Discriminations à l’embauche : le retour du «Name and shame»

Discriminations à l’embauche : le retour du «Name and shame»

Dans le cadre de son plan pour la politique de la ville, Emmanuel Macron a annoncé qu’il pénaliserait « la discrimination à l’embauche. » Le testing déjà employé par le précédent gouvernement, avait conduit à un constat sans appel sur l’ampleur de ces discriminations.
Public Sénat

Par Héléna Berkaoui

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Comme à son habitude le président de la République n’a pas été avare de mots pour dévoiler son plan pour la politique de la Ville. Dans un discours fleuve, tenu à Tourcoing, Emmanuel Macron a déclaré que dans « la lutte contre les discriminations (…) la clef, la réponse c’est de pénaliser les entreprises. » Il souhaite étendre les campagnes de testing des entreprises privées et rendre « public (les noms des) entreprises qui ont les pires pratiques » discriminantes. Des méthodes déjà utilisées par le gouvernement précédent.

Testing : Une méthode coûteuse pour quels résultats ?

Le testing, comme son nom l’indique, consiste à tester les entreprises. Il s’agit donc d’envoyer des curriculum vitae fictifs à des entreprises afin d’évaluer l’ampleur de la discrimination à l’embauche. L’ancien ministre de la Ville, Patrick Kanner et Myriam El Khomri, alors ministre du travail avaient déjà expérimenté cette méthode. Le précédent gouvernement avait, lui, choisi de ne révéler l’identité des entreprises que si ces dernières ne corrigeaient pas ces pratiques.

Le résultat du testing menée en 2016 était alarmant. Sur 40 entreprises testées douze étaient « nettement discriminantes » à l’égard des candidatures dites « maghrébines. » Dans les pires entreprises l’écart de réponses positives entre un candidat « hexagonal » et un candidat « maghrébin » atteint 35 points. Autrement dit, un candidat non —« maghrébin » a 35 % fois plus de chances d’y être embauché. À noter que ces discriminations coûtent cher à l’économie. Dans un rapport remis à Myriam El Khomri en 2016, France Stratégie chiffrait le coût « des seules inégalités d’accès à l’emploi et aux postes qualifiés à près de 150.000 milliards d’euros. »

Selon les révélations du Bondy blog, cette méthode a un coût. Le testing mené par le précédent gouvernement avait coûté 204.800 euros au ministère du Travail pour des résultats contestés. Patrick Kanner souligne qu’une campagne de sensibilisation avait été conduite parallèlement. C’était « une démarche préventive et de sensibilisation » précise-t-il. La ministre du Travail de l’époque avait reçu les représentants des entreprises testées mais il n’y avait pas eu de poursuites judiciaires. Seules les entreprises les plus discriminantes ont été sommées de rendre des plans d’actions correctives. Mandaté par la ministre, le cabinet d’audit Vigeo Eiris avait analysé ces plans d’actions. Seuls ceux de l’hôtelier Accor et de Courtepaille n'avaient pas été jugés satisfaisants. En conséquence, Myriam El Khomri avait utilisé la méthode aujourd’hui préconisée par Emmanuel Macron, le name and shame.

Une difficile « pénalisation » des entreprises

Emmanuel Macron a donc promis de pénaliser les entreprises qui se rendaient coupables de discrimination à l’embauche. Pas de pénalité juridique ou financière mais une méthode tout droit venue du monde anglo-saxon, le name and shame. En bon français, le nommer et couvrir de honte. Le président de République s’était déjà livré à cet exercice lorsqu’il était ministre de l’Économie. En novembre 2016, il avait rendu publique les noms des cinq grandes entreprises qui étouffaient leurs fournisseurs en ne les payant pas dans les délais. Cette pratique pourrait lui permettre de dépasser le blocage juridique qui empêche les poursuites pénales. Lors de la précédente opération testing le ministère ne pouvait poursuivre les entreprises à cause du caractère fictif des curriculums vitae.

En juin 2008, le président de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) avait déjà épinglé 3 entreprises – Accor, le Crédit agricole et Mercuri Urval - pour discrimination à l’embauche. À l’issue d’un grand testing, le président de la  Halde à l’époque, Jean-Louis Schweitzer avait révélé chez ces sociétés « des différences de traitement » au détriment des candidats d’origine africaine. Les entreprises épinglées avaient vivement critiqué ce testing jusque dans sa méthode. Accor avait également menacé la Halde de poursuites judiciaires devant le Conseil d’État.

Mais qu’en sera-t-il des petites structures qui ont moins à craindre  pour leur réputation ? Le sociologue et directeur de l'observatoire des discriminations, Jean-François Amadieu, expliqué sur Europe 1 en mars dernier que « pour que cela fonctionne, il faut » que les entreprises aient « une image de marque » à préserver. Il souligne surtout que les études démontrent que nuire à la réputation d’une entreprise n’a pas d’incidence. Le sociologue met également en garde sur les limites de ces testing qui ignorent certaines discriminations comme l’âge, le sexe ou le poids. Jean-François Amadieu préconisait davantage un changement des modes de recrutement avec un CV moins « indiscret. »

Le CV anonyme trop vite enterré ? 

Le CV anonyme a fait l’objet de longs débats en France. L’ancien ministre de la Ville nous confie ne pas y être favorable car il le juge inefficace. Adopté en 2006, le CV anonyme n’a jamais été appliqué. À la suite d’un rapport remettant en cause son efficacité, François Rebsamen, l’ancien ministre du Travail de François Hollande, l’avait abrogé en 2016. Christelle Martin Lacroux, maître de conférences en sciences de gestion à l’université de Grenoble plaide, elle, pour le retour du CV anonyme. Un point de vue qu’elle développe dans une tribune, « le CV anonyme, une bonne idée trop vite enterrée » publiée sur le site Conversation. Selon Christelle Martin Lacroux « cette méthode est facile, peu coûteuse et efficace. » Elle affirme qu’anonymiser les CV « permettrait aux candidats les plus exposés aux discriminations de franchir l’étape la plus sélective du processus de sélection. »

Le président de la République devrait préciser sa méthode pour lutter contre les discriminations à l’embauche. Emmanuel Macron a également annoncé qu’il renforcerait les moyens de l’inspection du travail.

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