une sorte de pensée magique en fait, et bien, on voit aujourd’hui que c’est un échec, puisqu’on est débordés », tance le médecin, qui note qu’« on a déjà dépassé le pic de novembre en réanimation en Ile-de France ».

Philippe Juvin : "Nous sommes face à un aveu d'échec du gouvernement"
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Bernard Jomier craint aussi les effets de l’incertitude. « Quand vous dites fin janvier, « c’est bon, pas la peine de reconfiner », puis que mi-avril on va rouvrir, après, c’est extrêmement difficile de remobiliser une population. Elle ne vous écoute plus. Il n’y a rien de plus difficile à gérer que les incertitudes et les stop and go », selon l’ancien rapporteur de la commission d’enquête du Sénat sur la gestion de la crise du covid-19.

« Il y a un manque de cohérence et de stratégie claire »

« On a l’impression qu’ils attendent, et puis "ah on confine !" Les gens ont besoin d’avoir des choses précises. Là, le confinement va durer quatre semaines, mais au bout de quatre semaines, des mesures auront-elles été prises pour qu’il y ait plus de personnels, ou pour s’assurer que les vaccins arrivent ? », demande pour sa part la sénatrice PCF Laurence Cohen. Elle ajoute : « Le problème, c’est que le gouvernement n’est pas sérieux. Quelles leçons a-t-il tirées de la crise depuis un an ? Ça fait un an qu’il n’arrive pas à anticiper. Il subit, il n’anticipe pas ».

Pour Bernard Jomier, « la question c’est de savoir si on met en place une stratégie d’élimination du virus. Et si oui, avec quelle solution ? On a les mesures restrictives, le vaccin, les stratégies de dépistage avec les autotests qui sont peut-être une petite révolution, la stratégie du teste-tracer-isoler, qui est totalement inefficace pour le moment, et les mesures de lutte contre la réintroduction du virus, en fonction des frontières et échanges ». Mais pour l’heure, « il y a un manque de cohérence et de stratégie claire ». Pour le socialiste, médecin de profession, « éliminer le virus, c’est envisageable dans les mois à venir. On va travailler dessus à la mission d’information, avec des modélisations, en regardant les outils et les moyens ».

« Quelle que soit la décision du Président, elle sera dénoncée »

Face à ce flot de critiques, François Patriat, patron des sénateurs macronistes, tente malgré tout de défendre la décision présidentielle. Il « salue l’action du gouvernement qui est faite de pragmatisme, de vérité et de réactivité ». Et il ne supporte pas les attaques de l’opposition. « Leur irresponsabilité rejoint leur pusillanimité. Quelle que soit la décision du Président, elle sera dénoncée. Soit elle est vue comme trop laxiste, soit comme coercitive », s’agace le sénateur LREM de la Côte-d’Or. « Ces donneurs de leçon sont amnésiques », pointe encore François Patriat, qui note que certains ne demandaient pas de confiner en janvier. Le président du groupe RDPI ajoute :

C’est l’alliance de la gauche et de la droite au Sénat. Le programme commun, c’est l’anti-Macron. Mais les Français ne sont pas dupes. Ça n’a pas de valeur.

« C’était important de rester ouvert pour l’économie »

Pourtant, toute la droite sénatoriale ne charge pas le chef de l’Etat, après sa décision. « Le reconfinement, je ne dirais pas que c’est un échec, le mot est un peu dur. C’est plutôt la preuve que les mesures antérieures n’ont pas suffi. Alors maintenant, vous êtes amenés à ce stade ultime et on pourra dire qu’il fallait le faire plus tôt. Mais c’était important de rester ouvert aussi, pour l’économie », estime le sénateur LR René-Paul Savary, ex-vice-président de la commission d’enquête du Sénat sur le covid-19. Le non-confinement, « il fallait essayer au moins. Car ce sont des mesures lourdes de conséquences », va jusqu’à dire le sénateur LR de la Marne, qui salue aujourd’hui « une sorte de confinement déconfiné. Je trouve que c’est très bien ».

Même compréhension de la part de Catherine Deroche, présidente LR de la commission des affaires sociales du Sénat. « Je ne reprocherai pas moi au Président d’avoir tenté le coup. Le confinement est quand même très dur à supporter. Au bout d’un an, on voit les conséquences psychologiques », soutient la sénatrice du Maine-et-Loire. Mais elle ne se prive pas pour autant de pointer les lacunes. « Il y a un point où nous ne sommes pas bons, c’est le traitement des cas positifs et la façon dont on les isole. Les pays qui s’en sont bien sortis ont été très coercitifs sur cet isolement », note la sénatrice. « J’étais en visio avec la caisse primaire d’assurance maladie de Nantes » raconte Catherine Deroche, « ils vont expérimenter pendant un mois en Loire-Atlantique un système de rétro tracing, pour essayer de voir à quel moment les personnes sont contaminées, si c’était à un mariage ou une fête, pour rappeler l’organisateur. Or cela aurait dû être fait depuis le début ! » s’étonne la présidente de la commission des affaires sociales.

« Maintenant, la seule porte de sortie qu’on a, c’est de vacciner en masse »

Pour maîtriser l’épidémie, l’enjeu est le contrôle des clusters, qu’il faut tuer dans l’œuf. « En Mayenne, en juillet dernier, ils ont bien géré cela », reconnaît Catherine Deroche. Mais ailleurs, « l’été dernier, on a été trop optimiste ». Pour ne plus courir après l’épidémie, elle est « favorable » aujourd’hui à la mise en place de tests préventifs. « Il faut savoir qu’une personne est positive avant, pour qu’elle ne contamine pas les autres. Or aujourd’hui, on attend d’avoir des symptômes ou d’être cas contact. Il faut tester beaucoup, isoler au mieux. Il faut par exemple faire des campagnes de testing en entreprise. Si on veut s’en sortir, c’est ça ».

Mais avant tout, « maintenant, la seule porte de sortie qu’on a, c’est de vacciner en masse. Et très vite », espère la sénatrice LR. « L’objectif de 10 millions de vaccinés en avril est très modeste pour dire que l’objectif sera dépassé », pense Bernard Jomier, « mais ce n’est pas du tout certain que ça suffise, si on reste à un niveau de circulation du virus élevé ». Dans un second temps, quand tout le monde aura accès au vaccin, Catherine Deroche est favorable à « mettre en place un passeport vaccinal pour remettre de la vie dans le pays, en permettant d’accéder aux restaurants et aux lieux culturels ». Pour l’heure, c’est parti pour quatre semaines de confinement pour 21 millions de Français.

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