Depuis l’assassinat du préfet Erignac, un nationalisme corse transformé

Depuis l’assassinat du préfet Erignac, un nationalisme corse transformé

L'assassinat du préfet Erignac, le 6 février 1998, marque le paroxysme de la violence nationaliste en Corse et accélère le basculement des...
Public Sénat

Par Maureen COFFLARD

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L'assassinat du préfet Erignac, le 6 février 1998, marque le paroxysme de la violence nationaliste en Corse et accélère le basculement des nationalistes d'une contestation violente visant l'indépendance à un mouvement autonomiste plus gestionnaire, aujourd'hui au pouvoir sur l'île, estiment des experts.

Il y a 20 ans, Claude Erignac est abattu dans une rue d'Ajaccio. Trois jours plus tard, ce meurtre, qualifié d'"acte politique", est revendiqué par le groupe "des Anonymes", qui affiche un objectif: "la souveraineté" de la Corse.

"Ce groupe dit +sans sigle+ était dissident du Front de libération nationale corse (FLNC), qui s'apprêtait alors à déposer les armes pour entrer dans un processus de paix. Ce groupe ne l'admet pas et se lance dans une action violente sur le modèle nord-irlandais, avec une action hautement symbolique", explique à l'AFP Thierry Dominici, spécialiste de la Corse à l'université de Bordeaux.

Au moment du meurtre, les nationalistes se déchirent depuis cinq ans dans une lutte fratricide qui fera une vingtaine de morts au sein des différentes mouvances clandestines. L'assassinat du préfet "donne lieu à une répression policière" massive avec notamment 380 interpellations en quatre mois, qui affaiblissent la mouvance clandestine, note M. Dominici. L'année suivante, la répression vire au scandale avec l'affaire des paillotes incendiées par des gendarmes sur ordre du préfet Bernard Bonnet, successeur de Claude Erignac.

- "Dynamique de la division" -

Avant même l'assassinat du préfet, le mouvement nationaliste avait déjà amorcé sa mue, estime Xavier Crettiez, professeur de sciences politiques à Science Po Saint-Germain-en-Laye: la date-clé qui marque "le début de la délégitimation de la violence" remonte à juin 1993 avec l'assassinat par le FLNC d'un jeune militant, Robert Sozzi, qui critique des dérives du mouvement clandestin. "L'assassinat du préfet est ensuite l'aboutissement d'une dynamique de la division" chez les nationalistes, pointe M. Crettiez.

La plaque commémorative, photographiée le 25 janvier 2018 dans une rue d'Ajaccio qui marque l'endroit où le préfet Claude Erignac a été tué de trois balles dans le dos le 6 février 1998
La plaque commémorative, photographiée le 25 janvier 2018 dans une rue d'Ajaccio qui marque l'endroit où le préfet Claude Erignac a été tué de trois balles dans le dos le 6 février 1998
AFP

"Ils voulaient la guerre, mais ça n'a pas marché, le mouvement clandestin n'a pas épousé ça", résume aujourd'hui auprès de l'AFP Edmond Simeoni, figure autonomiste du nationalisme corse depuis 1970 et père de Gilles Simeoni - avocat d'Yvan Colonna, condamné pour l'assassinat du préfet, et aujourd'hui président de l'exécutif corse.

Sur le plan électoral, les nationalistes plafonnent à 15% des voix toutes tendances confondues pendant les années 90 et une partie des années 2000 "du fait de ce rapport à la violence et à la lutte armée", rappelle Jérôme Fourquet, directeur du département opinion à l'Ifop et auteur de "La nouvelle question corse".

Leur essor électoral sera favorisé par la baisse d'intensité de la violence puis par "le dépôt des armes par le FLNC en 2014", poursuit le politologue. La mouvance autonomiste emmenée par Jean-Christophe Angelini dans le sud de l'île et Gilles Simeoni à Bastia, "prend petit à petit le dessus sur les éléments plus radicaux et indépendantistes rassemblés autour de Jean-Guy Talamoni", note également M. Fourquet.

- "Pari" -

L'année 2014 marque la première grande victoire électorale des nationalistes avec la conquête par Gilles Simeoni de la mairie de Bastia, tenue par la famille Zuccarelli depuis 1968.

Le nationaliste corse Edmond Simeoni à Ajaccio, le 26 janvier 2018
Le nationaliste corse Edmond Simeoni à Ajaccio, le 26 janvier 2018
AFP

"Pour ces élections de 2014, nous avons fait une liste d'union avec des gens de droite et de gauche et nous n'avons pas pris les indépendantistes, parce qu'ils n'ont pas tenu la condition, le FLN continuait (les actions violentes, ndlr). Leur décision d'arrêter la violence, ils l'ont prise un mois après les élections" avec la démilitarisation du FLNC annoncée en juin 2014, rappelle à l'AFP Edmond Simeoni.

Cette nouvelle trêve ouvre la voie à l'alliance entre indépendantistes et autonomistes au second tour des régionales de 2015: ils remportent alors le conseil régional, avant d'envoyer trois députés à l'Assemblée nationale en juin 2017 - une première - puis de triompher - avec 56,5% des voix - aux élections territoriales de décembre 2017 pour prendre le contrôle de la nouvelle collectivité unique.

"L'alliance, c'était la condition, après tant d'échecs, pour que les indépendantistes abandonnent définitivement la violence", confie Edmond Simeoni.

"2017 marque l'affirmation d'un nationalisme de gestion qui clôt partiellement l'époque du nationalisme de contestation", résume Xavier Crettiez: "Reste à voir si le nationalisme de gestion va réussir son pari".

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