La création d’une délégation des droits de l’enfant divise au Sénat

La création d’une délégation des droits de l’enfant divise au Sénat

Rassemblés autour d’une proposition de loi portée par le sénateur Xavier Iacovelli (Renaissance), des sénateurs de différents bords politiques militent pour la création d’une délégation aux droits de l’enfant. Si l’Assemblée s’est dotée en septembre d’un tel organe, la droite sénatoriale redoute un gadget parlementaire et considère que les sujets liés à l’enfance sont largement traités par les différents groupes de travail déjà en place.
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Par Romain David avec Jérôme Rabier et Fabien Recker

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Le Sénat examinera en séance publique, jeudi 8 décembre, une proposition de loi pour la création d’une délégation parlementaire aux droits de l’enfant. Ce texte, déposé par le sénateur Xavier Iacovelli, membre du groupe RDPI, qui rassemble les soutiens d’Emmanuel Macron à la Chambre haute, répond à une demande récurrente des professionnels du secteur de l’enfance. Il est soutenu par de nombreux élus, en particulier dans les rangs de la gauche. En revanche la droite sénatoriale, malgré l’aspect consensuel du sujet, y est opposée pour des raisons techniques et d’efficacité du travail parlementaire. Mercredi 30 novembre, la commission des lois a d’ailleurs rendu un avis négatif sur la création d’un tel organe. « Ils n’ont pas refusé pour des questions de fond, mais de forme », explique Xavier Iacovelli. « Ils estiment qu’il y a déjà suffisamment de groupes de travail au Sénat, mais nous avons besoin aujourd’hui d’une délégation transversale à l’ensemble de nos commissions. La question de l’enfance est trop souvent traitée en silo, nous devons aussi sanctuariser une vision globale sur cette thématique. »

L’Assemblée nationale s’est dotée en septembre dernier d’une délégation similaire, sans être passée par un texte mais après un vote à l’unanimité de la conférence des présidents, qui rassemble les chefs de file des groupes politiques, y compris les LR. Au Sénat, où le texte de Xavier Iacovelli a été déposé mi-août, beaucoup y ont vu un présage de bon augure. Déjà en 2019, la sénatrice Éliane Assassi et ses collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste (CRCE) avaient formulé une proposition identique, finalement rejetée par 249 voix contre 90. « Très naïvement, nous nous sommes dit que la décision de l’Assemblée nationale allait entraîner une certaine dynamique ici. J’ai été très étonnée de voir les réactions des sénateurs de droite », rapporte la sénatrice communiste Laurence Cohen.

Eviter la dispersion des travaux parlementaires

À l’inverse de leurs collègues députés, les sénateurs LR, qui sont majoritaires avec les centristes au Sénat, estiment que les thématiques liées à l’enfance sont déjà suffisamment traitées par les commissions permanentes et les délégations existantes au Palais du Luxembourg. « La tentation peut être grande de créer une structure permanente de contrôle à chaque fois qu’un sujet transversal semble le mériter, ne serait-ce que pour sa dimension symbolique », relève le rapport réalisé pour la commission des lois par la sénatrice LR du Morbihan Muriel Jourda. Depuis quelques années, la Chambre haute cherche à rationaliser le travail parlementaire en évitant de multiplier les missions.

« Cet effort de rationalisation traduit une volonté de renforcer l’efficacité des activités législatives et de contrôle, en assurant une articulation harmonieuse entre les commissions permanentes et les autres structures », lit-on encore dans ce rapport, qui insiste sur les mesures déjà portées ces deux dernières par le Sénat en faveur des mineurs : lutte contre le harcèlement scolaire, contre l’obésité, contre les usages dangereux du protoxyde d’azote, pour un meilleur encadrement de l’exploitation commercial en ligne des images d’enfants, etc. « Tant les travaux législatifs menés par les commissions permanentes que les travaux de contrôle conduits par celles-ci et la délégation aux droits des femmes sont la preuve que le Sénat n’a pas fléchi depuis 2019 dans sa volonté de prendre en compte la situation des enfants et de défendre sans relâche leur intérêt. »

« L’enfance est un sujet en soi »

Le Sénat compte huit commissions et six délégations. Les commissions sont l’un des nombreux maillons du mécanisme législatif, elles ont la charge de passer au crible les textes de loi déposés sur le bureau du Sénat, éventuellement de proposer une première série de modifications avant l’examen en séance publique. La délégation est davantage un organe de réflexion, dont les travaux servent d’appui aux commissions. « Les délégations font un travail d’information, de recherche et, pour ainsi dire d’enquête que ne peuvent pas faire les commissions, occupées par l’examen des textes de loi », développe la socialiste Laurence Rossignol, qui évoque notamment le rapport très médiatisé de la délégation aux droits des femmes sur l’industrie pornographie. « L’enfance est un sujet en soi. Et face à ce type de sujet transversal, il est utile d’avoir des organes qui essayent de réfléchir uniquement à partir de l’intérêt du droit de l’enfant », abonde la sénatrice EELV Mélanie Vogel.

Pour les élus qui soutiennent la mise en place d’une délégation consacrée à l’enfance, les pistes de réflexion ne manquent pas. Ils citent, pêle-mêle, la question des mineurs isolés, la polémique autour du tabou de l’inceste, ou encore l’accès des mineurs à la pornographie – un sujet qui préoccupe beaucoup la Chambre haute. La sénatrice centriste Nassimah Dindar évoque « les inégalités territoriales, notamment en Outre-Mer, qui sont en contradiction avec la signature de la France au bas des grands traités internationaux sur la protection de l’enfance ». De son côté, Laurence Cohen se dit plus particulièrement préoccupée par les questions de santé, notamment de santé mentale : « Une enquête réalisée par l’Ifop a montré que les pensées suicidaires ont augmenté chez les jeunes depuis la crise du covid-19 », alerte-t-elle. « Il n’y a pas que des sujets de violences ou liés au pénal, mais aussi de nombreuses interrogations sur la qualité de vie », relève encore Laurence Rossignol.

» Retrouvez notre interview de Xavier Iacovelli : « On gagnerait en qualité de travail parlementaire avec la création d’une délégation des droits de l’enfant »

Faire plier la droite

Dans un communiqué publié ce 5 décembre, l’Unicef salue la proposition de loi : « La création d’une délégation sénatoriale aux droits de l’enfant est d’autant plus fondamentale que les sénateurs représentent les collectivités locales, qui jouent un rôle majeur pour le respect des droits de l’enfant, du fait de la décentralisation. Les départements sont ainsi chefs de file en matière de protection de l’enfance et les communes jouent un rôle important en matière de scolarisation ou encore de l’accueil du jeune enfant. » Sur les réseaux sociaux, Xavier Iacovelli a diffusé une vidéo dans laquelle plusieurs personnalités apportent leur soutien à son initiative, parmi lesquelles l’humoriste Florence Foresti, les actrices Alexandra Lamy et Isabelle Carré, ou encore la comédienne et danseuse Andréa Bescond.

Il ne désespère pas de glaner quelques soutiens chez les LR : la sénatrice du Nord Brigitte Lherbier et le sénateur de Haute-Garonne Alain Châtillon ont déjà signé son texte. Durant l’examen en commission, Marie Mercier, élue LR de Saône-et-Loire qui a beaucoup travaillé sur la question des violences intrafamiliales, a voulu défendre une forme de compromis : « Si je comprends parfaitement l’avis défavorable du rapporteur d’un point de vue organisationnel et technique, ne pourrait-on pas réfléchir à une structure qui fédérerait les trois commissions autour des sujets liés à l’enfance, sans qu’il s’agisse d’une nouvelle délégation ? Dans notre monde actuel, marqué par les réseaux sociaux et la souffrance des enfants, ne pourrions-nous pas réfléchir à une structure plus pérenne pour traiter ces questions et donner plus de force à la protection de l’enfance qu’elle n’en a aujourd’hui ? », a-t-elle interrogé.

Le contexte politique pourrait aussi jouer en faveur du texte. « Je pense qu’il serait bien pour Bruno Retailleau, dans la semaine qui s’ouvre, d’accepter cette proposition de loi », sourit Laurence Rossignol. Arrivé deuxième ce dimanche, au premier tour de l’élection pour la présidence de LR, le patron de la droite sénatoriale n’a plus qu’une semaine pour rattraper son retard sur Éric Ciotti, notamment en séduisant les électeurs du député Aurélien Pradié, défenseur autoproclamé d’une droite sociale.

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