Dark stores, dark kitchens : la face sombre de la livraison à domicile

Dark stores, dark kitchens : la face sombre de la livraison à domicile

Un projet de décret du gouvernement permettant une installation facilitée des dark stores et dark kitchens a plongé les élus des grandes villes dans une colère noire. Alors qu’une clarification de la réglementation était fortement attendue, celle proposée par le gouvernement ne convainc pas ceux qui dénoncent nuisances et uberisation des centres-villes.
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Par Clara Robert-Motta

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Derrière leurs vitrines fumées, les « dark kitchens » et « dark stores » ont troqué l’accueil des clients pour la file des scooters attendant de remplir leur coffre. Pas besoin de se presser dans les rayons du supermarché, un clic sur une appli et la livraison est promise dans les 15 minutes… ces « magasins fantômes » fleurissent un peu partout dans les centres-villes français. Au grand dam des riverains et des élus qui dénoncent des nuisances sonores et odorantes et s’inquiètent du futur des centres-villes.

En plein cœur de l’été, c’est le premier adjoint à la maire de Paris en charge de l’urbanisme qui a lancé un cri d’alerte sur Twitter : un projet d’arrêté ministériel proposerait de légaliser les dark stores. En effet dans ce brouillon d’arrêté, on découvre que ces espaces de cuisine ou entrepôts pourraient être considérés comme des « commerces de détail ».

 

Un léger changement de terme mais qui pourrait avoir des conséquences importantes : ce n’est ni plus ni moins la légalisation de ces « magasins fantômes » qui est en jeu. Pour le moment, une partie des dark stores, voire dark kitchens, bénéficiaient d’un flou juridique. Le décret de novembre 2016 qui régit l’implantation dans les rez-de-chaussée n’intègre pas ces entités-là, plus récentes. Ainsi, les opérateurs se sont engouffrés dans la brèche, et les contentieux juridiques se font au goutte-à-goutte.

 

En mars, la moitié des dark stores parisiens étaient « illégaux »

Dans le PLU parisien, il est indiqué que la « fonction d’entrepôt n’est admise que sur des terrains ne comportant pas d’habitation » et que « la transformation en entrepôt de locaux existants en rez-de-chaussée sur rue est interdite ». Or, les dark stores - n’ayant pas d’accueil de clients - peuvent clairement être considérés comme des entrepôts. En mars, la mairie de Paris estimait que la moitié des dark stores étaient en situation illégale et demandait la fermeture de 45 de ces « magasins fantômes ».

Alors que la capitale a durci le ton, les opérateurs se sont rapatriés dans les communes de la petite couronne parisienne. Pour la sénatrice des Hauts-de-Seine, Christine Lavarde, cette externalisation des nuisances est problématique et surtout déséquilibrée. « Faire peser la responsabilité sur les pouvoirs publics locaux demande énormément de ressources, et les collectivités n’ont pas toujours ce temps et cet argent. »

Si, en début d’année, un « guide » avait été publié par le gouvernement afin de mieux outiller les élus, il n’avait pas de valeur législative. Pour l’organisation, France Urbaine, qui réunit les grandes villes et métropoles une clarification de la loi est absolument nécessaire. « Avec un cadre juridique clair, et applicable à tous, il y aurait moins de contentieux juridiques, explique Lionel Delbos, directeur de l’économie territoriale à France Urbaine. Or les opérateurs sont considérablement dotés financièrement face à des communes qui n’ont pas ces moyens-là. »

« Cela fait des mois que nous demandons des outils juridiques dont nous manquons. Mais nous sortir un arrêté entièrement rédigé par les lobbies en plein milieu de l’été, ça ne passe pas. »

- Rémi Féraud, sénateur PS de Paris.

Depuis des mois, les élus des grandes villes, Paris en tête, demandent qu’on mette fin à ce flou juridique. Si le projet d’arrêté tranche définitivement une orientation plus claire, elle est loin de convenir aux attentes des élus. « Cela fait des mois que nous demandons des outils juridiques dont nous manquons, raconte Rémi Féraud, sénateur PS de Paris. Mais nous sortir un arrêté entièrement rédigé par les lobbies en plein milieu de l’été, ça ne passe pas. »

Lionel Delbos, de France Urbaine, note que le gouvernement semble rejoindre les élus sur leur définition : les dark stores sont bien des entrepôts. En revanche, un point d’achoppement demeure. « Il apparaît avoir une exception à la règle, décrit Lionel Delbos. Il suffirait qu’un seul consommateur vienne acheter dans le dark store et, même s’il y a eu 800 livraisons dans la journée, il pourrait être considéré comme « un commerce de détail ». »

Pourtant, riverains et élus ne considèrent pas ces établissements comme une occupation anodine d’un rez-de-chaussée. Christine Lavarde, sénatrice et conseillère municipale en charge de la sécurité et de l’hygiène à Boulogne-Billancourt, a reçu des premières plaintes il y a plus d’un an. Bruit des va-et-vient incessants des moteurs de scooters et des camions de livraisons, insécurité routière en raison de prise de risque par les véhicules de livraison soumis à des délais expéditifs, les griefs sont nombreux.

Sécurité routière et concurrence déloyale

Pour tenter de trouver des solutions, la municipalité a défini des zones blanches où l’application des livreurs est brouillée afin qu’ils n’y stationnent pas. « Ce sont des solutions au compte-goutte qui ne font que déplacer le problème », se désole la sénatrice LR Christine Lavarde. Pour elle, il faut aussi se poser la question de savoir quel futur les habitants veulent pour leurs centres-villes. Afin de respecter les délais de livraison promis, le maillage des dark stores dans les villes est, en effet, plutôt resserré.

Sur la même ligne, le sénateur Rémi Féraud s’inquiète de la concurrence déloyale que feraient ces « magasins fantômes » aux commerces de proximité. « Est-ce que nous voulons une ville sans commerces et sans devantures avec un travail précarisé ? Posons-nous la question, mais rapidement car c’est aujourd’hui qu’il faut agir. »

Après la polémique née de la fuite du projet d’arrêté, le ministre délégué à la Ville et au Logement, Olivier Klein, s’est voulu rassurant. « Les darkstores ce n’est pas l’image que je me fais de la ville de demain, ouverte, vivante et écologique. Il faut les réguler. », a-t-il publié sur Twitter. Il a aussi précisé qu’une concertation aurait lieu avant de publier le décret.

 

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