Harcèlement de rue : une amende à portée « symbolique » au risque d’un manque d’« efficacité »
Des députés ont remis un rapport où ils préconisent la création d’une amende de 90 euros pour « outrage sexiste ». Reste que la mesure risque d’être difficile à appliquer mais permettra de « poser un interdit pour la société ».

Harcèlement de rue : une amende à portée « symbolique » au risque d’un manque d’« efficacité »

Des députés ont remis un rapport où ils préconisent la création d’une amende de 90 euros pour « outrage sexiste ». Reste que la mesure risque d’être difficile à appliquer mais permettra de « poser un interdit pour la société ».
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Comment légiférer sur le harcèlement de rue ? Un rapport écrit par cinq députés, remis aux ministres de l'Intérieur, de la Justice, et à la secrétaire d'Etat à l'Egalité femmes-hommes, Marlène Schiappa, donne des réponses.

Ecrit par Sophie Auconie (UDI, Agir et Indépendants), Laëtitia Avia (LREM), Erwan Balanant (Modem), Elise Fajgeles (LREM) et Marietta Karamanli (Nouvelle gauche), le rapport devrait inspirer l’exécutif et alimentera le projet de loi à venir sur les violences sexistes et sexuelles. Il sera présenté en Conseil des ministres « fin mars », a annoncé ce matin sur LCI Marlène Schiappa, et non plus le 7 comme annoncé dans un premier temps.

Plutôt que de parler de harcèlement, trop restreint, les députés préconisent de créer une infraction d’« outrage sexiste ». Elle sanctionnerait d’une amende immédiate de 90 euros « tout propos, comportement ou pression à caractère sexiste ou sexuel » dans l'espace public. L’amende monterait à 200 euros pour un paiement sous 15 jours et 350 euros en peine majorée, selon l’AFP. Ce matin, Marlène Schiappa a affirmé que l’amende irait de « 90 à 750 euros », selon les cas.

Constaté « en flagrance » par la police de proximité

Pour les auteurs du rapport, l’infraction devrait être constatée « en flagrance », c'est-à-dire des faits évidents et constatés. Les députés proposent que les agents de la nouvelle police de proximité du quotidien soient chargés des constatations.

Les députés définissent cet outrage comme « le fait d'imposer, dans l'espace public, à raison du sexe, de l'identité ou de l'orientation sexuelle réelle ou supposée de la personne ou d'un groupe de personnes, tout propos ou comportement ou pression à caractère sexiste ou sexuelle qui soit porte atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit crée à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ».

« Avant la création de nouvelles infractions, il serait bon qu’on applique la loi sur le système prostitutionnel qui prévoit la pénalisation du client »

Ce nouvel arsenal judiciaire mettra-t-il un terme aux sifflets ou remarques obscènes que les femmes subissent ? La sénatrice PS Laurence Rossignol, ancienne ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes, a quelques doutes. « Avant la création de nouvelles infractions, il serait bon qu’on applique déjà la première loi contre les violences faites aux femmes, qui est la loi sur le système prostitutionnel, qui prévoit la pénalisation du client » affirme-t-elle à publicsenat.fr.

Pour elle, il s’agit d’agir sur la représentation qu’ont certains hommes de la femme. « Les hommes qui harcèlent, c’est parce qu’ils pensent que les femmes dans la rue sont des femmes disponibles. Il y a un lien entre harcèlement de rue et achat de service sexuel. Ce lien, c’est l’idée que les femmes qui sont sur la voie publique sont des femmes publiques. Cela vient d’une représentation archaïque, ancienne », soutient Laurence Rossignol. Elle souligne que la pénalisation du client est « appliquée par certains parquets, mais pas par tous. Donc il vaut mieux déjà appliquer la loi existante, c’est mieux. Ou alors le gouvernement doit dire s’il veut abroger la loi sur le système prostitutionnel ».

Quant à l’outrage sexiste en lui-même, « c’est une loi dont la portée est sur le plan symbolique, davantage qu’opérationnel » souligne la sénatrice PS, ajoutant que « ce n’est pas un défaut ». Mais les « circonstances où la contravention pourra être dressée seront assez peu nombreuses ». Autrement dit, « les hommes qui mettent une main aux fesses des filles devant les policiers, ce n’est pas fréquent… Mais la première vertu de cette loi sera de poser un interdit pour la société et de jouer un rôle pédagogique ».

« J’ai un peu peur que cette histoire de regard alimente la machine des réacs »

Pour le sénateur LR François-Noël Buffet, vice-président de la commission des lois, « sur le principe, cela (lui) paraît parfaitement normal et légitime qu’on agisse contre ce type de comportement. Mais le premier moyen passe par l’éducation des enfants. Ensuite, la question, c’est moins le principe que la mise en œuvre et son efficacité. Il faut que ce soit efficace, si on veut que ça porte ». Mais le sénateur du Rhône a lui aussi des doutes. « Attention à la mesure qui ne serait pas efficace. Car tous les effets recherchés seraient battus en brèche. En pratique, ça va être extrêmement compliqué » met en garde François-Noël Buffet. « Il faut faire attention, une loi qui n’est pas appliquée, devient méprisée et oubliée » confirme Laurence Rossignol. « Les mesures symboliques, le politique pense souvent que c’est nécessaire. Le législateur dit attention à ne pas mettre dans la loi trop de mesures symboliques. Ce n’est pas son rôle » ajoute François-Noël Buffet.

Dans leur rapport, les députés veulent « sanctionner, entre autres, les gestes déplacés, les sifflements, les regards insistants ou remarques obscènes, le fait de suivre volontairement à distance une personne créant ainsi une situation d'angoisse ». On touche là aux limites de l’applicabilité de l’outrage, pointe Laurence Rossignol : « Autant des mots, un geste c’est facile à définir. Apres, un regard, c’est plus difficile à appliquer ». Elle ajoute : « Tout ça est infiniment subjectif. J’ai un peu peur que cette histoire de regard redonne du grain à moudre à certains. Tout ça va alimenter la machine des réacs, qui pensent qu’on vit dans un monde où on ne peut plus se regarder ». Autre limite soulignée par l’ancienne ministre : « Seuls les Belges ont défini le sexisme dans la loi. En 3 ans, il n’y a eu que 25 contraventions dressées. Le risque est que certains résument le harcèlement au nombre de contravention ». Les députés préconisent aussi dans leur rapport des mesures de prévention et de sensibilisation à l’égalité entre filles et garçons. Des sujets qui devraient moins faire débat.

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