Haïti, prochain eldorado touristique ?

Haïti, prochain eldorado touristique ?

Plage de sable fin, eaux turquoise, soleil tout au long de l’année… situé au milieu d’un décor paradisiaque, les Caraïbes, Haïti est néanmoins l’un des pays les plus pauvres au monde et souvent perçu comme "un pays maudit". Du séisme destructeur en 2010 aux ouragans à répétition, ce pays victime de toutes les calamités tente aujourd’hui de redorer son blason : Le tourisme apparaît alors comme son dernier espoir.
Public Sénat

Par Priscillia Abereko

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Publié le

Sur les vingt-cinq nations qui produisent le moins de richesses en 2018, Haïti figure à la dix-neuvième position. Cette petite île des Caraïbes frappée par les cataclysmes à répétition, les soubresauts politiques, ou les épidémies peine à se relever des épreuves qui le touchent. Autrefois colonie la plus riche des Antilles, peine depuis plusieurs années à s’en sortir. Attirer les touristes comme son pays voisin, la République Dominicaine, apparaît comme son seul salut.

Officiellement, le développement du tourisme est la priorité du gouvernement haïtien depuis 2011. Mais dans les faits, outre les campagnes de communication et les défiscalisions pour attirer des investisseurs étrangers, l’État n’a pas pu réellement investir pour mettre en valeur les atouts du pays. Dès lors, c’est le secteur privé qui en devient le principal acteur.

Construire des hôtels de luxe, un pari sur l’avenir

Sur la côte des Arcadins, située à 1 h 30 de Port-au-Prince la capitale, huit hôtels de luxe se succèdent le long de la plage. Ce nouvel eldorado du tourisme entend donner une autre image du pays et contribuer nettement à l’économie locale.

Parmi ces établissements luxueux, il y a le Kaliko Beach Club : cet hôtel en bord de mer comprenant 55 chambres. Il est détenu par un groupe hôtelier américain qui a investi 15 millions de dollars pour sa rénovation. Piscine plus grande, bungalows modernes et transats « dernier cri », tout est conçu pour séduire la clientèle. Derrière sa chemise blanche en lin et son air décontracté, l’auteur de ce pari audacieux, Fritz, est très exigeant s’agissant de la décoration de son établissement : « On doit vraiment vérifier que nos chambres reflètent l’image de la marque, qu’elles reflètent qui nous sommes en Haïti. Nous proposons le même standing qu’en République dominicaine ou en Jamaïque, pour une fraction de ce qu’ils demandent ». Rien n’est donc laissé en hasard : de la position des transats, à la manière de disposer les accessoires dans les chambres tout doit être à sa place.

Même si l’an dernier, un million de touristes ont passé leurs vacances sur l’île, Haïti reste pour l’instant loin des records de fréquentation que connaît la République Dominicaine. En augmentant le standing de son hôtel, le responsable du Kaliko Beach Club espère renouer avec le passé glorieux du pays : « Dans le passé, Haïti était bien plus touristique que la République Dominicaine ou que n’importe quel autre pays des Caraïbes. On la surnommait ‘’Magique Haïti’’ ! On était numéro 1 du tourisme dans la région dans les années soixante. Et puis ça s’est effondré parce qu’on a eu beaucoup de problèmes ». Le retour du tourisme de masse, le nouveau propriétaire veut y croire et n’hésite pas à rassurer les quelques touristes encore réfractaires : « Tous les pays ont leurs mauvais côtés, que ce soient les États-Unis, la Jamaïque, partout, il y a des endroits où vous n’allez pas parce que vous savez qu’il va sans doute vous arriver quelque chose. Mais à part dans ces quartiers difficiles, en Haïti rien ne va se passer ».

Le tourisme, une source d’espoir pour les locaux

À une tout autre échelle, le tourisme contribue au retour de l’emploi sur l’île. De nombreux locaux, comme Islet Jean-François, plombier au sein du Kaliko Beach Club, sont ravis de l’arrivée des touristes : « Depuis que le tourisme se développe chez nous, je vis grâce au tourisme. Ça améliore vraiment la vie ici. Si les touristes ne viennent plus, tout s’écroule ! Pas que pour moi, pour tout le monde ici ». Tous prennent donc très à cœur, de rendre confortable et agréable le séjour de la clientèle, et prennent conscience de la chance qu’ils ont de travailler dans cet hôtel. Comme la majorité des 135 employés haïtiens, Islet vie au-dessus du salaire mensuel minimum du pays qui est de 74 euros : « J’ai trois fonctions à l’hôtel : jeter les ordures, vérifier les fosses septiques, les vider quand elles sont pleines, et en tant que plombier bien sûr ! Pour ça je gagne environ 350 dollars (292 euros) par mois ». Un salaire qui avoisinerait les 1 000 dollars (835 euros) lorsqu’il prend la casquette de guide touristique.

De même, le touriste crée des vocations. Si jusqu’à présent, les employés du secteur touristique étaient formés sur le tas, pour redevenir la perle des Antilles les hôteliers ont décidé de professionnaliser leurs personnels. Liline a 23 ans et est apprentie au sein du Kaliko Beach Club depuis trois mois. Pour elle, l’hôtellerie est une chance pour elle car c’est la seule possibilité de trouver un emploi dans la région : « Partir à l’étranger, la majorité des Haïtiens en rêve. Ils ont tout cela en tête, même s’ils n’ont pas les moyens de se payer le voyage. Ils pensent que partir à l’étranger leur permettra de réaliser leurs rêves, de faire ce qu’ils veulent ». Un choix que cette jeune femme ne voulait pas faire. Pour se former, elle rejoint l’école Vivario la seule école hôtelière de la région dans laquelle cent cinquante étudiants sont en formation. Construite en 2013 par une ONG, l’école ne reçoit aucune subvention et fonctionne uniquement grâce aux frais de scolarité des étudiants : une dizaine d’euros par mois pendant les deux années de formation. Un effort financier important pour espérer se construire un avenir.

Agriculture et tourisme, unis dans l’effort

Le tourisme haïtien emploi 3 500 personnes mais c’est toute l’économie du pays qui pourrait bénéficier de son développement à commencer par l’agriculture. Longtemps considéré comme le poumon de l’économie haïtienne grâce à ses exportations à travers le monde entier, elle est presque aujourd’hui totalement exsangue. Un constat amer que dresse Madame Inel, cultivatrice depuis 23 ans : « Sur cette terre, ce sont les bananes que nous cultivons le plus. On ne peut plus produire autre chose. Auparavant, ma famille cultivait d’autres fruits et légumes, ils ne faisaient pas que de la banane. Ils cultivaient des melons, du piment, du manioc… mais aujourd’hui il n’y a plus que les bananes qui réussissent à pousser ici ». Entre déforestation massive qui a appauvri les sols et concurrence des produits américains et dominicains à très bas coût, les agriculteurs haïtiens ont été asphyxiés.

Madame Inel, fournisseuse attitrée du Kaiko Beach Club doit néanmoins couvrir l’ensemble des besoins alimentaires et pour cela, elle n’hésite pas à se fournir ailleurs. Le but de ces hôtels luxueux, en achetant local, auprès de fournisseurs locaux est de permettre à l’argent de rester dans la région, une région délaissée par l’État.

Si le tourisme semble être la seule source d’espoir pour les Haïtiens, c’est parce que l’État haïtien apparaît totalement impuissant et n’est plus capable de venir en aide à sa population ou assurer les services publics de base comme l’éducation. Faute de pouvoir rémunérer les enseignants, ces derniers quittent leurs postes. Les Haïtiens les plus aisés, choisissent donc de mettre leurs enfants dans des écoles privées, comme Islet : « Je paie en moyenne 5 000 gourdes haïtiennes (67 euros) par enfant et par trimestre. Quand j‘ai décidé de les envoyer là-bas j’ai fait mes propres calculs. Je consacre un budget spécialement pour l’école. Quand je gagne de l’argent en travaillant à l’hôtel ou en tant que chauffeur, je le mets de côté pour leur école ». Un sacrifice qu’Islet est prêt à faire, pour donner une chance à ses enfants d’avoir un avenir meilleur et pourquoi pas un meilleur métier à l’étranger.

 

Retrouver l'intégralité de l'émission Les dessous de la mondialisation - Haïti, en voyage en terre d'espoir, mercredi 20 juin à 23h.

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