Il ne faudrait pas que le mouvement lancé dans le sillage de l’affaire Weinstein soit « un coup d’épée dans l’eau », prévient la présidente de la délégation aux Droits des femmes au Sénat, Annick Billon (UC). Sa délégation, constituée de 8 sénateurs et 28 sénatrices, enchaîne les auditions en vue du projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles prévue pour le premier semestre de cette année (consulter les précédentes auditions). Ce jeudi, c’est le Défenseur des droits, Jacques Toubon qui était auditionné.
« C’est contre cette idée d’une domination qui serait naturelle qu’il faut s’insurger », explique Jacques Toubon.
Le harcèlement sexuel et les agissements sexistes au travail étaient au centre des discussions, ce jeudi au palais du Luxembourg. « Très peu de femmes victimes de violences sexuelles ou de harcèlement vont en justice et ont gain de cause », rappelle Annick Billon. Si l’on en croit les résultats de l’enquête diligentée par le Défenseur des droits en 2015, seules 5% des victimes de harcèlement sexuel au travail portent plainte. Circonscrite au harcèlement dans le milieu professionnel, cette étude ne fait pas cas du harcèlement dans les transports en commun - 100% des utilisatrices affirment avoir été victimes au moins une fois dans leur vie de harcèlement sexiste ou d’agressions sexuelles, selon le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes - ou du harcèlement dans tout autre lieu.
Le Défenseur des droits suggère une simplification législative
« On constate aujourd’hui un très faible taux de recours contre ces faits », reconnaît Jacques Toubon. En écho, Annick Billon dénonce des chiffres tout bonnement « ridicules » et l’explique notamment par une procédure judiciaire qui s'apparente à « un véritable parcours du combattant. » Un constat partagé par le Défenseur des droits qui suggère une simplification législative. « Nous avons aujourd’hui trois définitions du harcèlement sexuel, l’une dans le Code pénal, l’autre dans le Code du travail et dans le statut de la fonction publique et puis une autre dans la loi sur les discriminations, probablement qu’il faudrait prendre la définition la plus englobante et tout réunir dans une seule définition », esquisse le Défenseur des droits.
Lutte contre le harcèlement sexuel : « le droit n’est pas suffisant », affirme Jacques Toubon
Mais « faciliter le parcours de la victime » en harmonisant les textes législatifs ne suffira pas, souligne le Défenseur des droits. « Il faut que les mentalités changent donc il y a un travail d’éducation, il y a un travail de formation approfondie. » À l’entendre, c’est une révolution culturelle qu’il faut opérer, on ne peut pas continuer « à penser que ça fait partie de la nature des choses que les hommes dominent les femmes. C’est contre cette idée d’une domination qui serait naturelle qu’il faut s’insurger », prévient l’ancien garde des Sceaux.
Et de poursuivre son analyse sociétale, « le droit n’est pas suffisant (…) parce qu’il repose sur des structures sociales (…) qui créent des rapports inégaux, des rapports de domination, le droit ne peut pas à lui seul faire face à ces rapports. Il faut s’attaquer à ces racines et ceci, c’est le travail de l’éducation. » Dans son rapport sur les Droits de l'enfant en 2017, le Défenseur des droits pointait d'ailleurs les lacunes de l'éducation sexuelle à l'école.
Une grande partie des associations féministes souscriraient à ce propos sans ciller. À un détail près : l’argent. « Il faut beaucoup d'argent pour faire bouger les choses, que ce soit pour réprimer les mauvais comportements ou développer la prévention », arguait la militante féministe, Clara Gonzales, dans les colonnes du JDD.
Selon les services statistiques du ministère de l’Intérieur, « Les viols et les autres agressions sexuelles (y compris harcèlement sexuel) portés à la connaissance et de la police et de la gendarmerie sont en nette hausse en 2017 (+12 % et +10 %). » Une augmentation attribuée à la libération de la parole déclenchée dans le sillage l’affaire Weinstein.