Inquiétude autour de l’avenir d’Anticor : « C’est scandaleux ! », dénoncent des sénateurs de gauche
L’association qui lutte contre la corruption attend toujours que son agrément soit renouvelé. Celui-ci lui permet d’agir en justice en se portant partie civile. Mais Matignon traîne et le bras de fer perdure… Des sénateurs de gauche s’en inquiètent.

Inquiétude autour de l’avenir d’Anticor : « C’est scandaleux ! », dénoncent des sénateurs de gauche

L’association qui lutte contre la corruption attend toujours que son agrément soit renouvelé. Celui-ci lui permet d’agir en justice en se portant partie civile. Mais Matignon traîne et le bras de fer perdure… Des sénateurs de gauche s’en inquiètent.
Public Sénat

Par Pierre Maurer

Temps de lecture :

5 min

Publié le

Mis à jour le

Benalla, Alstom, « les sondages de l’Elysée »… Autant d’affaires politico-judiciaires dans lesquelles une petite association de près de 3800 membres a été en première ligne pour mener le combat judiciaire : Anticor. Spécialisée depuis 18 ans dans la lutte contre la corruption, en particulier des élus et hauts fonctionnaires en tout genre, elle bénéficie d’un agrément lui permettant de porter plainte en saisissant un juge d’instruction, même quand le Procureur de la République a décidé de ne pas poursuivre. Mais celui-ci va expirer et devait être renouvelé par Matignon au début du mois de février. Le Premier ministre a finalement décalé sa prise de décision au 10 février… Avant de reporter de nouveau. Le dossier est depuis août sur le bureau de Jean Castex. En principe, ce devait être au garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, de délivrer cet agrément. Mais l’ancien ténor du barreau est lui-même visé par une enquête « pour prise illégale d’intérêt » après les plaintes déposées par Anticor et des syndicats de magistrats.

« C’est scandaleux et inquiétant »

Le délai ultime pour l’association expire désormais ce vendredi 12 février. « C’est scandaleux et inquiétant », a réagi mercredi sur Twitter la sénatrice socialiste de Paris, Marie-Pierre de la Gontrie, vice-présidente de la commission des lois. L’association s’est exprimée dans un communiqué ce jeudi : « A défaut de renouvellement, l’agrément tombera. Anticor subsistera, mais sera privée des armes du droit. » Et s’interroge à coups de posts sur les réseaux sociaux : « Qui a intérêt à empêcher notre action contre la corruption ? À priver les citoyens du droit de défendre un intérêt collectif en justice quand les procureurs hésitent à le faire ? À qui profite le crime ? Qui veut la peau d’Anticor ? »

« Je ne comprends pas cette décision ! », s’exclame Jean-Pierre Sueur. Pour le sénateur socialiste, lui aussi membre de la commission des lois, Anticor exerce une « vigilance utile dans notre démocratie ». Le gouvernement affirme à Capital encore vérifier des informations concernant « des aspects techniques des dons : la nature, la structure, les montants et la fréquence » ainsi qu’un « point sur les procédures internes de prévention des conflits d’intérêts au sein de l’association ». « C’est un petit peu étouffer la démocratie… », remarque l’écologiste Esther Benbassa. La sénatrice de la commission des lois souligne que la manœuvre semble « maladroite ». « Ça me gêne fortement. C’est envoyer des mauvais signaux à la population qui se dit qu’on restreint déjà assez nos libertés », dénonce-t-elle. « Si le gouvernement nous refuse l’agrément, nous irons devant le juge administratif. Notre dossier est extrêmement solide et nous obtiendrons gain de cause », affirmait au Figaro Éric Alt, vice-président d’Anticor.

« Mélange des genres »

Ses détracteurs soupçonnent l’association, essentiellement composée d’avocats et de magistrats, d’être « politisée » et de « mélange des genres ». Sous ce quinquennat, Anticor est à l’origine de plusieurs procédures en cours visant des proches d’Emmanuel Macron — le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, mis en examen dans l’affaire des Mutuelles de Bretagne et le Secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler, à propos de ses liens avec le géant italien des croisières MSC. Ce qui fait dire au député Bruno Questel (LREM), toujours au Figaro, que « la question justement se pose de voir une association loi 1901, tout agréée qu’elle soit, tenir entre ses mains toutes les clés de la République, parce qu’elle a le droit de se porter partie civile même quand la justice a dit le contraireNous voyons bien que chez Anticor, il n’y a aucune décorrélation entre la démarche politique de ses membres et les actions en justice qu’elle mène ».

« Anticor bénéficie pleinement de la loi sur les associations et c’est une liberté fondamentale », rétorque Jean-Pierre Sueur. Esther Benbassa abonde : « Anticor est un corps intermédiaire qui fait agir les autorités et les institutions pour qu’elles combattent la corruption. Dans les pays dictatoriaux, la corruption n’a pas de limites. Chez nous on a des limites car ces associations sont vigilantes ». Elle sourit : « Leurs détracteurs les accusent d’être politisés ? Et ceux qui les empêchent de travailler ne sont pas politisés peut-être ? Ce ne sont pas ma voisine ou d’autres qui connaissent Anticor. Tout est politique. » Récemment, un tiers des administrateurs de l’association ont démissionné en dénonçant la politisation de l’organisation. Le Canard enchaîné souligne que depuis des mois, l’association qui met en avant son indépendance, refuse de révéler le nom de son plus gros donateur. Une critique émise aussi en interne, selon une lettre consultée par Public Sénat. L’association revendique ce droit, que lui a d’ailleurs reconnu la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).

Entre le gouvernement et l’association, le bras de fer perdure. « Tout cela crée un climat pas très optimiste. Notre démocratie il faut la garder entière et réactive ! », presse Esther Benbassa. En France, la corruption représente 120 milliards d’euros soit 6,1 % du PIB, l’équivalent du budget de l’Éducation nationale.

Partager cet article

Dans la même thématique

Inquiétude autour de l’avenir d’Anticor : « C’est scandaleux ! », dénoncent des sénateurs de gauche
3min

Politique

« C'est 50.000 euros de manque à gagner » : un an après les Jeux, ce para-sportif dénonce le départ de ses sponsors

Un an après, quel est l’héritage des Jeux olympiques et paralympiques ? Inclusion, transports, infrastructures, sponsors… pour Sofyane Mehiaoui, joueur de basket fauteuil qui a représenté la France, si l’accès à la nouvelle Adidas Arena porte de Clignancourt à Paris est un vrai bénéfice, le départ de ses sponsors révèle le manque d’engagement durable des marques auprès de parasportifs. Il témoigne dans l'émission Dialogue Citoyen, présenté par Quentin Calmet.

Le

Inquiétude autour de l’avenir d’Anticor : « C’est scandaleux ! », dénoncent des sénateurs de gauche
6min

Politique

Agences de l’État, qui veut gagner des milliards ? 

La ministre des Comptes publics propose de supprimer un tiers des agences de l'État pour faire deux à trois milliards d’économies. Seulement, pour en rayer de la liste, encore faudrait-il savoir combien il en existe…Une commission d'enquête sur les missions des agences de l’État s’est plongée dans cette grande nébuleuse administrative. ARS, France Travail, OFB, CNRS, ADEME, ANCT, des agences, il y en a pour tous et partout ! Mais “faire du ménage” dans ce paysage bureaucratique touffu rapportera-t-il vraiment les milliards annoncés par le gouvernement et tant espérés par la droite ? Immersion dans les coulisses de nos politiques publiques…

Le

President Emmanuel Macron Visits the 55th Paris Air Show at Le Bourget
7min

Politique

Budget 2026 : « Emmanuel Macron a une influence, mais ce n’est pas le Président qui tient la plume »

Le chef de l’Etat reçoit lundi plusieurs ministres pour parler du budget. « Il est normal qu’il y ait un échange eu égard à l’effort de réarmement qui est nécessaire », explique l’entourage d’Emmanuel Macron. « Il laisse le gouvernement décider », souligne le macroniste François Patriat, mais le Président rappelle aussi « les principes » auxquels il tient.

Le

Bruno Retailleau public meeting at Docks 40 in Lyon.
5min

Politique

Tribune de LR sur les énergies renouvelables : « La droite essaye de construire son discours sur l’écologie dans une réaffirmation du clivage gauche/ droite »

Après la publication d’une tribune sur le financement des énergies renouvelables, le parti de Bruno Retailleau s’est retrouvé sous le feu des critiques. Pourtant, en produisant un discours sur l’opposition aux normes écologiques, LR semble revitaliser le clivage entre la gauche et la droite.

Le