Après 12 ans dans l’opposition, Les Républicains se retrouvent de manière inattendue au pouvoir au sein de ce qui devrait ressembler à une coalition. Aux journées parlementaires du parti à Annecy, les sénateurs ont prôné un travail législatif « constructif » avec leurs nouveaux alliés macronistes et philippistes. « On était en mort clinique. Et on se réveille du coma », se réjouit un sénateur.
Européennes : le soutien de Raffarin à LREM bouscule à nouveau les LR
Par Public Sénat
Publié le
The LREM need the Raffarin, to win, against the LR. On aurait presque envie de s’inspirer de l’une des célèbres formules de Jean-Pierre Raffarin, après sa décision de soutenir la liste de La République En Marche pour les élections européennes du 26 mai. L’ancien premier ministre en a fait l’annonce au Figaro, au moment où le chef de l’Etat se lance dans la campagne par la publication d’une tribune. L’ancien sénateur LR « adhère au constat, à la vision et au projet » d’Emmanuel Macron pour l’Europe. « C'est donc le projet du président que je soutiendrai sans aucune hésitation » explique-t-il au quotidien.
Retailleau : « La politique, c’est une addition et non pas des soustractions »
Chez les LR, son annonce n’est pas vécue comme une surprise. Ce qui n’empêche pas certains de critiquer ce choix qui va renforcer le camp adverse. « Le rassemblement en politique, c’est une évidence. Parce que la politique, c’est une addition et non pas des soustractions. Aujourd’hui, la France est désunie et tout ce qui peut permettre de rassembler est quelque chose de positif. En revanche, je comprends mal la démarche. Commencer à renforcer la liste En marche, c’est-à-dire la liste que Monsieur Macron va soutenir, alors qu’il n’a jamais caché sa volonté de disloquer un peu plus la droite au moment des européennes, là, il y a un paradoxe » réagit auprès de Public Sénat Bruno Retailleau, avant la réunion hebdomadaire du groupe LR du Sénat, qu’il dirige. Regardez (images Jordan Klein) :
Invité lundi soir d’Audition publique, sur Public Sénat/LCP-AN, le député LR Eric Woerth, président de la commission des finances de l’Assemblée, a mis clairement en garde l’ancien premier ministre : « Si Jean-Pierre Raffarin soutenait une autre liste que LR, il ne serait plus dans LR » dit l’ancien ministre de Nicolas Sarkozy, laissant planer la menace d’une exclusion
« Ça ne doit pas attrister énormément Laurent Wauquiez. Ça clarifie les choses ».
L’annonce de Jean-Pierre Raffarin a sûrement été précipitée par sa convocation devant le bureau politique de LR le 12 mars. « Je ne suis pas sûr que c’était la bonne formule de convoquer un ancien premier ministre » glisse un sénateur LR. Laurent Wauquiez, à la tête de la formation, lui a en effet écrit pour lui demander de venir s’expliquer, alors que l’ancien sénateur a participé à plusieurs réunions à l’Elysée sur les européennes. Laurent Wauquiez a ainsi pris les devants et mis Jean-Pierre Raffarin au pied du mur.
« La clarification était nécessaire », a réagi sur France Inter François-Xavier Bellamy, tête de liste LR pour les européennes, contesté par une partie de la droite. « Ça ne doit pas attrister énormément Laurent Wauquiez. Ça clarifie les choses » confirme un sénateur. Mais au risque d’affaiblir la droite, ajoute le même : « Il faut bien être conscient que si on veut un jour reconquérir le pouvoir, il faudrait bien trouver un accord avec l’aile la plus modérée de la droite et du centre ».
« Un non-événement »
La sénatrice LR Sophie Primas, secrétaire générale adjointe du parti, préfère minimiser. « C’est une clarification de sa position. Ça fait des mois qu’il travaille à l’Elysée… Au moins c’est clair, il s’en va, il s’en va » lance la présidente de la commission des affaires économiques. Elle ajoute : « Pour moi, c’est un non-événement ».
Même volonté d’atténuer la portée de l’événement pour Roger Karoutchi, membre de la commission d’investiture qui doit arrêter le détail de la liste pour les européennes. « Que ce soit Jean-Pierre ou d’autres, est-ce que ça a un impact électoral ? Voilà le sujet. (…) Je déteste les départs. Sauf que quand quelqu’un dit « je me retire de la vie politique » et dit ensuite « je ne suis plus dans le parti », ce n’est pas dramatique. Ce n’est pas la même chose que quelqu’un qui est réellement dans la vie publique, (…) qui a réellement un poids encore sur l’opinion »… Le sénateur LR des Hauts-de-Seine défend le choix fait pour les européennes : « Après, on peut nous faire la leçon en disant Les Républicains devraient rassembler davantage. Moi je crois qu’on a fait le bon choix en mettant en trois Arnaud Danjean, un juppéiste, donc assez proche de Jean-Pierre Raffarin ». Regardez :
Certains auraient préféré une autre issue. Philippe Dallier, qui « a beaucoup de respect et d’affection pour Jean-Pierre Raffarin », « ne partage pas son choix ». Le vice-président LR du Sénat faisait partie, il y a quelques années, du petit groupe de sénateurs rassemblés autour de l’ancien premier ministre. On sent aussi une forme de déception chez son collègue du Rhône, François-Noël Buffet : « Je respecte sa décision. C’est vrai que j’aurais préféré qu’il reste parmi nous, au sein du mouvement, et qu’il nous fasse profiter de son talent ».
« Dans les départements, les effectifs sont devenus maigrichons et on n’est plus trop audible »
En prenant ses distances, l’ancien sénateur de la Vienne imagine déjà une suite, après les européennes, avec un « Epinay de la droite et du centre en rassemblant toutes les chapelles et toutes les personnalités (…) : celles de LR, comme Gérard Larcher, Valérie Pécresse, Bruno Retailleau, François Baroin, Christian Estrosi, et celles en dehors de LR, comme Xavier Bertrand, Dominique Bussereau, Franck Riester ». Autrement dit, un nouveau parti, bâti sur les cendres des Républicains.
Car certains pensent déjà à l’après. Si la liste LR réalise un mauvais score aux européennes, les choses pourraient tanguer pour Laurent Wauquiez, que beaucoup attendent au tournant. « Aujourd’hui, il y a beaucoup d’interrogations qui se posent sur l’avenir des LR. Il ne nous reste plus d’ancien premier ministre, à part Balladur. C’est terrible. Villepin était parti, Juppé est parti, maintenant Raffarin et Fillon a fui » énumère Jean-Pierre Grand, sénateur LR de l'Hérault, en son temps villepiniste. Il ajoute :
« Après les européennes, il faudra réfléchir à une ligne politique claire. Valérie Pécresse ne bouge pas trop, mais ça ne trompe personne. Ultérieurement, je pense que les choses vont bouger ».
« Peiné par ce qui se passe », Jean-Pierre Grand, qui a « adhéré au mouvement gaulliste à l’âge de 16 ans », constate la faiblesse du parti : « Sur le terrain, dans les départements, les effectifs sont devenus maigrichons et on n’est plus trop audible. Je respecte Laurent Wauquiez. Mais on ne sait pas trop où ça va. Si vous enlevez tous les gens porteurs d’une philosophie, ça pose un problème. Si tous les bons s’en vont, il reste tous les autres. La liste des départs est longue. C’est comme une entreprise qui perd ses clients. Peut-être que le produit qu’on vend n’est plus adapté au marché ».
Keller : « Les LR se replient sur eux-mêmes »
Il y en a une qui apprécie la décision de Jean-Pierre Raffarin. C’est Fabienne Keller. La sénatrice du Bas-Rhin a déjà quitté LR pour fonder Agir, avec le ministre Franck Riester. « Jean-Pierre Raffarin était venu nous soutenir lors de notre congrès. Il y a une grande convergence dans notre vision humaniste et pro européenne » souligne celle qui est encore sénatrice. Car sauf énorme surprise, elle sera sur la liste LREM pour les européennes, logiquement en position éligible. « Je viens d’être investie chef de file d’Agir, la droite constructive. Maintenant une discussion va s’engager entre les responsables (…) et la liste sera annoncée début avril » explique-t-elle à Public Sénat. Regardez :
A ses yeux, le choix de Jean-Pierre Raffarin n’est que la conséquence de la gestion de Laurent Wauquiez. « Ce qui est incroyable, c’est la violence de ce week-end. Laurent Wauquiez qui pose un ultimatum à Jean-Pierre Raffarin par le biais de la presse, sans lui parler, sans échanger avec lui. C’est peu respectueux d’un grand homme d’Etat qu’est Jean-Pierre Raffarin, fondateur de l’UMP. C’est une forme violente d’exclusion qui ne me surprend pas. (…) C’est tout à fait regrettable mais ça marque une nouvelle fois les LR, qui se replient sur eux-mêmes ».
Le choix de Jean-Pierre Raffarin n’est qu’une suite logique et attendue. Il a l’avantage de continuer le mouvement de clarification et de recomposition amorcé par la présidentielle, et de permettre à Laurent Wauquiez d’être plus libre encore pour assumer sa ligne. Mais le risque pour lui est de voir son parti se réduire comme une peau de chagrin, départ après départ.