Le ministre de l’Intérieur réfléchit à « une nouvelle incrimination pénale » visant l’islam politique. « L’islam politique est le principal obstacle à la cohésion de notre pays », soutient la sénatrice LR Jacqueline Eustache-Brinio. La centriste Nathalie Goulet conseille d’appliquer déjà le droit existant et de contrôler le financement des associations. A gauche, l’écologiste Guy Benarroche pointe l’absence de données chiffrées sur le sujet et la socialiste Corinne Narassiguin dénonce « une vision à géométrie variable de la laïcité ».
Garder le lien malgré le confinement : la difficile mission des éducateurs jeunesse
Par Fabien Recker
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Lucie* prend son mal en patience. Sur le point de démarrer une formation de coiffeuse, la jeune femme a dû mettre ses projets entre parenthèses. Elle venait d’achever une remise à niveau en français et en maths grâce à Pôle emploi. Elle avait même choisi une école où candidater. « Mais avec le confinement, tout est bloqué. J’espère que ca va bientôt s’arrêter, pour enfin m’inscrire à l’école ! »
Lucie est accompagnée par un éducateur de l’association « Chocolat chaud », basée à Bourg-en-Bresse (Ain). Depuis 1994, ce lieu d’accueil de jour s’adresse aux jeunes en difficulté. « J’étais à la rue » témoigne Lucie. « Un jour une amie m’a dit, si t’as pas déjeuné, je connais un endroit. C’est comme ça que j’ai connu “choc chaud”... »
Point fixe
L’association héberge le « Point d’accueil écoute jeunes » (PAEJ) de Bourg-en-Bresse. Pilotés par les services sociaux de l’Etat au niveau départemental, les PAEJ proposent un accueil inconditionnel et gratuit aux jeunes entre 12 et 25 ans, partout sur le territoire. « Le plus souvent, ce sont des jeunes qui ont des parcours fait de rupture, d’abandon. Qui ont navigué de structure en structure, d’institution en institution » explique Etienne Ponthus, le référent du PAEJ de Bourg-en-Bresse.
« Le PAEJ est là pour être un point fixe. Où les jeunes peuvent s’autoriser des va-et-vient » poursuit l’éducateur. « Ensuite on essaye de saisir le moment opportun pour enclencher une dynamique positive, un projet de vie en les orientant vers d'autres interlocuteurs ». Un temps marginalisés et menacés de disparition, les PAEJ ont vu leurs financements pérennisés à la faveur du « Plan pauvreté » mis en place par le gouvernement en 2018.
Quand il y a des conflits, on ne peut plus sortir
Mais le confinement complique le travail. « Les conditions de confinement ne sont pas les mêmes pour tout le monde. Cette période accentue les différences sociales » rappelle Alain Bouchon, directeur général de l’Association de la sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence de l’Ain (ADSEA 01). « Certaines familles vivent regroupées dans des lieux petits, parfois sans ordinateur ou sans connexion Internet correcte. Tout le télétravail mis en place par l’Education nationale est quasiment impossible à suivre pour des jeunes qui sont déjà en difficulté. »
Des difficultés qui font le quotidien de Laura*. A 24 ans, elle vit avec un père alcoolique et un petit frère qu’elle a « élevé toute seule ». La mère a démissionné. « Avec le confinement c’est encore plus compliqué avec mon père. Mon frère ne peut plus aller à l’école, et c’est difficile pour lui de travailler sur Internet dans cet environnement. Et quand il y a des conflits, on ne peut plus sortir, prendre l’air ou aller chez des amis » raconte la jeune femme.
Garder le lien, malgré le confinement
Même confinée, Laura garde un contact étroit avec Elodie Pique. Cette psychologue dirige le PAEJ de Carvin (Pas-de-Calais). « Au moment du confinement, on a été obligés de fermer » raconte Elodie Pique. « Après avoir annulé tous les rendez-vous avec les jeunes dans un premier temps, on a commencé à recontacter tout le monde pour prendre des nouvelles. » Pour Laura, ce lien est primordial. « Elodie me donne des conseils, m’aide à avancer en faisant une chose à la fois. On s'entend bien et ce qu’elle me dit me correspond. »
A Bourg-en-Bresse, on a même mis en place une permanence téléphonique pour remplacer l'accueil de jour. Mais le téléphone ne remplace pas un rendez-vous en tête-à-tête. « Certains ne veulent pas reprendre de suivi et préfèrent attendre la fin du confinement » témoigne Elodie Pique. « Pour d'autres, être à la maison avec les parents rend compliqué de parler. Quand on les reçoit, on instaure un climat de confiance. Ce qui est dit reste entre nous, on ne va pas le répéter aux parents. Or, ce climat de sécurité n'est pas forcément possible au téléphone. »
« Il va y avoir une perte »
Même constat de la part de Nicolas Bono, psychologue au PAEJ de Nemours (Seine-et-Marne). « Notamment les collégiens ont du mal à maintenir un lien quand il n’y a pas une présence physique » constate-t-il. Le contact avec les ados se limite souvent aux SMS, ce qui ne permet pas de poursuivre un travail en profondeur, amorcé avant le confinement. « Ceux qui sont confinés avec leur famille, quand je leur propose de les appeler, en général ils ne sont pas trop chauds. » A l’issue du confinement, « il va y avoir une perte, c’est sûr. Malgré les efforts pour garder un lien, le contenu des échanges n’y est pas. »
Parmis ceux qui maintiennent le contact, il y a Auguz. Âgé de 22 ans, le jeune homme vit chez ses parents et se décrit « en situation d’isolation sociale ». Ses rendez-vous hebdomadaires avec Nicolas Bono lui manquent. « Ca m’apportait beaucoup, le simple fait de sortir de chez moi, de me déplacer au rendez-vous ». Pendant le confinement, Auguz admet ne « pas faire grand chose » de ses journées. « Ca gèle un peu mes projets pour me prendre en main. C’est un peu embêtant. »
115
« Pour des personnes qui commençaient à émerger, à entrer dans une dynamique positive de retour à l’emploi, le confinement vient tout stopper et les replonge dans une forme d'incertitude et d’angoisse » souligne Etienne Ponthus, du PAEJ de Bourg-en-Bresse. Même constat chez Elodie Pique, à Carvin : « Des fois, c’est des mois et des mois de travail pour les lancer, les remettre dans quelque chose. Quand tout s’arrête, c’est compliqué. »
Mylena, 22 ans, est surtout contente de pouvoir souffler. « Quand le confinement est arrivé, on était à la rue » raconte la jeune femme. « On n’avait pas de quoi manger, pas d’argent, rien ». Grâce au 115 elle vit désormais dans une chambre d’hôtel avec son petit ami. Malgré le confinement, le couple reçoit régulièrement la visite d’Etienne, l’éducateur de l’association « Chocolat chaud ». « Il nous amène des tickets pour acheter de l’alimentaire, des produits d’hygiène. On en profite pour discuter, ca fait du bien au moral ! »
Pour certains, le confinement est une trêve
« Pour les personnes en grande précarité, le confinement a permis que des choses se mettent en place au niveau de l’hébergement d'urgence » constate Etienne Ponthus. A Bourg-en-Bresse, « toutes les personnes que nous suivons ont eu un hébergement. Des hôtels ont été réquisitionnés pour les personnes sans solution. Ce temps de confinement permet à des personnes en grande difficulté de souffler. C’est paradoxal » reconnaît l’éducateur, qui s'inquète de l'après. « Quand ça va s’arrêter, ça va être dur. La trêve hivernale a été prolongée, mais ensuite ? »
Malgré sa situation, Mylena impressionne par son optimisme. « Le confinement ? ca va! » rigole la jeune femme, qui travaille dans un restaurant associatif où l'on prépare des repas pour d’autres démunis. « Ce travail m’occupe. Et on doit sortir notre chienne quotidiennement. Je ne me plains pas trop! Mon copain, il s’ennuie plus que moi. Il devait chercher du travail, mais c’est compliqué avec le confinement. » Munie d’un BEP en service et commercialisation, Mylena a un nouveau projet professionnel. « Ce que je souhaiterais faire, c’est devenir éducatrice pour aider les gens dans le besoin. J’ai déjà travaillé avec des enfants. Je voudrais aider les gens comme on m’a aidée. »
*certains prénoms ont été modifiés