La taxation à la française des géants du numérique se précise
Faute d'accord pour l'instant au niveau européen, la France va bien mettre en œuvre une taxation spéciale des entreprises proposant des services...
Par Sonia WOLF, avec Emmanuel PARISSE au Caire
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Faute d'accord pour l'instant au niveau européen, la France va bien mettre en œuvre une taxation spéciale des entreprises proposant des services numériques, l'idée étant de présenter un projet de loi le mois prochain pour une application rétroactive à partir du 1er janvier.
"Nous travaillons à une taxe appliquée dès cette année qui touchera toutes les entreprises qui proposent des services numériques représentant un chiffre d'affaires supérieur à 750 millions d'euros au niveau mondial et 25 millions d'euros en France", a déclaré le ministre de l'Economie et des Finances Bruno Le Maire au Journal du Dimanche.
"Si ces deux critères ne sont pas réunis, elles ne seront pas imposées", a-t-il précisé, en promettant de présenter "un projet de loi spécifique en Conseil des ministres d'ici à fin février qui sera rapidement soumis au vote du Parlement".
"La taxe sera applicable à compter du 1er janvier 2019, et son taux sera modulé en fonction du chiffre d'affaires avec un maximum de 5 %", a encore détaillé M. Le Maire, en rappelant l'ambition du gouvernement de la voir rapporter "environ 500 millions d'euros" par an.
La taxation des services numériques et notamment les Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon) constitue "un objectif de justice parce que personne ne peut accepter que les géants du numérique soient taxés 14 points de moins que les entreprises françaises, en particulier que nos PME", a ajouté M. Le Maire en marge d'une visite dimanche en Egypte.
"Et c'est aussi un objectif d'efficacité fiscale, parce que si nous voulons, au XXIe siècle, financer nos services publics, nos crèches, nos hôpitaux, nos écoles, nos universités, nos forces de police ou autre, nous avons besoin d'avoir un financement stable qui repose sur la valeur créée par les données et le digital", a-t-il ajouté au Caire.
Si la France a décidé d'agir sans attendre un consensus au niveau européen, M. Le Maire a toutefois affirmé au JDD qu'un accord de ce type était encore possible "d'ici à la fin mars", soulignant que la France soutenait une proposition européenne portée par le Commissaire français aux Affaires économiques, Pierre Moscovici et qu'un compromis avait été trouvé en décembre avec l'Allemagne, hésitante au départ.
- "Rendement modique" pour Attac -
"Nous continuerons à respecter nos obligations fiscales telles que définies par les législations française et européennes" a réagi auprès de l'AFP un porte-parole de Facebook France.
Facebook a mis en place l'an dernier une nouvelle structure de vente et de facturation pour que "désormais, tous les revenus provenant d'annonceurs pris en charge par nos équipes en France (soient) enregistrés en France", a-t-il souligné.
Le ministre de l'Economie Bruno Le Maire, le 14 janvier 2019 à Paris
AFP/Archives
Egalement sollicité dimanche par l'AFP, Google France n'a pas souhaité réagir aux annonces de M. Le Maire.
L'organisation altermondialiste Attac, critique de longue date des stratégies d'optimisation fiscale des géants du numérique, a quant à elle déploré l'ambition "limitée" de cette taxe, "comme le montre son rendement modique".
- Des initiatives dans d'autres pays -
A la mi-décembre, le gouvernement français, à la recherche de recettes pour financer les mesures sociales annoncées par le président Emmanuel Macron, avait annoncé qu'il taxerait dès le 1er janvier les géants du numérique, sans attendre un éventuel accord au sein de l'UE.
M. Le Maire avait initialement défendu, sans succès, l'adoption d'une taxe au niveau européen sur les géants du numérique, pour éviter que la France fasse cavalier seul.
Pertes fiscales dans l'UE causées par Google et Facebook
AFP/Archives
L'Irlande, le Danemark et la Suède s'étaient clairement opposés à une telle taxe. L'Allemagne ne la voyait pas non plus d'un très bon œil, par crainte de mesures de rétorsion américaines contre son industrie automobile.
Des initiatives pour taxer les Gafa et autres géants du numérique ont déjà été prises au niveau national dans plusieurs pays, comme le Royaume-Uni et Singapour. En Italie, les députés ont voté en fin d'année dernière une taxe sur des transactions sur internet, mais la loi n'entrera finalement pas en vigueur.
En Espagne, le gouvernement du socialiste Pedro Sanchez a adopté vendredi un projet de loi pour créer une taxe de 3% sur les revenus générés par certaines activités des géants du numérique comme les Gafa, mais il n'est pas certain qu'il soit voté, le gouvernement n'ayant pas la majorité au parlement.
Depuis la nomination de Michel Barnier à Matignon, la ligne du Parti socialiste opposée à Olivier Faure multiplie les prises de parole tenant sa direction pour responsable dans l’échec de la nomination de Bernard Cazeneuve. Une accusation dont elle se défend, alors que le parti à la rose souhaite peser davantage à gauche.
Le nouveau locataire de Matignon consulte en vue de la nomination de son gouvernement. Côté LR, le nom du patron des sénateurs de droite, Bruno Retailleau, revient avec insistance. « Une hypothèse plus que possible », avance un sénateur LR, selon qui « on lui a demandé ». Mais rien n’est encore fait. Si des macronistes seront de la partie, les choses semblent bouchées à gauche.
Cela pourrait être le premier obstacle du gouvernement Barnier, avant même l’adoption du budget 2025 d’ici la fin de l’année. Les députés du Rassemblement national ont confirmé qu’ils entendaient déposer, dans le cadre de leur niche parlementaire prévue le 31 octobre, un texte d’abrogation de la réforme des retraites. Du côté du Nouveau Front populaire, qui proposait le retour de la retraite à 60 ans dans son programme, l’idée de devancer le RN en mettant une proposition similaire à l’ordre du jour dès l’ouverture de la session ordinaire à l’Assemblée fait aussi son chemin. Rien n’assure toutefois que les deux familles politiques joindraient leurs voix pour faire adopter un tel texte. « Nous ne serons pas condamnés à voter la proposition de loi de ces hypocrites, qui sont responsables du fait qu’aujourd’hui nous avons un partisan de la retraite à 65 ans à Matignon », fustigeait le sénateur communiste Ian Brossat, invité de la matinale de Public Sénat ce 9 septembre. Quelques minutes plus tard, sur le même plateau, le député Rassemblement national Sébastien Chenu rétorquait, accusant la gauche de « sectarisme ». Mathématiquement, la réforme des retraites, adoptée dans la douleur au mois de mars 2023, trouve tout de même une majorité contre elle à l’Assemblée. Face à ce constat, le nouveau Premier ministre Michel Barnier a donc tenté d’arrondir les angles en annonçant le 6 septembre, sur le plateau de TF1, son souhait d’ « ouvrir le débat sur l’amélioration de cette loi pour les personnes les plus fragiles », sans pour autant « tout remettre en cause ». « Il faut rouvrir les discussions, mais pas pour remettre en cause la réforme » Quelles « améliorations » le gouvernement Barnier pourrait-il apporter au texte ? Au sein de la droite et du bloc central, le retour à la retraite à 62 ans semble en tout cas exclu. « Il faut rouvrir les discussions, mais pas pour remettre en cause la réforme. On l’a votée avec beaucoup de difficultés, on garde les acquis », défend un cadre de la majorité sénatoriale. Quelques ajustements du texte ne sont donc pas à exclure, ne serait-ce que pour « répondre », estime-t-il, à l’initiative parlementaire du RN et aux syndicats, qui prévoient une manifestation le 1er octobre. La ligne rouge des 64 ans n’interdit pas, par ailleurs, de rediscuter d’autres points de la réforme. Au Sénat, l’introduction de nouvelles mesures sur l’emploi des seniors semble par exemple faire consensus au sein de la majorité. À l’occasion de l’examen du texte, la chambre haute s’était déjà exprimée en faveur de l’instauration d’un « index seniors », censé pousser les entreprises à davantage de transparence sur l’emploi des salariés en fin de carrière, et sur la création d’un « CDI seniors », nouveau contrat de travail exonéré de certaines cotisations. Les deux amendements avaient finalement été censurés par le Conseil constitutionnel. « Il faut reprendre cet aspect là des choses, pour associer à cette réforme des retraites un véritable changement de politique vis-à-vis de l’emploi des seniors. Il faut sans doute aussi travailler, en lien avec les partenaires sociaux, sur la question de la pénibilité notamment dans les métiers du bâtiment ou de l’aide à la personne », propose la sénatrice centriste Élisabeth Doineau. En revanche, pour la rapporteure générale du budget de la Sécurité sociale, une remise en cause complète de la réforme serait « suicidaire » : « Il faut être lucide face aux réalités budgétaires du pays, pour ne pas entraîner la France vers de nouvelles dépenses qui seraient un naufrage. » « Je ne vois pas sur quoi le débat peut reprendre si on élude la question des 64 ans » Les déclarations de Michel Barnier, qui a indiqué que les « améliorations » qu’il entendait proposer respecteraient « le cadre budgétaire », ont donc de quoi rassurer les défenseurs de la réforme. À gauche, l’accueil de l’annonce du nouveau Premier ministre est évidemment beaucoup plus froid. « Je ne vois pas sur quoi le débat peut reprendre si on élude la question des 64 ans, puisque l’essence même de cette réforme c’est le report de l’âge de départ à la retraite », dénonce la sénatrice Monique Lubin, qui défendait déjà en février dernier une proposition d’abrogation de la réforme. L’élue socialiste doute par ailleurs de la sincérité de l’initiative du nouveau Premier ministre, qui défendait du temps de la primaire des Républicains en 2021 un report de l’âge légal à 65 ans. « Sa déclaration me laisse songeuse. Je pense qu’elle a surtout pour but de donner des gages, de contrebalancer la tendance à droite de ce futur gouvernement, au moment où il cherche des ministres de centre-gauche pour le composer », estime Monique Lubin. Du côté des syndicats, le scepticisme est aussi de mise. Au micro de France Inter le 8 septembre, la secrétaire générale de la CFDT Marylise Léon a réclamé « a minima » une suspension de la réforme, le temps de la réouverture des discussions, pour bloquer l’augmentation progressive de l’âge de départ à la retraite. De son côté, la CGT a fait de l’abrogation de la réforme l’un des mots d’ordre de la journée de mobilisation syndicale du 1er octobre.
Alors que se tiennent mardi et mercredi les journées parlementaires des groupes Ensemble pour la République et Horizons, une incertitude planait sur la venue du Nouveau Premier ministre. Le parti d’Edouard Philippe a envoyé une invitation à Michel Barnier. Du côté du groupe Ensemble pour la République dirigé par Gabriel Attal, on semblait vouloir garder ses distances.