Déclenchement du plan pandémie grippale : la commission d’enquête s’interroge sur un éventuel retard à l’allumage
La commission d’enquête du Sénat sur la gestion de la crise de la Covid-19 a auditionné deux anciens secrétaires généraux de la Défense et de la Sécurité nationale, dont un en fonction lors de la première vague. Elle s’est intéressée à la planification et l’anticipation de la doctrine en cas de crise.

Déclenchement du plan pandémie grippale : la commission d’enquête s’interroge sur un éventuel retard à l’allumage

La commission d’enquête du Sénat sur la gestion de la crise de la Covid-19 a auditionné deux anciens secrétaires généraux de la Défense et de la Sécurité nationale, dont un en fonction lors de la première vague. Elle s’est intéressée à la planification et l’anticipation de la doctrine en cas de crise.
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Comment étaient préparées les décisions du gouvernement et sur quelles bases, dans la crise sanitaire du printemps ? C’est sur ces deux aspects que s’est penchée la commission d’enquête du Sénat sur l’évaluation des politiques publiques face aux pandémies, ce jeudi 15 octobre, en convoquant deux anciens secrétaires généraux de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN). Ce service du Premier ministre occupe un rôle majeur dans l’élaboration et la mise en œuvre des différents plans gouvernementaux relatifs à la sécurité. Il est également chargé de la préparation et de la coordination des travaux interministériels sur ces sujets, et en suit leur bonne exécution.

Une question a émergé parmi les sénateurs. Pourquoi la cellule de crise interministérielle n’a pas été immédiatement activée, dès les premiers moments de la crise ? « Il a fallu attendre mi-mars pour que la première réunion ait lieu », s’est étonné l’un des rapporteurs, Bernard Jomier (apparenté au groupe socialiste). Cela s’est ressenti au cours de plusieurs auditions, le mois de février a souvent été perçu comme un moment de flottement dans la gestion de crise au sein de la commission d’enquête. Et le bon fonctionnement d’une gestion interministérielle est loin d’être un détail pour les rapporteurs. « Cela nous semblait très cloisonné entre les différentes directions », a déclaré la sénatrice LR Catherine Deroche, nouvelle présidente de la commission des affaires sociales.

« On a l’impression que ça mouline dans le vent », s’insurge la sénatrice Laurence Cohen

Claire Landais, secrétaire générale de la Défense et de la Sécurité nationale de 2018 à la mi-juillet 2020, s’est efforcée d’expliquer que la machine était en route et qu’il fallait « relativiser » la question de cette cellule de crise interministérielle : les liens existaient « bien avant » dans l’ensemble du monde ministériel, selon elle. « Il se passe beaucoup de choses dans le champ interministériel dès le mois de février », a-t-elle affirmé.

Si le ministère de la Santé a reçu officiellement la conduite opérationnelle de la crise fin janvier, des coordinations se sont mises ensuite en route, comme la « task-force interministérielle », animée par un préfet, ou les centres de crise qui ont été activés dans tous les ministères. Le confinement a changé la donne. Et dès lors tout ne pouvait plus reposer sur le centre de crise du ministère de la Santé. « L’impact sur la vie sociale était tel avec le confinement qu’on a considéré qu’il fallait ouvrir la cellule interministérielle de crise », a justifié cette actuelle secrétaire générale du gouvernement.

Regrettant le discours trop théorique de leur interlocutrice, la sénatrice communiste Laurence Cohen a fait part de son incompréhension. « On a l’impression que ça mouline dans le vent […] Sur le papier, c’est convaincant, mais ça ne marche pas ! »

« Plus la crise est activée tôt, mieux on se trouve », insiste Louis Gautier (SGDSN de 2014 à 2018)

Les sénateurs se sont aussi beaucoup interrogés sur le suivi des plans dont disposait le gouvernement, comme le plan pandémie grippale datant de 2013. « Il a été appliqué sur de nombreux items. Mais il n’a pas été activé non plus de façon ordonnée et précocement quand le virus est apparu », a pointé du doigt Bernard Jomier. « On n’a pas considéré qu’il pouvait s’appliquer immédiatement », a concédé Claire Landais. Le SGDSN s’en est plus « inspiré », il ne l’a pas suivi à la lettre. « Dès janvier, on a pioché dans le plan pour mettre en œuvre certaines mesures qu’il prévoyait », a-t-elle raconté. C’est notamment le cas de la question du suivi des passagers de retour de Wuhan.

Auditionné avant elle, son prédécesseur Louis Gautier (en fonction de 2014 à 2018) s’était inquiété publiquement en janvier d’un « retard à l’allumage », dans le déclenchement formel du plan pandémie grippale ou de la cellule interministérielle de crise. Sa prise de conscience s’est faite plus forte au moment du confinement chinois. « L’intérêt de déclencher vite ? C’est de mettre très tôt en œuvre la phase d’alerte, la diffusion des messages de prévention, l’examen des stocks […] C’est l’ensemble de l’administration qu’il faut mobiliser. Plus on le déclenche tôt, mieux on se trouve », a martelé Louis Gautier. « On aurait eu des moyens de s’adapter plus rapidement, comme sur la réquisition des masques. »

« Il y a eu des choses qui ne se sont pas passées du tout comme le prévoyait le plan pandémie »

De manière générale, le plan a surtout servi sur des aspects « non sanitaires », selon Claire Landais. Interdiction des rassemblements, limitation des transports, réquisition, prix : tout cela figurait dans le plan. Le confinement général n’y figurait pas. « C’est probablement difficile d’imaginer d’utiliser cette mesure dont on sait toutes les conséquences », a expliqué la haute fonctionnaire.

Sur d’autres aspects, les autorités ont dû s’écarter du cadre du plan. « Il y a eu des choses qui, effectivement, ne se sont pas passées du tout comme le prévoyait le plan pandémie grippale », a-t-elle détaillé. Un exemple a été donné sur le cadencement dans le temps des mesures à prendre : celui des quatre phases identifiées dans le plan. « Probablement qu’il faudra réfléchir à un plan pandémie grippale générique », a-t-elle ajouté.

Un enseignement semble également avoir émergé de cette audition : la nécessité de réaliser des simulations des plans de sécurité et de préparation. « Ils présentent un avantage : celui de la préparation, de l’apprentissage des gestes réflexes, d’une acculturation de l’administration […] Notre pays n’a pas une grande tradition de prévention en matière de santé publique », s’est ému Louis Gautier, qui préside toujours le conseil d’orientation de l'Agence nationale des recherches sur le Sida et les Hépatites virales (ANRS).

Plan pandémie grippale : « On peut juger dommage de n’avoir eu peu d’exercices depuis 2013 »

En fonction jusqu’au premier semestre 2020, Claire Landais, s’est livrée sur ce point à une autocritique. « Ce qu’on peut juger dommage – et je prends ma part de regrets – c’est de n’avoir eu que peu d’exercices dans le champ de mise en œuvre du plan pandémie grippale après 2013. »

D’autres séries de questions ont porté sur la mobilisation des experts. La socialiste Angèle Préville a ainsi demandé pourquoi le Conseil scientifique avait été « mis en place de manière très tardive ». Là aussi, Louis Gautier a insisté sur la nécessité de travailler avec un comité d’expertise « le plus tôt possible ». Ce sujet devra être réadapté à l’avenir selon lui. « Il faut s’interroger sur comment on mobilise l’expertise », a-t-il indiqué. S’agissant de l’expertise, le SGDSN avoue ne pas être bien doté directement. « On n’a pas des bataillons du monde sanitaire. On n’a d’ailleurs pas de bataillons de médecins tout court », a avoué Claire Landais.

Louis Gautier a ajouté que les avis du conseil scientifique qui n’étaient pas encore « mûrs » n’avaient « pas vocation à être publiés ». « Sinon, cela crée du trouble […] Mais les avis divergents doivent être référencés, et notamment connus des responsables politiques qui vont décider. »

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