Grand oral marathon pour Macron devant des maires sans concession
Offensif, ancré sur ses réformes hormis quelques ouvertures, Emmanuel Macron a lancé mardi le grand débat national par un échange-marathon de...
Par Laurence BENHAMOU et Chloé COUPEAU
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Offensif, ancré sur ses réformes hormis quelques ouvertures, Emmanuel Macron a lancé mardi le grand débat national par un échange-marathon de près de sept heures avec 653 maires normands, qui témoignaient des "fractures" françaises.
"Nous pouvons faire du moment que traverse la France une chance", a souhaité le président devant les maires rassemblés dans le gymnase de Grand Bourgtheroulde (Eure), la première d'une dizaine de rencontres qu'il mènera dans toute la France, sa réponse politique à la crise des "gilets jaunes".
Après avoir promis en arrivant qu'il n'allait "pas parler longtemps, car l'objectif, c'est surtout de vous entendre", le chef de l'Etat a parlé pendant près de 3h30, répondant en détail à des questions pointues, et finissant par échanger des rires avec son auditoire d'abord méfiant.
Les maires l'ont longuement applaudi debout à la fin de l'échange, vers 22h10, quand il a prôné "une République de la délibération permanente".
"J'ai donné mon avis mais je n'ai fermé aucun sujet", a-t-il déclaré à l'AFP à la sortie. "J'ai beaucoup donné de faits, la réalité. Et j'ai donné un avis. Je dois me découvrir, avec sincérité", a-t-il dit, en promettant que durant ces deux mois ils rencontrerait aussi de simples citoyens.
Sa première sortie en région depuis un mois se déroulait sous haute sécurité. Aux cris de "Macron démission", une centaine de "gilets jaunes" s'étaient rassemblés à Grand Bourgtheroulde après avoir réussi à contourner les barrages. Les forces de l'ordre ont fait deux fois usage de gaz lacrymogènes pour les contenir et interpellé deux hommes.
Les forces de l'ordre face aux manifestants rassemblés à Grand Bourgtheroulde, le 15 janvier 2019
AFP
Pour la première fois, le chef de l'Etat a nommé publiquement les "gilets jaunes", ce qu'il avait évité depuis le début de leur mobilisation il y a deux mois.
- "Réagir plus fort" -
Cette crise est "une chance" pour "réagir plus fort" et continuer à réformer plus profondément, a-t-il plaidé, en se reprochant de ne pas avoir suffisamment impliqué les Français depuis son élection.
A Grand Bourgtheroulde, Emmanuel Macron a écouté les maires énumérer une longue liste des "doléances" de leurs administrés. "La France est malade. Il y a une grande souffrance", a témoigné l'un d'eux.
Emmanuel Macron écoute une élue lors du lancement du grand débat national devant les maires normands à Grand Bourgtheroulde, dans l'Eure, le 15 janvier 2018
AFP
Et les élus de citer le pouvoir d'achat, la justice fiscale, le niveau des retraites ou l'affaiblissement des services publics en milieu rural.
"Toutes ces fractures, on les a devant nous, et d'un seul coup, les choses s'effritent", a reconnu le chef de l'Etat, citant son prédécesseur Jacques Chirac et sa fracture sociale.
Courtois mais insistants, les élus ont suggéré plusieurs réformes: baisser la TVA sur les produits de première nécessité, rendre des compétences aux maires, rendre le vote obligatoire... D'autres en ont profité pour protester contre des normes. "Faites confiance aux maires", ont réclamé les élus, dont plusieurs ont vu dans les "gilets jaunes" l'exemple d'un "réveil démocratique".
Tombant la veste, debout au milieu des maires assis en rond autour de lui, Emmanuel Macron a défendu ses réformes, de la suppression de l'ISF à la hausse de la CSG. Et même la fermeture de la maternité de Bernay, un cas qu'il avait visiblement étudié. "Il est fort", commentaient nombre d'élus à la sortie.
Pour les convaincre, le président de la République a mêlé logique, chiffres et formules choc, parfois émaillées d'argot: "Il ne faut pas raconter de craques, c'est pas parce qu'on rétablira l'ISF que les gilets jaunes iront mieux. C'est de la pipe".
Du côté des ouvertures, il a admis qu'il pouvait y avoir des aménagements au décret limitant la vitesse à 80 km/h et qu’il pourrait rendre aux communes la délivrance de la carte d'identité ou de la carte grise. Il s'est dit aussi prêt à réviser la loi NOTRe sur l'organisation des collectivités, bête noire des maires.
- Acte II -
Le président s'est également dit d'accord pour "donner une place" aux référendums citoyens - l'une des principales revendications des "gilets jaunes" -- mais "pas sur tous les sujets". Le cas du Brexit "nous dit beaucoup sur ces référendums qui paraissent sympathiques".
"Sa majesté Jupiter étant toujours en train de parler en direct et depuis 15h sur toutes les chaînes d’infos du pays, on patiente en plateau sans être certain que le débat ait lieu...", a tweeté avec agacement vers 22 heures Jean-Luc Melenchon, coincé sur le plateau de CNews.
"Je tirerai des solutions véritables de ce débat car je veux en faire un acte II de mon mandat", a-t-il promis en conclusion.
L'enjeu est crucial pour Emmanuel Macron, qui compte reprendre l'initiative après deux mois de crise. Il aura fort à faire pour convaincre des Français méfiants, qui selon un sondage sont seulement 34% à croire que le débat permettra une sortie de crise.
L'opposition a elle critiqué la petite phrase qu'il a prononcé plus tôt devant le conseil municipal de Gagny (Eure), quand il a déclaré vouloir "responsabiliser" les personnes en situation de pauvreté car "il y en a qui font bien" et d'autres "qui déconnent".
"L'année 2019 débute comme elle s'est achevée. Des débats s'ouvrent mais toujours le même mépris pour les Français!", a dénoncé Valérie Soyer (LR). Olivier Faure, le patron du PS, a jugé "insupportable" cette "façon de jeter en pâture les plus faibles".
Depuis la nomination de Michel Barnier à Matignon, la ligne du Parti socialiste opposée à Olivier Faure multiplie les prises de parole tenant sa direction pour responsable dans l’échec de la nomination de Bernard Cazeneuve. Une accusation dont elle se défend, alors que le parti à la rose souhaite peser davantage à gauche.
Le nouveau locataire de Matignon consulte en vue de la nomination de son gouvernement. Côté LR, le nom du patron des sénateurs de droite, Bruno Retailleau, revient avec insistance. « Une hypothèse plus que possible », avance un sénateur LR, selon qui « on lui a demandé ». Mais rien n’est encore fait. Si des macronistes seront de la partie, les choses semblent bouchées à gauche.
Cela pourrait être le premier obstacle du gouvernement Barnier, avant même l’adoption du budget 2025 d’ici la fin de l’année. Les députés du Rassemblement national ont confirmé qu’ils entendaient déposer, dans le cadre de leur niche parlementaire prévue le 31 octobre, un texte d’abrogation de la réforme des retraites. Du côté du Nouveau Front populaire, qui proposait le retour de la retraite à 60 ans dans son programme, l’idée de devancer le RN en mettant une proposition similaire à l’ordre du jour dès l’ouverture de la session ordinaire à l’Assemblée fait aussi son chemin. Rien n’assure toutefois que les deux familles politiques joindraient leurs voix pour faire adopter un tel texte. « Nous ne serons pas condamnés à voter la proposition de loi de ces hypocrites, qui sont responsables du fait qu’aujourd’hui nous avons un partisan de la retraite à 65 ans à Matignon », fustigeait le sénateur communiste Ian Brossat, invité de la matinale de Public Sénat ce 9 septembre. Quelques minutes plus tard, sur le même plateau, le député Rassemblement national Sébastien Chenu rétorquait, accusant la gauche de « sectarisme ». Mathématiquement, la réforme des retraites, adoptée dans la douleur au mois de mars 2023, trouve tout de même une majorité contre elle à l’Assemblée. Face à ce constat, le nouveau Premier ministre Michel Barnier a donc tenté d’arrondir les angles en annonçant le 6 septembre, sur le plateau de TF1, son souhait d’ « ouvrir le débat sur l’amélioration de cette loi pour les personnes les plus fragiles », sans pour autant « tout remettre en cause ». « Il faut rouvrir les discussions, mais pas pour remettre en cause la réforme » Quelles « améliorations » le gouvernement Barnier pourrait-il apporter au texte ? Au sein de la droite et du bloc central, le retour à la retraite à 62 ans semble en tout cas exclu. « Il faut rouvrir les discussions, mais pas pour remettre en cause la réforme. On l’a votée avec beaucoup de difficultés, on garde les acquis », défend un cadre de la majorité sénatoriale. Quelques ajustements du texte ne sont donc pas à exclure, ne serait-ce que pour « répondre », estime-t-il, à l’initiative parlementaire du RN et aux syndicats, qui prévoient une manifestation le 1er octobre. La ligne rouge des 64 ans n’interdit pas, par ailleurs, de rediscuter d’autres points de la réforme. Au Sénat, l’introduction de nouvelles mesures sur l’emploi des seniors semble par exemple faire consensus au sein de la majorité. À l’occasion de l’examen du texte, la chambre haute s’était déjà exprimée en faveur de l’instauration d’un « index seniors », censé pousser les entreprises à davantage de transparence sur l’emploi des salariés en fin de carrière, et sur la création d’un « CDI seniors », nouveau contrat de travail exonéré de certaines cotisations. Les deux amendements avaient finalement été censurés par le Conseil constitutionnel. « Il faut reprendre cet aspect là des choses, pour associer à cette réforme des retraites un véritable changement de politique vis-à-vis de l’emploi des seniors. Il faut sans doute aussi travailler, en lien avec les partenaires sociaux, sur la question de la pénibilité notamment dans les métiers du bâtiment ou de l’aide à la personne », propose la sénatrice centriste Élisabeth Doineau. En revanche, pour la rapporteure générale du budget de la Sécurité sociale, une remise en cause complète de la réforme serait « suicidaire » : « Il faut être lucide face aux réalités budgétaires du pays, pour ne pas entraîner la France vers de nouvelles dépenses qui seraient un naufrage. » « Je ne vois pas sur quoi le débat peut reprendre si on élude la question des 64 ans » Les déclarations de Michel Barnier, qui a indiqué que les « améliorations » qu’il entendait proposer respecteraient « le cadre budgétaire », ont donc de quoi rassurer les défenseurs de la réforme. À gauche, l’accueil de l’annonce du nouveau Premier ministre est évidemment beaucoup plus froid. « Je ne vois pas sur quoi le débat peut reprendre si on élude la question des 64 ans, puisque l’essence même de cette réforme c’est le report de l’âge de départ à la retraite », dénonce la sénatrice Monique Lubin, qui défendait déjà en février dernier une proposition d’abrogation de la réforme. L’élue socialiste doute par ailleurs de la sincérité de l’initiative du nouveau Premier ministre, qui défendait du temps de la primaire des Républicains en 2021 un report de l’âge légal à 65 ans. « Sa déclaration me laisse songeuse. Je pense qu’elle a surtout pour but de donner des gages, de contrebalancer la tendance à droite de ce futur gouvernement, au moment où il cherche des ministres de centre-gauche pour le composer », estime Monique Lubin. Du côté des syndicats, le scepticisme est aussi de mise. Au micro de France Inter le 8 septembre, la secrétaire générale de la CFDT Marylise Léon a réclamé « a minima » une suspension de la réforme, le temps de la réouverture des discussions, pour bloquer l’augmentation progressive de l’âge de départ à la retraite. De son côté, la CGT a fait de l’abrogation de la réforme l’un des mots d’ordre de la journée de mobilisation syndicale du 1er octobre.
Alors que se tiennent mardi et mercredi les journées parlementaires des groupes Ensemble pour la République et Horizons, une incertitude planait sur la venue du Nouveau Premier ministre. Le parti d’Edouard Philippe a envoyé une invitation à Michel Barnier. Du côté du groupe Ensemble pour la République dirigé par Gabriel Attal, on semblait vouloir garder ses distances.