Des lendemains difficiles au groupe socialiste du Sénat

Des lendemains difficiles au groupe socialiste du Sénat

Thérapie de groupe ce mardi au Sénat pour le groupe socialiste, après le score historiquement bas d’Anne Hidalgo. La soixantaine de sénateurs présidée par Patrick Kanner a longuement échangé sur les enseignements du scrutin et le travail de refondation à engager. La séance a été sereine, mais plusieurs membres ne cachent pas leur inquiétude pour la suite.
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Un contraste étrange. La soixantaine de sénateurs socialistes, traduction de l’implantation du parti dans les collectivités locales, assiste à l’effondrement du PS dans les urnes au niveau national. Moins de deux jours après le score désastreux d’Anne Hidalgo au premier tour de l’élection présidentielle (1,75 %), le plus bas historique dans l’histoire du parti, le groupe s’est retrouvé ce mardi matin pour sa réunion hebdomadaire. Pour comprendre ce qu’il s’est passé, et préparer la suite. La fondation Jean Jaurès a exposé les raisons du crash électoral, avant une longue série de prise de paroles des sénateurs et sénatrices.

Précision importante, la réunion s’est tenue à huis clos, la règle pour ce type de séance sensible. Les collaborateurs parlementaires n’ont pas été conviés à cet échange politique. De l’avis des participants, même si chacun y va de son analyse, le climat a été globalement serein. « À ce stade, le groupe est plutôt uni », témoigne une sénatrice du sud-ouest. « On dialogue avec courtoisie sénatoriale. L’ambiance est bonne, en dépit des résultats épouvantables », nous assure l’un des cadres du groupe. D’autres se saisissent du prétexte de la confidentialité des échanges pour s’abstenir de tout commentaire.

Patrick Kanner, le président du groupe, souhaite faire de son collectif l’un des avant-postes de la « refondation ». « Le groupe considère qu’il a une place particulière, puisque nous sommes le plus grand groupe de gauche au sein du Parlement. Nous voulons que cette place soit utile à la refondation, d’abord du Parti socialiste, qui est aujourd’hui au plus bas, disons-le très simplement », nous détaille l’ancien ministre des Sports. Il imagine une refondation autour de trois éléments : la « notion de République », la lutte contre les inégalités sociales et le combat écologique. Un séminaire de travail va réunir dans les derniers jours d’avril ou les premiers jours de mai les sénateurs socialistes, pour apporter une pierre à l’édifice. Ou plusieurs. Car tout le débat est de savoir s’il faut rafraîchir une structure qui se lézarde, ou entreprendre des travaux plus lourds.

« On peut se demander pourquoi la direction nationale du PS ne démissionne pas en bloc »

Ce mardi, ils sont un certain nombre à en vouloir à la direction actuelle du PS, accusée de ne pas avoir fait le job pendant 5 ans. La sénatrice Marie-Arlette Carlotti (Bouches-du-Rhône) rappelle que c’est avant tout au sein parti que la reconstruction devra s’opérer. « La direction doit assumer ses responsabilités. La maison est à refaire, on doit être plus offensifs dans les propositions, remettre les idées à plat, ce qu’on n’a pas fait en cinq ans. » Déjà en septembre, au moment du congrès, l’ancienne ministre dénonçait la méthode de travail « en petit comité » de la direction du premier secrétaire Olivier Faure.

« On constate que le travail d’analyse, de propositions, n’a pas été fait. On n’a pas pris en compte un certain nombre de changements dans la société », regrette Laurence Harribey. « Nombre d’élus locaux n’ont pas voulu se mouiller dans cette élection, comme si un marquage national pouvait mettre en péril leur travail : c’est révélateur d’un malaise de fond. »

Gilbert Roger, qui avait rendu sa carte d’adhérent il y a deux ans à cause de la gestion des sénatoriales dans son département de la Seine-Saint-Denis, se montre encore plus cash. « Il est vrai qu’on peut se demander pourquoi la direction nationale du PS ne démissionne pas en bloc, quitte à assurer les affaires courantes. Michel Rocard avait démissionné, Lionel Jospin aussi », rappelle l’ancien maire de Bondy, du haut de ses plus de 40 années de militantisme. Les temps changent.

« On a une direction nationale qui ne fait plus son travail d’animateur. On a abandonné le lien avec le terrain, il faut que les socialistes arrêtent d’être dans l’entre-soi. Il y a quelques collègues parisiens qui ne l’ont pas compris », renchérit l’un des nouveaux visages du groupe. Ce parlementaire va même jusqu’à s’interroger sur les choix du groupe. « J’ai l’impression qu’en réunion de groupe, on pose des sujets prioritaires qui ne sont pas les priorités des Français », lâche-t-il.

Pour la sénatrice Laurence Harribey (Gironde), la prise de conscience sur le « laminage des partis traditionnels » doit s’accélérer. « On s’est même dit à un moment que 70 % des sénateurs représentaient moins de 10 % de l’électorat, c’est vrai que ça pose question. On peut difficilement ne pas regarder les choses et ne pas réécrire nos logiciels. »

« Je ne garderais pas le groupe dans ce format-là », se projette un sénateur

Mais jusqu’où aller dans la rénovation ? L’un des membres du groupe préconise une remise à plat totale et s’inquiète de l’attachement de certains collègues au nom, à la « marque » socialiste. « Certains ne veulent pas renier leur identité. » Ce sénateur non encarté estime que cette recomposition à gauche ne doit pas épargner non plus le Sénat. « Je ne garderais pas le groupe dans ce format-là », estime-t-il. Ce témoin juge la réunion du jour « déprimante ».

« J’en suis maintenant depuis plusieurs années à me dire qu’il faut créer les conditions d’une autre organisation politique », est également d’avis Gilbert Roger. Selon lui, la « lente agonie » du PS « s’accélère ». Pour l’heure, le sénateur de la Seine-Saint-Denis espère un vrai processus de rupture dans les prochaines semaines. « Ceux qu’on appelle les grands chefs à plume pensent que tout va se reconstruire avec trois séminaires et quatre réunions. »

À douze jours du premier tour, d’autres retiennent le mot d’ordre de mobilisation dans cette campagne d’entre-deux-tours. « La priorité, c’est le second tour, c’est battre Le Pen », résume un sénateur normand. Pour Patrick Kanner, il est important de « ne pas oublier cette étape ». « Il y a un état d’esprit de grande inquiétude. Emmanuel Macron ne réalise pas que la Marine Le Pen d’aujourd’hui n’est plus celle d’il y a cinq ans », se soucie Laurence Harribey. L’heure est d’abord à convaincre les abstentionnistes ou les électeurs de Jean-Luc Mélenchon d’empêcher une victoire du Rassemblement national. « On a les yeux rivés sur le second tour, chaque chose en son temps. Après : rassembler plus large pour les législatives, après on refait la maison », rappelle Marie-Arlette Carlotti.

Patrick Kanner a également ce rendez-vous en tête. « Il faudra les préparer, dans des accords de parti à parti ». Socialistes et écologistes doivent notamment se rencontrer dans les prochaines heures. « Nous ferons tout pour qu’il y ait un groupe qui existe et pèse pour l’avenir de la gauche au sein de l’Assemblée nationale. Je peux vous dire que les sénateurs socialistes ont envie d’aller soutenir leurs collègues qui iront au combat. » Pour rappel, les députés socialistes sont actuellement 28 (dont 3 apparentés), le seuil minimum pour former un groupe étant fixé à 15. Les législatives pourraient conduire à de nouvelles réunions de groupe, potentiellement plus animées. « Les législatives seront un temps de catharsis », pressent le sénateur Gilbert Roger.

 

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