Grand débat national : les sénateurs ne veulent pas jouer la politique de la chaise vide

Grand débat national : les sénateurs ne veulent pas jouer la politique de la chaise vide

Même s’ils sont encore échaudés par la réflexion lancée par Emmanuel Macron sur l’avenir de leur assemblée, nombreux sont les sénateurs qui ne bouderont pas le grand débat. Au contraire, beaucoup comptent profiter de ces deux mois de consultation pour écouter, et se faire entendre.
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Rentrée intense pour les sénateurs. L’actualité est brûlante : pendant que les différents groupes parlementaires se réunissaient pour la première fois de l’année, le grand débat national, enclenché par l’exécutif comme une réponse au mouvement des gilets jaunes, se mettait sur les rails dans l’Eure.

Au Sénat, cette séquence est accueillie, avec souvent quelques réserves, mais aussi avec l’envie d’y participer. Pour certains, il s’agit d’une évidence. « Quand on nous invite à débattre, alors qu’on a beaucoup d’idées à proposer, beaucoup de choses à faire, ce serait bien curieux de faire la chaise vide », considère le sénateur de la Haute-Saône Alain Joyandet (LR). « Bien sûr », lance aussi la sénatrice des Pyrénées-Atlantiques Frédérique Espagnac (PS), qui ira écouter les « préoccupations des Français ». « On est ravi de voir le débat qui s’annonce. On y participera, aux côtés des maires. »

Grand débat national : « On est ravi de voir le débat qui s’annonce. On y participera », déclare Frédérique Espagnac
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Dans un communiqué, tout son groupe a annoncé sa « participation responsable et vigilante » à ce grand débat national. « Comment pourrions-nous tourner le dos à un dialogue avec les Français que les sénatrices et sénateurs socialistes demandent au président et au gouvernement depuis de nombreux mois, en vain jusqu’à ce jour », ont-ils expliqué. « C’est important qu’on puisse participer », expliquait aussi ce matin Bruno Retailleau, le président du groupe LR au Sénat, sur RMC. « La France traverse un moment qui est grave […] Il faut y participer car il y a trop de haine, il faut maintenant revenir au dialogue. La démocratie, c’est le débat », insistait le sénateur de la Vendée.

« Je ne serai pas sur le devant de la scène »

Au Sénat, chacun compte y participer de différentes manières, chacun à sa façon. Si je suis invitée dans mon territoire, à participer à des réunions publiques qui sont à l’initiative de nos concitoyens, j’y assisterai, mais je ne serai pas là sur le devant de la scène pour organiser ou pour diligenter les thèmes d’un débat », prévient la sénatrice (LR) Dominique Estrosi Sassone, qui voit sa place « dans l’assistance, au milieu des citoyens ».

Chez les centristes, Loïc Hervé considère qu’ « entraver le débat serait un tort ». Restant dans ses habits de représentant des collectivités locales, le sénateur de Haute-Savoie envisage les deux prochains mois, comme l’exercice du mandat sénatorial : aller au contact des élus locaux. « J’ai envie d’aller à la rencontre des élus, dans les intercommunalités, débattre de la partie du débat national qui concerne les collectivités, le fonctionnement de l’État dans les territoires ».

Mais être présent ne signifie pas y croire. Les doutes sur l’utilité réelle du grand débat national sont très prégnants à la Haute assemblée. « J’aime beaucoup les assemblées, j’ai même fait celle de 68, mais honnêtement ce n’est pas de ce type de débat que l’on peut attendre une décision. On peut attendre en revanche un diagnostic, un baromètre, des indicateurs. Des solutions, je n’y crois pas », avoue Gérard Longuet (LR).

Grand débat national : « ce n’est pas de ce type de débat que l’on peut attendre une décision »
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Un débat qui « ne va pas servir à grand-chose »

« Ce grand débat est un pare-feu », juge pour sa part le sénateur (LR) de l’Essonne, Jean-Raymond Hugonet, qui considère qu’aujourd’hui, « il ne va pas servir à grand-chose ». Il compte « l’investir à sa manière ». « Des idées, nous on en a beaucoup, surtout des envies pour notre pays. S’il faut s’exprimer, on s’exprimera. Et moi le premier. »

« Le grand débat ne va pas servir à grand chose », déclare le sénateur Jean-Raymond Hugonet
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Quelle issue pour le débat ? C’est la question qui taraudait Bruno Retailleau, le président du groupe, ce matin sur BFMTV et RMC. « Est-ce que c’est le grand capharnaüm ? Est-ce qu’on va nous mener en bateau, c’est-à-dire qu’on va débattre, proposer et  finalement il ne se passera rien, ou est-ce qu’Emmanuel Macron reprendra les conclusions ? »

Avant de penser à la restitution des deux mois d’échanges sur l’ensemble du territoire, ce sont la méthode et le cadre organisationnel du grand débat qui ont heurté les sénateurs. Beaucoup ont regretté le « cadrage trop précis » du débat, tel qu’il a été formulé en 35 questions dans la lettre aux Français d’Emmanuel Macron. L’une d’elles – en soumettant l’hypothèse d’une transformation du Sénat, au même plan que le Conseil économique, social et environnemental (Cese) – a particulièrement mis le feu aux poudres (relire notre article). La colère n’est pas retombée.

« Maladresse », « manque de maîtrise de la plume »

Certes, le choix n’a pas surpris les sénateurs, habitués à ce type de remise en cause, qui revient régulièrement dans le débat public : avec un dernier exemple en date, celui des revendications de certains gilets jaunes. À droite, comme à gauche, les sénateurs rappellent que c’est au palais du Luxembourg que la hausse de la taxe sur les carburants a été annulée.

Mais les sénateurs s’étonnent de l’orientation des questions institutionnelles. « Comme citoyen j’ai plutôt mal accueilli cette réflexion parce que la réflexion constitutionnelle porte aussi sur le Président, elle ne porte pas simplement sur le Parlement », réagit Gérard Longuet, qui voit dans la lettre présidentielle « un manque de maîtrise de la plume ». « À l’intérieur du Parlement, elle pourrait porter légitimement sur la signification de l’Assemblée nationale avec le quinquennat et le calendrier législatif qui gomme en réalité toute ouverture et toute liberté de l’Assemblée. »

Réformer l’exécutif, c’est aussi ce que suggère la sénatrice socialiste Laurence Rossignol. «  Si on met les institutions sur la table, on met tout sur la table, y compris l’exorbitant pouvoir présidentiel qu’il y a dans nos institutions sans contrepartie ».

Laurence Rossignol : « Si on met les institutions sur la table, on met tout sur la table, y-compris l’exorbitant pouvoir présidentiel »
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« Le président de la République trouvera le Sénat et les sénateurs sur son chemin »

« Maladresse » : le mot est aussi lâché dans la bouche de Dominique Estrosi-Sassone. « S’attaquer brutalement au Sénat pour se dire qu’on va peut-être calmer les gilets jaunes, je pense que c’est déplacé, maladroit. Poser des questions plus que d’autres ne me paraît pas de nature à être forcément très porteur d’apaisement », déclare-t-elle.

Avenir du Sénat : « C’est particulièrement maladroit de la part du président de la République », estime Dominique Estrosi Sassone
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D’autres mettent en garde le président de la République, dans la perspective du retour de la réforme institutionnelle au Parlement. « Ce serait une erreur capitale pour l’avenir du pays de supprimer le Sénat […] Si le président envisage éventuellement la suppression du Sénat, je peux vous dire que les parlementaires, on est un certain nombre à envisager très sérieusement une diminution des pouvoirs du président de la République », menace Alain Joyandet.

Alain Joyandet : « Ce serait une erreur capitale pour l’avenir du pays de supprimer le Sénat »
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« S’il s’agit de réduire les droits du Parlement et de moins bien représenter les collectivités territoriales dans le processus d’élaboration de la loi, alors à ce moment-là, je pense que le président de la République trouvera le Sénat et les sénateurs sur son chemin », ajoute Loïc Hervé (Union centriste). Le débat, du côté du Sénat, promet d’être animé.

Avenir du Sénat : « S’il s’agit de réduire les droits du Parlement, le président de la République trouvera le Sénat sur son chemin » (Loïc Hervé)
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