« CumEx Files » : deux sénateurs veulent auditionner les banques françaises mises en cause
Après les nouvelles révélations sur un système d’évasion fiscale d’une ampleur de 55 milliards d’euros, le sénateur PCF Eric Bocquet et la sénatrice (ex-PS, Génération.s) Sophie Taillé-Polian demandent que la commission des finances du Sénat s’empare du sujet et convoque les responsables des banques françaises. Eric Bocquet n’exclut pas une commission d’enquête.

« CumEx Files » : deux sénateurs veulent auditionner les banques françaises mises en cause

Après les nouvelles révélations sur un système d’évasion fiscale d’une ampleur de 55 milliards d’euros, le sénateur PCF Eric Bocquet et la sénatrice (ex-PS, Génération.s) Sophie Taillé-Polian demandent que la commission des finances du Sénat s’empare du sujet et convoque les responsables des banques françaises. Eric Bocquet n’exclut pas une commission d’enquête.
Public Sénat

Temps de lecture :

6 min

Publié le

Mis à jour le

Ce sont de nouvelles révélations, qui, encore une fois, montrent l’ampleur de l’évasion fiscale. « CumEx », c’est le nom de ce montage financier qui a permis à quelques investisseurs de gagner beaucoup d’argent sur le dos des pays européens. De l’évasion fiscale, à coup d’optimisation et de fraude fiscale. Au total, le préjudice est estimé à plus de 55 milliards d’euros depuis 2001. L’Allemagne, d’où vient la combine, est le premier pays touché, avec 10 milliards d’euros de perte pour l’Etat. La France n’est pas en reste et serait touchée à hauteur de 3 milliards d’euros de manque à gagner par an pour le contribuable.

Selon ces révélations du journal Le Monde, en collaboration avec dix-huit autres médias, il s’agit de l’utilisation de zones grises dans la réglementation, en bénéficiant de crédits d’impôts liés au versement des dividendes d’actions cotées en bourse. Les montages financiers mis en lumière permettent, en multipliant très rapidement les échanges d’actions entre intervenants et pays, de passer sous les radars. Et de récupérer les crédits d’impôts tout en ne payant qu’une fois l’impôt, ou même sans l’avoir acquitté une seule fois. « Poussée à grande vitesse, la machine des crédits d’impôts va devenir une vraie machine à cash » explique le quotidien. Une cinquantaine d’institutions financières sont mêlées à l’affaire. Les grandes banques françaises – BNP Paribas, la Société Générale et Crédit Agricole – auraient participé au système, selon Le Monde.

« La République est en droit d’interroger les banques pour avoir leurs explications »

Le sénateur PCF Eric Bocquet, qui avait été rapporteur des deux commissions d’enquête au Sénat sur l’évasion et la fraude fiscale, n’est pas vraiment surpris de cette nouvelle révélation. « Encore une malheureusement. On a un scandale par an. Voilà celui de 2018 » constate le sénateur du Nord. « Ça montre bien que ce qu’ils appellent l’innovation financière n’a pas de limite. Les systèmes pour échapper à l’impôt sont d’une ingéniosité impressionnante, cela indépendamment des lois antifraude » souligne Eric Bocquet.

Avec sa collègue ex-PS, membre de Génétation.s, Sophie Taillé-Polian, ils entendent profiter de ces révélations pour aller plus loin, grâce au groupe de suivi du Sénat sur la fraude et l’évasion fiscale. Mis en place en juin dernier au sein de la commission des finances, il rassemble un sénateur de chaque groupe. Il n’a pas encore réellement fonctionné.

« On va saisir le président de la commission des finances et le rapporteur général pour qu’on examine ce dossier via le groupe de suivi. Et pourquoi pas interroger les banques citées dans les documents. La République est en droit d’interroger les banques pour avoir leurs explications, comme cela avait été le cas avec Frédéric Oudéa (directeur général de la Société Générale, ndlr) et d’autres en 2016, après les Panamas papers » explique à publicsenat.fr Eric Bocquet. Sophie Taillé-Polian imagine « tout à fait » auditionner les institutions visées. « Les banques jouent un rôle, et sans les grandes banques françaises, ce mécanisme ne serait pas possible » souligne la sénatrice du Val-de-Marne. D’après Jérôme Kerviel, l’arbitrage des dividendes était pratiqué dans son propre « desk », à la Société Générale. « Ils étaient quatre collègues à faire ça, juste derrière moi », affirme au Monde l’ancien trader de la banque française. La Société Générale assure pour sa part au quotidien que sa direction « n’avait connaissance d’aucun schéma frauduleux au sein de l’établissement ».

Vincent Eblé : « Il n’y a pas de réticence à faire travailler la commission sur ces sujets »

Interrogé par publicsenat.fr, le président PS de la commission des finances, Vincent Eblé, accueille favorablement l’idée que le groupe de suivi s’empare du sujet. « Réunir le groupe me semble justifié. On va regarder les choses. Il n’y a pas de réticence à faire travailler la commission sur ces sujets qui l’ont toujours préoccupée » explique le sénateur de Seine-et-Marne. Reste que ce groupe de travail n’est pas une commission d’enquête et n’en a donc pas les pouvoirs. Les banques pourraient théoriquement refuser d’être auditionnées. Mais les sénateurs pourraient les en convaincre, comme l’explique un responsable de la commission des finances :

« Si on veut mettre un peu de pression pour que les banques viennent, je ne pense pas qu’elles refusent ».

Après les révélations sur les Panama papers, Frédéric Oudéa avait accepté de venir s’expliquer, bien qu’il n’était pas obligé, après avoir échangé avec Michèle André, ex-présidente PS de la commission. A l’époque, la question d’un faux témoignage devant la commission d’enquête sur l’évasion fiscale, en 2012, pesait sur sa tête.

« Pourquoi pas une commission d’enquête »

Si cela s’avère nécessaire, Eric Bocquet n’écarte pas l’idée de sortir la grosse artillerie parlementaire : une commission d’enquête. Cela a plutôt réussi au Sénat ces derniers temps. « Voyons déjà ce que va faire le groupe de suivi. Mais s’il n’a pas la compétence pour aller plus loi, pourquoi pas une commission d’enquête ensuite. Je n’exclus rien de mon côté » affirme le sénateur communiste. Sophie Taillé-Polian n’en écarte pas non plus idée : « Ce serait l’occasion d’ouvrir enfin le dossier de l’optimisation fiscale. Ce serait une nouvelle étape ».

Ces révélations arrivent alors que le Parlement vient d’adopter le projet de loi de Gérald Darmanin de lutte contre la fraude fiscale. « Il n’y avait rien contre l’optimisation et l’évasion. On était uniquement sur les fraudes avérées » regrette Sophie Tailla-Polian, qui avait suivi le texte pour le groupe PS. Aujourd’hui, elle « demande au ministre ce qu’il compte faire. Il y a un travail à mener pour que toutes ces failles soient bouchées et avoir un regard sur toutes ces fameuses niches fiscales ». Même chose du côté d’Eric Bocquet, qui va « adresser un courrier à Gérald Darmanin pour voir ce qu’il compte faire. Ce sont des milliards d’euros en moins dans le budget de l’Etat. Or on entame l’examen du budget avec comme clef de voûte la baisse de la dépense publique car il n’y aurait plus d’argent. On sait où l’argent passe… Ceux qui devraient payer l’impôt s’ingénient à ne pas le payer. C’est inacceptable ».

Partager cet article

Dans la même thématique

Le Mans Manifestation des maires de la Sarthe
4min

Politique

Elections municipales : il n’y a jamais eu autant de maires démissionnaires depuis 2020

Le nombre d’édiles qui renoncent à poursuivre leur mandat n’a jamais été aussi élevé, selon une étude de l'Observatoire de la démocratie de proximité AMF-Cevipof/SciencesPo. Les démissions ont été multipliées par quatre depuis 2020 par rapport à la période 2008-2014. Les tensions au sein des Conseils municipaux sont invoquées comme première cause de renoncement.

Le

capture La bomba
3min

Politique

Les « films de l’été » 5/8 : « La bombe atomique a modifié à jamais le monde dans lequel nous vivons »

Pour les Américains, la bombe atomique était LA solution nécessaire pour gagner la Seconde Guerre mondiale. Elle est devenue par la suite un problème environnemental, politique et moral. Comment vivre avec une invention capable de détruire la planète ? Étayé d'images et de vidéos déclassifiées, mais aussi d'archives poignantes consacrées aux victimes d'Hiroshima et de Nagasaki, « La bombe », du cinéaste américain Rushmore DeNooyer, diffusé cet été sur Public Sénat, convoque également les témoignages d'anciens hommes politiques, d'ingénieurs du projet Manhattan et d'historiens pour raconter cette histoire scientifique, politique et culturelle.

Le

PARIS, Conseil constitutionnel, Constitutional Council, Palais Royal
3min

Politique

Loi Duplomb : après la censure, que contient le texte ?

Dans sa décision du 7 août, le Conseil constitutionnel a censuré la réintroduction de l’acétamipride. Malgré cela, l’essentiel de la loi Duplomb a été jugé conforme à la Constitution. Voici les mesures qui seront promulguées.

Le