Les propos d’Erdogan sont «inacceptables et insupportables» pour le sénateur Christian Cambon
Le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat estime que l’appel au boycott et les critiques du président turc à l’encontre d’Emmanuel Macron ne sont « pas dignes » d’un chef d’État. Interview

Les propos d’Erdogan sont «inacceptables et insupportables» pour le sénateur Christian Cambon

Le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat estime que l’appel au boycott et les critiques du président turc à l’encontre d’Emmanuel Macron ne sont « pas dignes » d’un chef d’État. Interview
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Déjà très préoccupé par les tensions dans l'est du bassin méditerranéen, le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, Christian Cambon (LR), réagit fermement aux propos du président turc. Recep Tayyip Erdogan s’était interrogé ce week-end sur la « santé mentale » d’Emmanuel Macron, l’appelant à se faire examiner. Ce lundi, le chef d’État turc a même rejoint l’appel au boycott de produits français, qui s’est développé dans plusieurs pays du Moyen-Orient (Qatar et Koweït notamment). Ce mouvement est une réponse au discours d’Emmanuel Macron, lors de l’hommage à Samuel Paty, décapité pour avoir montré des caricatures de Mahomet à ses élèves. Le chef de l’État avait annoncé que la France ne « renoncer[ait] pas aux caricatures ». Christian Cambon a répondu à nos questions sur cette montée des tensions.
 

Public Sénat : Ce week-end, à deux reprises, le président turc Recep Tayyip Erdogan a mis en cause la « santé mentale » d’Emmanuel Macron. Aujourd’hui, il a appelé à boycotter les produits français. Ses propos vous ont-ils surpris ?

­­Christian Cambon : Je n'ai pas été surpris, si je tiens compte des déclarations précédentes du président Erdogan. Ce sont des déclarations qui sont inacceptables et insupportables. Un chef d’État digne de ce nom n’attaque pas les personnes de cette manière. Au Sénat, on aura l’occasion de le dire à M. Musa, l’ambassadeur de Turquie en France, avec qui on essaye de tenir des relations normales.
 

Justement, prévoyez-vous d’auditionner Ismail Hakki Musa devant votre commission, après ce qu’il s’est passé ces dernières heures ?

On l’a auditionné au mois de juillet. Je n’exclus pas, le cas échéant, de lui redemander de venir devant nous. On n’était pas sur ces bases cet été, alors que les tensions étaient déjà fortes. Avant une éventuelle audition, il faut que le président Erdogan calme le jeu et adresse un message différent.

Le message qu’on vient de recevoir, d’appel à boycotter les produits français, est absolument inacceptable. Il ne faut pas oublier que la Turquie est le premier consommateur de l’Agence France Développement. Si on veut aller dans l’escalade, la France a aussi le moyen de répondre à ce genre de provocation.
 

Comment, d’après vous, envisager la suite des relations ? Va-t-on retrouver des relations apaisées ?

Les déclarations du président de la République au moment de l’hommage à ce malheureux Samuel Paty ont pu être mal comprises. Le communiqué d’hier allait dans le sens d’un apaisement sans céder sur nos valeurs. Soit l’escalade verbale continue et on passe à une phase de sanctions, et le gouvernement pourra nous faire part de ses intentions. On ne souhaite pas en arriver là. La Turquie est un pays important avec qui on entretient depuis longtemps des relations d’amitié, des relations économiques. C’est un membre de l’Otan.

À partir du moment où M. Erdogan veut cibler la France comme un ennemi du monde musulman, ce qui est absolument faux, on en tirera les conséquences. Je me sens solidaire du président de la République et du gouvernement. Ou tout cela va se calmer, car cela est la conséquence de la vie politique intérieure de la Turquie, qui connaît de grandes difficultés économiques, ou on est dans l’escalade et la France va répondre par les moyens adéquats. Nous ne sommes ni les otages ni les obligés de M. Erdogan. Ses méthodes ont d’ailleurs été pointées du doigt par d’autres pays européens.
 

La France est-elle suffisamment soutenue par ses partenaires européens et l’Union européenne ?

Elle l’est, de manière un peu différenciée. On peut comprendre que nos amis allemands, qui ont une importante communauté turque, soient peu prolixes dans cette affaire. J’ai vu qu’un certain nombre d’autres pays avaient manifesté leurs inquiétudes. L’attaque verbale de M. Erdogan fait suite à de nombreux autres incidents. Je pense à ce qu’il se passe avec la Grèce et Chypre avec le sous-sol gazier, ce qu’il se passe au Haut-Karabakh, où la Turquie est derrière l’Azerbaïdjan. Ou encore à l’action de la Turquie en Libye avec l’envoi de milices.

Cela fait beaucoup de choses. Tout ceci montre que la volonté du président turc est de faire de la Turquie la puissance régionale de cette partie du monde, risquant au demeurant de s’opposer à l’Iran ou à la Russie. Erdogan est un véritable perturbateur de la vie de cette région du monde. Nous regrettons vivement, de manière générale, ces prises de position qui ne font en rien avancer la paix.
 

Mi-octobre, un sommet européen a renvoyé à décembre la question d’éventuelles sanctions vis-à-vis de la Turquie. On sent que les Européens veulent temporiser ?

La Turquie a profité de cette faiblesse. On retarde les mesures à prendre, ils reviennent à la charge. La faiblesse des Européens est immédiatement payée cash. Sans travail commun européen, on disparaît de la carte. Et on passera notre temps à faire des déclarations qui ne sont pas suivies d’effets.
 

Avant le président turc, plusieurs appels au boycott des produits français ont eu lieu dans les pays du Golfe. Ce mouvement vous inquiète-t-il ?

Je n’ose pas croire qu’un certain nombre de ces pays aient intérêt à soutenir et à développer cette politique contraire aux intérêts de la France. Si on les prend les uns à la suite des autres, nous avons de nombreux accords de coopération avec eux. Ce serait dommageable qu’une telle campagne se lance alors que des pays amis comme la Jordanie ou les Émirats font appel à la France pour leur propre sécurité extérieure. On ne peut pas jouer sur tous les registres à la fois et en sens contraire. Personne n’a intérêt à ce genre de campagne. J’ose croire qu’il s’agit de minorités radicales.

Il faut que chacun admette ses propres différences. On vient de connaître une attaque d’une telle barbarie, il est normal que le chef de l’État s’adresse à son pays et remette en exergue un certain nombre de principes auxquels la France est attachée et restera fidèle.
 

On observe des tensions géopolitiques plus marquées dans plusieurs régions du monde. Diriez-vous que la pandémie de Covid-19 a contribué à aggraver ce tableau ?

Le Covid entraîne une très grande difficulté à créer des relations personnelles. Je crois beaucoup à la diplomatie parlementaire. Et on souhaite que les ministres puissent se parler. C’est quasi rendu impossible, tout le monde est chez soi. Les conférences internationales ne peuvent avoir lieu que par visioconférence, c’est très déroutant. Cette crise entraîne partout des crises économiques importantes. Peu de pays y échappent. Ces crises engendrent des tensions. Très souvent, les dirigeants ont tendance à utiliser les relations étrangères pour camoufler les difficultés intérieures. C’est le cas pour la Turquie. On cherche à former le consensus au sein de son pays en multipliant les agressions vis-à-vis d’autres pays. Il y a un lien d’aggravation par le Covid.

Et c’est sans compter l’élection américaine, qui crée beaucoup d’incertitudes et d’indécisions. On est dans un très mauvais alignement des planètes. M. Erdogan utilise aussi cette espèce de paralysie pour avancer ses pions.

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