Guerre d’Algérie : la rue face au poids de l’histoire
18 mars 1962, les accords d’Evian sont signés, la guerre d’Algérie prend officiellement fin. Avec ses milliers de morts, elle est autant une source de traumatisme qu’un moyen de légitimation pour les élites politiques algériennes. Quelles sont les traces de la guerre dans la société algérienne contemporaine ? Près de 57 ans après la fin du conflit, comment est-il encore présent dans les revendications des manifestants aujourd'hui ?

Guerre d’Algérie : la rue face au poids de l’histoire

18 mars 1962, les accords d’Evian sont signés, la guerre d’Algérie prend officiellement fin. Avec ses milliers de morts, elle est autant une source de traumatisme qu’un moyen de légitimation pour les élites politiques algériennes. Quelles sont les traces de la guerre dans la société algérienne contemporaine ? Près de 57 ans après la fin du conflit, comment est-il encore présent dans les revendications des manifestants aujourd'hui ?
Public Sénat

Par Romain Vincent

Temps de lecture :

3 min

Publié le

Mis à jour le

Le souvenir de la guerre d’Algérie reste une plaie ouverte pour bon nombre d’Algériens. Aborder ce sujet peut être ainsi très problématique. Neïla Latrous, rédactrice en chef à Jeune Afrique en charge du Maghreb et du Moyen-Orient, fait part d’un secteur révélateur de ce phénomène : « cette période de la guerre d’Algérie est extrêmement difficile à traiter pour les journalistes, les historiens, le monde de la culture … ». En effet, elle affirme que « le ministère des moudjahidines, des anciens combattants, doit délivrer son autorisation pour faire un film sur la guerre d’Algérie », rendant ainsi impossible tout discours allant à l’encontre de celui produit par les autorités.

En 2019, comment une telle censure est-elle possible ? Naoufel Brahimi El Mili, politologue, répond : « ce ministère finance donc il valide ». Or, la culture cinématographique peut influencer la mémoire d’une guerre dans la population. Affronter l’ensemble des aspects de la guerre par la culture n’est pas rendu possible par ce fonctionnement algérien.

« Les Algériens ont été biberonnés à cette histoire »

Davantage qu’un discours commun élitiste sur le déroulé de la guerre, c’est l’ensemble de la population qui s’approprie cette mise en récit nationale : « les Algériens ont été biberonnés à cette histoire », estime l'historien Pierre Vermeren. Naoufel Brahimi El Mili, politologue, ajoute : « on dit que la France est un pays malade de la commémoration mais un pays est plus malade que nous : c’est l’Algérie ». Les discours sur la guerre permettent la création d’une unité nationale, au risque de s’éloigner de l’analyse historique de la guerre.

Extrait Un monde en docs - Algérie
01:02

Un des effets de cette guerre est parfaitement illustré par le fonctionnement de l’armée, estime Pierre Vermeren : « Cette guerre de l’ombre, entre les services secrets français et les services algériens, a rendu l’armée algérienne paranoïaque ». Le déroulé actuel des contestations résulte en partie de l’appropriation de la guerre d’Algérie : tant dans le fonctionnement de l’armée que par la réappropriation d’anciens combattants du FLN par des manifestants. Neïla Latrous témoigne : « dans les manifestations, on voit des portraits de révolutionnaires », et réciproquement, dans le discours du pouvoir, « on reste toujours dans cette idée d’infiltration [par l’armée française d’une tentative de déstabilisation du pays] ».

Un nouveau récit pour une nouvelle société ?

La contestation du pouvoir par la société algérienne est-elle donc condamnée à se construire dans l’ombre de la guerre d’Algérie ? Si cette dernière produit effectivement des effets dans les manifestations, Jean-Charles Jauffret, historien, spécialiste de la guerre d’Algérie, souligne cependant un changement majeur, déterminant : « il y a des jeunes qui en ont assez de la rente mémorielle sur laquelle le système est établi. Ils ont enfin le sentiment de toucher ce que les jeunes de la génération de 62 auraient touché : le chèque de la liberté ».

Partager cet article

Dans la même thématique

13-UNIS : la course en hommage aux 10 ans des attentats de novembre 2015
5min

Politique

Commémoration du 13 novembre : 10 ans après les attentats, la menace terroriste « s’accroît »

Alors que la France rend hommage aux victimes des attentats de Paris de 2015, le ministre de l’Intérieur a appelé les préfets à « renforcer les mesures de vigilance ». Le procureur national antiterroriste (Pnat) Olivier Christen, indique même que la menace terroriste, jihadiste, d’ultradroite ou émanant d’Etats étrangers « s’accroît ».

Le

France Paris Shooting
4min

Politique

Attentats du 13 novembre 2015 : dix ans après, comment les lois antiterroristes ont évolué ?

Dix ans après le traumatisme des attentats du 13 novembre 2015, le cadre juridique permettant la prévention et la répression d’actes terroristes a largement évolué. Après les attaques du Bataclan, des terrasses parisiennes et du Stade de France ayant fait 131 morts et plus de 400 blessés, la France avait basculé dans l’état d’urgence, un régime juridique d’exception qui a influencé les évolutions législatives.

Le

Guerre d’Algérie : la rue face au poids de l’histoire
4min

Politique

Immigration : Laurent Nunez a « bon espoir que le plan 3 000 places de centres de rétention administrative aboutisse en 2029 »

A l’approche de l’examen du budget, le ministre de l’Intérieur, Laurent Nunez était auditionné par commission des lois du Sénat a présenté des crédits en hausse pour la mission sécurité et immigration de son ministère. Il en a profité pour confirmer que l’objectif 3 000 places en des centres de rétention administrative, initialement prévu pour 2027, ne sera pas tenu, comme l’avait révélé un rapport du Sénat.

Le

5min

Politique

Budget : des sénateurs souhaitent assouplir le droit des successions pour favoriser les dons aux associations

Les sénateurs Bernard Jomier et Grégory Blanc (Place Publique) ont déposé un amendement au projet de loi de finances 2026, visant à élargir la liberté des légataires dans la transmission de leur patrimoine, pour favoriser les donations aux causes d’intérêt général. De quoi permettre un débat « le plus large possible » selon les élus, dans une séquence budgétaire intense.

Le