“Gilets jaunes”: la “haine” contre le “roi” Macron, moteur de la colère
"Il croit qu'il est Dieu". "C'est le roi. Il ne voit rien": sur les barrages à travers la France, c'est la personne même du président Emmanuel...
Par Clare BYRNE et Jacques KLOPP avec les bureaux de l'AFP
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"Il croit qu'il est Dieu". "C'est le roi. Il ne voit rien": sur les barrages à travers la France, c'est la personne même du président Emmanuel Macron qui nourrit la colère des "gilets jaunes".
"Emmanuel Macron, c'est un petit gamin à qui on a toujours dit +tu es le meilleur+. On ne lui a jamais dit +c’est pas bien+. Le type croit encore qu'il est Dieu": Claudio, 47 ans, bloque l'accès à un dépôt pétrolier près du Mans (ouest), avec une cinquantaine d'autres "gilets jaunes".
"Il mérite qu'on lui coupe la tête -- de manière symbolique bien sûr", ajoute ce père de famille.
La hausse des taxes sur les carburants, l'augmentation des impôts des retraités, la baisse du pouvoir d'achat font partie de la longue liste des doléances des "gilets jaunes" qui, vêtus de la veste fluorescente que doit posséder chaque automobiliste, manifestent depuis trois semaines, parfois violemment. Mais, au-delà, leur cible principale semble être le président lui-même.
Le président Emmanuel Macron (c) accompagné par le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner, le préfet de police de Paris Michel Delpuech (d) et le secrétaire d'Etat à l'Intérieur Laurent Nuñez (g), le 2 décembre 2018 à Paris au lendemain des violences des gilets jaunes
AFP/Archives
Ancien banquier de la très sélecte banque Rothschild, le plus jeune président français, élu en 2017 au terme d'une ascension météoritique, traîne une image de "président des riches", en particulier depuis qu'il a supprimé, dès son arrivée, un impôt qui frappait les plus grandes fortunes de France.
Surnommé "Jupiter", soit le Dieu des Dieux, mot qu'il avait lui-même employé, il a été régulièrement critiqué pour ses saillies jugées méprisantes.
Il avait notamment enjoint à des manifestants licenciés d'aller se chercher un travail "au lieu de foutre le bordel", et promis de ne rien céder, "ni aux fainéants, ni aux cyniques, ni aux extrêmes."
En visite mardi au Puy-en-Velay, une commune du centre de la France où des bâtiments officiels ont été incendiés, le président s'est fait huer par des "gilets jaunes", tandis que les insultes fusaient parmi les "Macron démission".
Manifestation de gilets jaunes, le 1er décembre 2018 à Paris
AFP/Archives
Un sondage de l'institut Elabe, diffusé mercredi, confirment que les "gilets jaunes" ont très peu voté Macron à la dernière élection présidentielle. Ainsi, 36% de ceux se disant "gilets jaunes" ont voté pour Marine Le Pen au premier tour, et 28% Jean-Luc Mélenchon, de la gauche radicale. Seuls 5% ont opté pour Emmanuel Macron.
- "Un jeu à deux" -
"Les mots qui reviennent à son sujet c'est +hautain+ et +autiste+. Entre nous, on les appelle les +têtologues+, des gens qui sont déconnectés de la réalité, de la base, des Français", dit Yves Garrec, l'un des porte-paroles des "gilets jaunes" de Toulouse (sud-ouest).
Manifestation de gilets jaunes, le 1er décembre 2018 à Marseille
AFP/Archives
"C'est vraiment Macron le problème. Les gens ont développé une haine, moi la première", rapporte Marine Charrette-Labadie, une chômeuse de 22 ans à Brive (centre).
Au péage de la sortie de l'A50 à La Ciotat (sud-est), Josette, une retraitée de 65 ans, se désole: "J'ai la haine contre cet homme et pourtant, j'ai voté pour lui au deuxième tour."
"C'est le roi. Il ne voit rien rien rien rien", enrage Philippe, 74 ans et chef de file d'un groupe de "gilets jaunes" qui filtre régulièrement la circulation dans la région du Mans.
"Ce n'est pas nouveau que tout converge vers le président", dit un proche de l’Élysée. La différence, estime Philippe Moreau-Chevrolet, spécialiste en communication politique, c'est qu'"Emmanuel Macron s'est placé, dès le début de son mandat, dans un jeu à deux: le président et les Français". Or cette politique "sans les corps intermédiaires, quasiment seul, avec un entourage inexpérimenté" amène, selon lui, "un dialogue anxiogène".
Manifestation de gilets jaunes, le 1er décembre 2018 à Paris
AFP/Archives
Ce face-à-face, personnalisé à outrance, s'exprime notamment lorsque les "gilets jaunes" disent vouloir "aller chercher Macron comme il nous l'a demandé", en référence à une phrase du président au moment de l'affaire Benalla, du nom d'un ancien collaborateur du président poursuivi pour violences.
Emmanuel Macron "qui systématiquement prend les Français de haut - c'est le sentiment qu'il donne - met de l'huile sur le feu", analysait récemment sur la chaîne Public Sénat Flore Santisteban, spécialiste des mouvements sociaux et enseignante à Sciences Po Paris. "Et donc cristallise une forme de haine" qui est même "plus que de la haine maintenant. C'est de la rage".
"Il est en train de mettre le feu au pays. La surdité du gouvernement amène l'hystérisation du mouvement à un niveau de paroxysme", estime Marc Beaulaton, un retraité de 59 ans qui se dit un des "pacifistes" du blocage près du Mans.
Depuis la nomination de Michel Barnier à Matignon, la ligne du Parti socialiste opposée à Olivier Faure multiplie les prises de parole tenant sa direction pour responsable dans l’échec de la nomination de Bernard Cazeneuve. Une accusation dont elle se défend, alors que le parti à la rose souhaite peser davantage à gauche.
Le nouveau locataire de Matignon consulte en vue de la nomination de son gouvernement. Côté LR, le nom du patron des sénateurs de droite, Bruno Retailleau, revient avec insistance. « Une hypothèse plus que possible », avance un sénateur LR, selon qui « on lui a demandé ». Mais rien n’est encore fait. Si des macronistes seront de la partie, les choses semblent bouchées à gauche.
Cela pourrait être le premier obstacle du gouvernement Barnier, avant même l’adoption du budget 2025 d’ici la fin de l’année. Les députés du Rassemblement national ont confirmé qu’ils entendaient déposer, dans le cadre de leur niche parlementaire prévue le 31 octobre, un texte d’abrogation de la réforme des retraites. Du côté du Nouveau Front populaire, qui proposait le retour de la retraite à 60 ans dans son programme, l’idée de devancer le RN en mettant une proposition similaire à l’ordre du jour dès l’ouverture de la session ordinaire à l’Assemblée fait aussi son chemin. Rien n’assure toutefois que les deux familles politiques joindraient leurs voix pour faire adopter un tel texte. « Nous ne serons pas condamnés à voter la proposition de loi de ces hypocrites, qui sont responsables du fait qu’aujourd’hui nous avons un partisan de la retraite à 65 ans à Matignon », fustigeait le sénateur communiste Ian Brossat, invité de la matinale de Public Sénat ce 9 septembre. Quelques minutes plus tard, sur le même plateau, le député Rassemblement national Sébastien Chenu rétorquait, accusant la gauche de « sectarisme ». Mathématiquement, la réforme des retraites, adoptée dans la douleur au mois de mars 2023, trouve tout de même une majorité contre elle à l’Assemblée. Face à ce constat, le nouveau Premier ministre Michel Barnier a donc tenté d’arrondir les angles en annonçant le 6 septembre, sur le plateau de TF1, son souhait d’ « ouvrir le débat sur l’amélioration de cette loi pour les personnes les plus fragiles », sans pour autant « tout remettre en cause ». « Il faut rouvrir les discussions, mais pas pour remettre en cause la réforme » Quelles « améliorations » le gouvernement Barnier pourrait-il apporter au texte ? Au sein de la droite et du bloc central, le retour à la retraite à 62 ans semble en tout cas exclu. « Il faut rouvrir les discussions, mais pas pour remettre en cause la réforme. On l’a votée avec beaucoup de difficultés, on garde les acquis », défend un cadre de la majorité sénatoriale. Quelques ajustements du texte ne sont donc pas à exclure, ne serait-ce que pour « répondre », estime-t-il, à l’initiative parlementaire du RN et aux syndicats, qui prévoient une manifestation le 1er octobre. La ligne rouge des 64 ans n’interdit pas, par ailleurs, de rediscuter d’autres points de la réforme. Au Sénat, l’introduction de nouvelles mesures sur l’emploi des seniors semble par exemple faire consensus au sein de la majorité. À l’occasion de l’examen du texte, la chambre haute s’était déjà exprimée en faveur de l’instauration d’un « index seniors », censé pousser les entreprises à davantage de transparence sur l’emploi des salariés en fin de carrière, et sur la création d’un « CDI seniors », nouveau contrat de travail exonéré de certaines cotisations. Les deux amendements avaient finalement été censurés par le Conseil constitutionnel. « Il faut reprendre cet aspect là des choses, pour associer à cette réforme des retraites un véritable changement de politique vis-à-vis de l’emploi des seniors. Il faut sans doute aussi travailler, en lien avec les partenaires sociaux, sur la question de la pénibilité notamment dans les métiers du bâtiment ou de l’aide à la personne », propose la sénatrice centriste Élisabeth Doineau. En revanche, pour la rapporteure générale du budget de la Sécurité sociale, une remise en cause complète de la réforme serait « suicidaire » : « Il faut être lucide face aux réalités budgétaires du pays, pour ne pas entraîner la France vers de nouvelles dépenses qui seraient un naufrage. » « Je ne vois pas sur quoi le débat peut reprendre si on élude la question des 64 ans » Les déclarations de Michel Barnier, qui a indiqué que les « améliorations » qu’il entendait proposer respecteraient « le cadre budgétaire », ont donc de quoi rassurer les défenseurs de la réforme. À gauche, l’accueil de l’annonce du nouveau Premier ministre est évidemment beaucoup plus froid. « Je ne vois pas sur quoi le débat peut reprendre si on élude la question des 64 ans, puisque l’essence même de cette réforme c’est le report de l’âge de départ à la retraite », dénonce la sénatrice Monique Lubin, qui défendait déjà en février dernier une proposition d’abrogation de la réforme. L’élue socialiste doute par ailleurs de la sincérité de l’initiative du nouveau Premier ministre, qui défendait du temps de la primaire des Républicains en 2021 un report de l’âge légal à 65 ans. « Sa déclaration me laisse songeuse. Je pense qu’elle a surtout pour but de donner des gages, de contrebalancer la tendance à droite de ce futur gouvernement, au moment où il cherche des ministres de centre-gauche pour le composer », estime Monique Lubin. Du côté des syndicats, le scepticisme est aussi de mise. Au micro de France Inter le 8 septembre, la secrétaire générale de la CFDT Marylise Léon a réclamé « a minima » une suspension de la réforme, le temps de la réouverture des discussions, pour bloquer l’augmentation progressive de l’âge de départ à la retraite. De son côté, la CGT a fait de l’abrogation de la réforme l’un des mots d’ordre de la journée de mobilisation syndicale du 1er octobre.
Alors que se tiennent mardi et mercredi les journées parlementaires des groupes Ensemble pour la République et Horizons, une incertitude planait sur la venue du Nouveau Premier ministre. Le parti d’Edouard Philippe a envoyé une invitation à Michel Barnier. Du côté du groupe Ensemble pour la République dirigé par Gabriel Attal, on semblait vouloir garder ses distances.