Henri Weber, un parcours symbolique de la génération de Mai 68 ?

Henri Weber, un parcours symbolique de la génération de Mai 68 ?

Figure de mai 1968 et de la jeunesse révolutionnaire jusqu’aux années 1980, Henri Weber a ensuite fait évoluer sa méthode d’action sans renoncer à ses idéaux. Passé de la culture de la violence à celle du compromis, il a rejoint le Parti socialiste et la social-démocratie. Continuité ou véritable rupture ? Cette trajectoire est-elle symbolique d’une génération ? Jérôme Chapuis et ses invités en débattent dans Un Monde en Docs, sur Public Sénat.
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Par Victor Missistrano

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« Je ne crois pas au meilleur des mondes, mais j’aspire à un monde meilleur ». Emporté en 2020 par le covid-19, Henri Weber aimait répéter cette formule pour illustrer sa vision de la politique. Sa pensée avait évolué à l’aune de son expérience de l’action et des transformations du monde. Fils de juifs polonais, le natif de Léninabad, en ex-URSS, a fait partie de cette jeunesse des années 1960 emplie d’idéaux. Dans un quartier latin en pleine ébullition, celui qui a grandi à Belleville était de toutes les manifestations et se prêtait volontiers au chahut. Du mouvement de Mai 1968, qu’il considérait comme une période « d’état de grâce et de communion absolue », Weber était l’un des leaders, mais surtout l’un des théoriciens. Un engagement poursuivi au sein de la Ligue Communiste Révolutionnaire.

Comme pour d’autres, ce qu’il qualifie de « radicalité de l’inexpérience », s’est atténué avec les années. Devenu social-démocrate, Henri Weber a choisi de privilégier la culture du compromis, et rejoint le Parti socialiste en 1986. Il a pris une part importante dans sa structure idéologique, et est devenu sénateur en 1995, puis député européen en 2004.

De la révolte à la réforme

Si passer de la révolution à la réforme atteste d’un véritable changement de conception, cette trajectoire est loin d’être marginale dans la classe politique. « Son parcours personnel est tout fait à l’image de celui d’une génération, qui a vécu la guerre d’Algérie, Mai 68, puis l’après 1981 et l’entrée progressive dans les cercles de pouvoir aux côtés du PS puis en son sein », analyse le politologue Bruno Cautrès. Au fil du temps, de nombreux soixante-huitards ont en effet adopté des engagements plus modérés.

Il n’a pas trahi son idéal, mais a considéré qu’il y avait d’autres chemins pour l’atteindre, David Assouline

Mais pour l’historienne Ludivine Bantigny, Henri Weber ne doit pas être considéré comme représentatif de cette génération : « Tout le monde ne passe pas de dirigeant révolutionnaire à membre du bureau politique du PS. Beaucoup de membres de cette génération sont restés fidèles à un espoir de révolution ». « Il n’a pas trahi son idéal, mais a considéré qu’il y avait d’autres chemins pour l’atteindre », tente de rectifier David Assouline, sénateur PS de Paris, pour qui ce virage ne constitue pas une rupture mais s’inscrit dans une continuité. « Henri a fait des compromis mais jamais de compromission ».

Bouleversements historiques

Ce virage est à mettre en perspective avec les évolutions politiques et historiques majeures de la fin du XXe siècle. Pour Bruno Cautrès, « ces trajectoires ont évolué au sein d’une époque où les idéologies se sont elles-mêmes transformées ». « Weber a été pris dans des forces qui nous dépassent tous », appuie l’essayiste David Djaïz. « 1968 caractérise un sommet de l’espérance révolutionnaire. Puis on assiste au début de désenchantement, de déchristianisation, et de reflux de l’influence du Parti communiste ». Pour Djaïz, haut fonctionnaire, Henri Weber était « un acteur et observateur de l’histoire de la France et du monde », dont le parcours est « symbolique de cette moitié du XXe siècle ».

Le parcours d’Henri Weber et la symbolique à lui accorder peuvent susciter des désaccords, mais sa personnalité attire la sympathie par-delà les idées. « Il avait une très haute idée de la politique, et le souci de lier la pensée et l’action, sans pour autant être un penseur hors-sol », témoigne avec admiration David Djaïz, qui regrette un paysage politique actuel au sein duquel beaucoup « ont la tête un peu vide ».


Retrouvez en replay sur notre site le documentaire Henri Weber, le rouge et la rose, ainsi que le débat animé par Jérôme Chapuis.

Pour aller plus loin :

Révolution, de Ludivine Bantigny, ed. Anamosa, 2019
1968., De grands soirs en petits matins, Ludivine Bantigny, ed. Seuil, 2018
Slow Démocratie, David Djaïz, ed. Allary 2019
Manifeste pour une échelle humaine, de David Djaïz avec le collectif les 40, ed. Bouquins, 2021

 

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