La rupture franco-malienne, « une dégradation spectaculaire en un laps de temps très court »

La rupture franco-malienne, « une dégradation spectaculaire en un laps de temps très court »

Le torchon n’en finit plus de brûler entre Paris et Bamako. Il paraît bien loin le temps où la relation franco-malienne était à son zénith. La rupture est désormais totale entre les deux capitales, dernier épisode en date de ce feuilleton, la convocation par la justice malienne de Jean-Yves Le Drian dans une enquête pour atteinte aux biens publics.
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Par Louis Dubar

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Après une guerre du sable éclair, les forces françaises et maliennes avaient libéré en quelques semaines à peine le Nord du Mali contrôlé à l’époque par des groupes islamistes armés affiliés à Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) et par des rebelles majoritairement touaregs du Mouvement national de libération de l’Azawad (MLNA). 22 jours après le déclenchement de l’opération Serval, François Hollande s’était rendu début février 2013 à Tombouctou pour récupérer le fruit de la victoire. Accueilli chaleureusement par les vivats des habitants, la foule présente sur l’itinéraire du cortège présidentiel avait remercié aux cris de « merci Papa François Hollande » celui qu’elle voyait comme un « libérateur. » Le processus politique de retour à la démocratie soutenue et pilotée par Paris porte au pouvoir en septembre 2013 Ibrahim Boubacar Keïta à la présidence. Mission accomplie ou presque.

Mais voilà, depuis tout a basculé, la relation entre les deux Etats se dissout au fur et à mesure que les semaines passent. L’armée Française est restée et s’est enlisée dans le sable du Sahara, Serval est devenue Barkhane et le président démocratiquement élu, Ibrahim Boubacar Keïta a été chassé du pouvoir par les militaires maliens en 2018. En quelques mois les manifestations anti-France et anti-Barkhane se sont multipliées et réunissent désormais à Bamako des milliers de citoyens maliens, « un terreau sur lequel s’est largement appuyée la junte », souligne Caroline Roussy chercheuse et responsable Afrique à l’Iris. « La junte s’est appuyée sur des manifestations anti-françaises et a joué de ce sentiment pour trouver une adhésion d’une partie de la population. Toutefois, il est difficile de dire si ce mouvement est répandu en dehors de la capitale. » Ce mouvement antifrançais est « complexe et a véritablement explosé en 2019. » Ce phénomène est également lié « aux comptes mal soldés de la colonisation », notamment l’annonce de la fin du Franc CFA, « des arrangements cosmétiques » décidée de manière unilatérale par Paris « sans l’accord des pays africains » ou la venue d’Emmanuel Macron aux obsèques du dirigeant autoritaire tchadien Idriss Déby.

De l’enthousiasme à la rupture

Un nouveau putsch militaire mené en mai 2021 à Bamako écarte définitivement les civils du processus de transition politique qui devait remettre le Mali sur le chemin de la démocratie. Beaucoup moins conciliant avec Paris, l’homme fort de la junte, le colonel Assimi Goïta marque une rupture définitive avec l’ancienne puissance coloniale. Depuis le second coup d’État, « on a observé une dégradation spectaculaire en un laps de temps très court », explique Caroline Roussy. Après des déclarations jugées « hostiles », Bamako avait demandé le départ du territoire malien de l’ambassadeur de France, Joël Meyer, une crise diplomatique sans précédent dans les relations franco-maliennes. Le 17 mars 2022, le second gouvernement de transition avait franchi une étape supplémentaire en annonçant la suspension définitive de RFI et France 24 au Mali, suite à la publication d’informations faisant état d’exactions de l’armée malienne sur des civils. Le gouvernement malien avait nié en bloc ces révélations et qualifié les informations apportées par les deux médias « de fausses allégations contre les vaillantes FAMa » (forces armées maliennes).

En pleine « réarticulation » du dispositif Barkhane vers le Niger, la rupture militaire entre Bamako et Paris est actée en mai 2022 après la dénonciation faite par la junte des différents les accords de défense conclus entre les deux capitales depuis 2013. La junte se justifie de cette décision en invoquant des « atteintes flagrantes à la souveraineté nationale. » « Cette escalade provoquée par le gouvernement bamakois ne trahit-elle pas une mise en difficulté par rapport à son opinion publique. Le gouvernement malien n’est pas au mieux et tente d’allumer des contre-feux. » », s’interroge Caroline Roussy. « Le gouvernement malien n’est pas au mieux et cherche à allumer des contre-feux. » Fin mars 2022, les mercenaires russes de la société Wagner sont soupçonnés d’avoir tué près de 300 civils dans la ville. L’ONG Human Rights Watch avait qualifié ce crime de masse « de pire atrocité […] signalée au Mali au cours du conflit armé qui dure depuis dix ans. »

Dans ce contexte tendu, la convocation par la justice malienne de Jean-Yves Le Drian dans le cadre d’une enquête portant sur une « atteinte aux biens publics et autres infractions » est vue de France comme un affront supplémentaire. Pourtant cette convocation ne repose sur aucun fondement juridique. « La justice internationale établit très clairement qu’il existe une immunité de juridiction tant civile que pénale devant les juridictions étrangères pour certaines personnalités occupant un rang élevé dans l’Etat », souligne Géraldine Giraudeau, professeur de droit public à l’université de Perpignan. Ce principe a été « rappelé par la cour internationale de justice dans un arrêt de 2002. »

Un divorce par consentement mutuel ?

La France porte également une responsabilité dans ce divorce politique et militaire, « Paris n’a pas toujours été très diplomate » avec le gouvernement bamakois. Le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian avait qualifié en janvier 2022 le second gouvernement de transition « d’illégitime », prenant « des mesures irresponsables. » « Quand la France prend la décision, par la voix d’Emmanuel Macron, de soutenir les sanctions prises par la Cédéao à l’encontre des dirigeants maliens, cela crée forcément une confusion », détaille Caroline Roussy. « Pour certaines personnes, la France aurait pris ces décisions à la place de la Cédéao. »

Priorité diplomatique d’Emmanuel Macron, l’Afrique figurait pourtant en haut de l’agenda présidentiel au lendemain de son élection à la présidence. Devant 800 étudiants burkinabés, le tout jeune président promettait le 28 novembre 2017, à la jeunesse du continent un nouveau départ dans les relations franco-africaines, tourner définitivement la page de la Françafrique et le souvenir de la période Foccart. Cinq ans après le discours rempli de promesses de Ouagadougou, le bilan notamment au Sahel est plus que mitigé.

 

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