Elizabeth II est morte : retour sur 70 ans de règne

Elizabeth II est morte : retour sur 70 ans de règne

Elizabeth II est morte jeudi 8 septembre à 96 ans. Montée sur le trône à 25 ans, la souveraine était progressivement devenue pour les Britanniques une figure de stabilité au milieu des aléas du XXe et du XXIe siècle. Mais aussi le pilier d’une famille royale qui n’a pas été épargnée par les scandales au cours des dernières décennies.
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« London bridge is down ». L’usage veut que ce soit par cette formule codée – « Le pont de Londres est tombé » – que la nouvelle Première ministre du Royaume-Uni, Liz Truss, a été informée par Buckingham de la mort de la reine d’Angleterre. Elisabeth II a rendu son dernier soupir ce 8 septembre à 96 ans, depuis sa résidence écossaise de Balmoral après 70 ans, 7 mois et 2 jours de règne, le plus long de l’histoire britannique. Elle était le plus vieux monarque régnant du monde. Ces derniers mois, l’état de santé préoccupant de la souveraine bousculait régulièrement l’actualité outre-Manche. Apparaissant très affaiblie depuis le décès de son époux le prince Philip, le 9 avril 2021, elle avait été brièvement hospitalisée à l’automne dernier, sans plus de détails.

« Toute ma vie, qu’elle soit longue ou courte, sera dédiée à votre service et au service de notre grande famille du Commonwealth, empire auquel nous appartenons tous », avait déclaré le 21 avril 1947 celle qui n’était encore qu’héritière de la couronne. Avec sa mort disparaît un témoin privilégié de l’histoire du XXe siècle, du Blitz jusqu’au Brexit, en passant par la Guerre froide et la décennie Thatcher. Tout au long de ce parcours fleuve, elle est apparue comme une figure de stabilité, sans rôle politique réel, garante de l’image de la couronne et ce malgré les scandales qui ont pu éclabousser son entourage et l’institution, notamment les frasques de sa sœur Margaret, les déchirements du couple Charles-Diana dans les années 1990, plus récemment l’éloignement du prince Harry et de Meghan ou encore la mise en cause de son fils Andrew dans l’affaire Epstein.

Une jeunesse bousculée par la guerre

Élizabeth Alexandra Mary est née le 21 avril 1926. À l’époque, rien ne destine la fille aînée du duc et de la duchesse d’York à accéder au trône. C’est son oncle, Edouard, qui revêt la couronne à la mort du roi George V, le 20 janvier 1936. Moins d’un an plus tard, le destin de la petite Elizabeth bascule. Par amour pour Wallis Simpson, une Américaine divorcée, Edouard VII abdique – un événement qui a durablement traumatisé la couronne -, son frère, le duc d’York, accède au trône sous le nom de George VI et sa fille devient l’héritière en titre.

L’éducation d’Elizabeth, comme celle de sa sœur Margaret, est assurée par une gouvernante et des précepteurs. Elle passe une partie de la guerre dans les châteaux de Balmoral et Sandringham alors que l’aviation allemande multiplie les raids sur les villes anglaises. Durant les derniers mois du conflit, à l’âge de 17 ans, elle intègre l’Auxiliary Territorial Service où elle est formée à la mécanique. Elle s’occupe entre autres de la réparation des moteurs de camions. La reine, qui n’a jamais passé son permis, a souvent été photographiée au volant de sa Range Rover, parcourant l’un de ses domaines, et ce jusqu’à un âge avancé.

Un mariage d’amour

Elizabeth épouse le 20 novembre 1947 son cousin germain Philip de Grèce et de Danemark. La légende veut qu’elle soit tombée amoureuse de ce séduisant cadet, de cinq ans son aîné, à l’âge de 13 ans, alors qu’elle accompagnait son père, le roi George VI, pour une inspection au Royal Naval College. « C’est mon roc. Il a tout simplement été ma force et mon soutien », résume la souveraine en 2011, après 64 ans de mariage. Cet homme au tempérament ombrageux, souvent épinglé pour son humour misogyne, parfois raciste, contraint de marcher deux pas derrière sa royale épouse, a aussi contribué à moderniser l’image des Windsor, encourageant par exemple la reine à se laisser filmer par la télévision. Ou bien exigeant que leurs quatre enfants - Charles, Anne, Andrew et Edward – soient scolarisés en pensionnat avec d’autres élèves de leur âge, loin donc des traditionnels précepteurs et autres nannies.

God save the Queen !

Le roi George VI succombe le 6 février 1952 à un cancer du poumon. Seize mois plus tard, le 2 juin 1953, Elizabeth II est couronnée en l’abbaye de Westminster. L’évènement est retransmis en « mondovision » dans huit pays, suivi par près de 300 millions de téléspectateurs. La télévision fait son entrée dans de nombreux foyers britanniques à cette occasion. Elizabeth II remonte l’allée centrale dans une robe de satin blanc imaginée par le couturier Norman Hartnell. Sur son corsage et sa jupe, des broderies d’or et d’argent reprennent les emblèmes floraux des principaux territoires de l’empire britannique : l’Irlande du Nord, l’Ecosse, le Pays de Galles, le Canada, la Nouvelle-Zélande ou encore le Sri Lanka. Une touche française : des escarpins en chevreau d’or signés Roger Vivier, célèbre pour ses collaborations avec Christian Dior. La cérémonie dure pratiquement 3 heures. La future reine s’était entraînée les jours précédents à porter la lourde couronne impériale - presque un kilo d’or, de diamants, de perles, de saphirs et d’émeraudes ! – pour éviter tout incident le D-day.

Durant les premiers mois de son règne, Elizabeth II est épaulée par les conseils d’un autre géant du XXe siècle : Sir Winston Churchill. La reine a connu quinze premiers ministres. Elle accorde chaque semaine une audience privée au chef du gouvernement. D’ailleurs, c’est elle qui officialise sa nomination, l’une des rares parcelles de pouvoir que lui laisse le Parlement. Deux jours avant sa mort, elle s’était encore pliée au rituel, en recevant à Balmoral Liz Truss fraîchement élue. Les dossiers importants lui sont transmis via les fameuses boîtes rouges qui font la navette entre Buckingham et le 10, Downing Street. La reine écoute, questionne, conseille son Premier ministre… ses interventions ne vont pas plus loin. On l’a dit proche des idées d’une droite modérée. Outre Churchill, elle aurait entretenu d’excellentes relations avec Anthony Eden et Harold Macmillan. Inversement, ses rapports prétendument houleux avec l’indéboulonnable Margaret Thatcher ont nourri de nombreuses spéculations.

Pendant cinquante ans, ses nombreux déplacements à travers les Etats du Commonwealth visent à maintenir un sentiment d’unité au sein d’un ensemble – l’ancien empire britannique – chamboulé par le processus de décolonisation. Selon le Premier ministre canadien Brian Mulroney, elle aurait également joué un rôle dans la fin de l’apartheid en Afrique du Sud. Elizabeth II effectue en 2011 la première visite d’un souverain britannique en Irlande depuis 1922. On se souvient également de sa première réaction après le séisme du Brexit, avec cette phrase lancée au Premier ministre d’Irlande du Nord qui lui demande comment elle va : « Je suis toujours en vie, ha ! ».

>> Lire notre article - Il y a 18 ans, la reine était en visite au Sénat

Des chevaux et des chiens

Sur un plan plus personnel, la reine se passionne pour l’équitation et les courses hippiques. Elle possède d’ailleurs sa propre écurie de course. En 2020, la presse britannique estime à 8,7 millions d’euros les sommes que lui auraient rapportées ses pur-sang durant les trente dernières années. Elizabeth II était encore apparue à cheval à 94 ans, au lendemain du premier confinement. La reine est également connue pour son amour des corgis. Le premier lui a été offert à l’adolescence. Depuis, au moins trois générations de chiens se sont succédé à ses côtés. On a même dit qu’Elizabeth II était à l’origine des « dorgi », un croisement entre l’un de ses corgis et le teckel de la princesse Margaret.

Les années sombres

À la fin des années 1980, les nuages s’amoncellent autour de sa couronne. Il y a d’abord eu les problèmes d’alcoolisme de sa sœur, qui multiplie les séjours à l’hôpital. Puis ce sont deux mariages qui volent en éclat : celui de sa fille Anne avec le cavalier Mark Phillips, et celui de Charles avec Diana Spencer. Loin du conte de fées, la princesse de Galle se réfugie dans la boulimie, multiplie les aventures extra-conjugales pour oublier les infidélités de son mari avec Camilla Parker-Bowles, l’épouse d’un officier des Horse Guards. Les tabloïds en font leurs choux gras. En 1992, la séparation est officialisée. La même année, une partie du château de Windsor est ravagée par un incendie. « Annus horribilis », dira la reine.

Mais le pire reste à venir. En 1995, une interview accordée par Diana à la BBC fait l’effet d’une bombe : la princesse y dresse un portrait au vitriol de la famille royale et remet en cause la capacité du prince Charles à régner. Deux ans plus tard, Diana disparaît dans un accident de voiture à Paris. L’émotion est immense, la foule se presse devant les grilles des résidences royales. La reine mettra pourtant une semaine avant de s’exprimer, au grand désespoir de Tony Blair. « Je n’étais pas sûr de dire à la reine les choses aussi clairement et franchement qu’il le fallait. C’est pourquoi je me suis tourné vers Charles. Nous étions sur la même longueur d’onde. La reine devait prendre la parole et la famille royale se montrer », a écrit l’ancien Premier ministre dans ses mémoires. Pour de nombreux commentateurs, il s’agit de la crise la plus grave qu’elle ait traversée durant son règne.

Les dernières années

Au début des années 2000, après la disparition de la Reine mère puis de la princesse Margaret, une nouvelle génération s’impose sur le devant de la scène. Le mariage en grande pompe en 2011 du prince William et de Catherine Middleton fait souffler un vent de jeunesse sur la monarchie. Puis vient en 2018 celui du prince Harry et de l’actrice d’origine afro-américaine Meghan Markle. Deux ans plus tard, leur éloignement très commenté du cercle royal annonce une nouvelle période de turbulences. En 2021, le prince Andrew, accusé d’agressions sexuelles dans le cadre de l’affaire Epstein, est contraint de renoncer à ses titres militaires et parrainages d’associations.

Malgré tout, Elizabeth II, le pivot de « la firme » - surnom que s’attribue la famille royale -, atteint des records de popularité. Sans jamais renier de sa droiture aristocratique, elle s’était autorisée ces dernières années quelques légèretés. Pour la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Londres, en 2012, on l’avait vu s’essayer (pour de faux) au saut en parachute aux côtés de l’acteur Daniel Craig, alias 007. En marge de son jubilé de platine, en juin dernier, elle avait même donné la réplique à l’ours Paddington dans un truculent court métrage tourné quelques mois plus tôt. « Joyeux Jubilé, Madame. Et merci… Merci pour tout », lui avait soufflé l’ourson.

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