Japon, vers la fin d’une constitution pacifique ?

Japon, vers la fin d’une constitution pacifique ?

Troisième puissance mondiale, le Japon a la particularité de ne pas avoir d’armée à proprement parler depuis 1947. Le Premier ministre Shinzo Abe, au pouvoir depuis 2012, souhaite restaurer la souveraineté du pays en modifiant la Constitution. Alors faut-il vraiment craindre une remilitarisation du Japon ?
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Par Amélia Morghadi

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Au sortir de la Seconde guerre mondiale, le Japon, en position de vaincu après la capitulation du 15 août 1945, accepte la domination des États-Unis, et le pays est occupé pendant près de sept ans.

En 1947, une nouvelle Constitution, fortement inspirée par les États-Unis, entre en vigueur. L’article 9 de cette constitution inscrit pour le Japon le renoncement à faire la guerre et à maintenir un potentiel de guerre.

 

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Une armée défensive

Mais dans les faits, il existe malgré tout depuis 1954 des « forces d’autodéfense », une armée composée de plus de 240 000 hommes.

« En théorie, le Japon est censé se défendre seul s’il est agressé, il a une armée dont il peut se servir en cas de légitime défense » explique Guibourg Delamotte, maître de conférences à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO).

Avec un budget militaire qui ne cesse d’augmenter,  le Japon est loin d’être une puissance démilitarisée. Cette année, le budget de la Défense nippone atteint 5 190 milliards de yens (soit 38,63 milliards d'euros)  et le pays va consacrer plus de 5% de son budget total aux dépenses militaires.

Relation de « vassalité » avec les États-Unis ?

 

Le Japon serait-il un protectorat américain ? #armée #UMED
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« Le budget de l’armée prend aussi en compte les frais occasionnés par l’entretien des bases américaines sur le sol japonais »  tempère l’historien Arnaud Nanta.  Il y a en effet toujours 50 000 soldats américains présents au Japon : «  Le Japon accueille une armée étrangère sur son sol, il ne faut jamais l’oublier » analyse l’historien.

Depuis 1960 un Traité de coopération mutuelle et de sécurité entre les États-Unis et le Japon lie ces deux nations. En théorie ce sont les États-Unis qui assurent la protection de l'archipel. « Si l’agression dépasse ses capacités de défense, dans ce cas le Japon demande aux États-Unis d’intervenir » développe Guibourg Delamotte.

L’armée américaine a donc plusieurs bases dans le pays, dont celles sur l'île d'Okinawa, qui accueille la majorité des troupes.

Japon Okinawa
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Vers une réforme constitutionnelle ?

Mais la question d’une révision de l’Article 9 est un débat qui n’est pas nouveau : « C’est quelque chose qui a été discuté depuis les années 60 et de manière continue jusqu’à nos jours » révèle l’historien du Japon Arnaud Nanta.
Et le chemin à parcourir pour modifier l’article pacifique nippon ressemble à un véritable parcours du combattant. « Il faudrait une révision qui passe à une majorité des 2/3 de chaque chambre du Parlement et acceptée par un référendum de la population » poursuit la politiste Guibourg Delamotte.

Pour elle, la seule manière pour qu’une réforme de cette nature soit susceptible d’aboutir serait d’en proposer une forme très consensuelle. Ce qui concrètement ne changerait pas beaucoup la donne : « on admettrait juste l’existence de cette armée [NDLR : forces d’autodéfense], qui pour le moment existe dans une interprétation juridique mais qui n’a pas d’existence véritable constitutionnelle » confie Guibourg Delamotte.

 

Guibourg Delamotte sur la réforme de la constitution pacifique du Japon #UMED
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Par ailleurs, le Japon est autorisé depuis 2016 à combattre à l'étranger, en effet les troupes japonaises peuvent désormais participer à une «  autodéfense collective » et donc accompagner les opérations de défense de leurs alliés, en particulier les États-Unis, dans le cas où ils seraient attaqués.

Une modification constitutionnelle qui pourrait en revanche avoir des répercussions au niveau politique, comme l’explique Guibourg Delamotte: « Il y aurait des réactions de la part de la Chine, de la Corée du Sud, mais de toute façon ces réactions existent, ce n’est pas ça qui bouleverserait la situation ».

Pour le journaliste Arnaud Vaulerin, ancien correspondant au Japon pour Libération, la volonté du Japon d’aller vers une stratégie militaire plus offensive dans un contexte régional extrêmement tendu, peut se comprendre : « Le Japon réagit face à une menace qui est réelle » témoigne le journaliste.


Le ministre de la Défense du Japon, Itsunori Onodera a d’ailleurs annoncé le 25 janvier que son pays allait renforcer son arsenal antimissile en réponse aux tirs de missiles nord coréens qui avaient survolé l’archipel nippon l’année dernière.

Mais la fin de l’article 9 ne semble toutefois pas être pour tout de suite. De nombreuses voix d'opposition se lèvent dans le pays, et l'empereur Akihito a annoncé son abdication pour 2019. Si l'on en croit Arnaud Nanta, cette décision est une stratégie pour contrer la volonté de Shinzo Abe : « La proposition d’abdication de l’empereur fait obstacle au projet de réforme de constitution ».  Selon l’historien, en cas d’abdication de l’empereur de son vivant, il faudrait au préalable modifier le Code de la famille impériale dans la Constitution, ce qui retarderait de plusieurs années le projet de réécriture de l’article 9.

 

Retrouvez l'émission Un monde en Docs sur la politique de défense du Japon,  samedi 27 janvier à 23h30, dimanche 28 janvier à 9h52 et dimanche 4 février à 18h sur Public Sénat.

Pour aller plus loin :

 - « La politique de défense du Japon », de Guibourg Delamotte, éditions PUF (Presses Universitaires de France), 2015

 - Le numéro 53 de la revue Ebisu, études japonaises, 2016, dirigé par Arnaud Nanta et Nicolas Mollard

 - « Géopolitique du Japon » de Jean-Marie Bouissou, éditions PUF, 2015

 - Le n°129 - juin 2017 : « Japon, le réveil des forces armées » de  la revue  Défense et sécurité internationale.

 - Le n° 78 « Japon, vers un réveil de la puissance nippone », de la revue Diplomatie.

 

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