« La valse des milliards devient incompréhensible pour les Français » : les sénateurs perplexes face au virage écologique d’Emmanuel Macron

« La valse des milliards devient incompréhensible pour les Français » : les sénateurs perplexes face au virage écologique d’Emmanuel Macron

Le président de la République aurait-il fait aggiornamento écologique devant les 150 Français de la convention climat ? Le doute est permis, à écouter les sénateurs des deux bords de l’hémicycle.
Public Sénat

Par Hugo Lemonier

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L’image est léchée, le cadre dressé pour faire date. À la tribune, seul Emmanuel Macron se détache du vert de la pelouse des jardins de l’Élysée. « Notre échange d’aujourd’hui n’est un grand discours, des principes abstraits, c’est la réponse à laquelle je m’étais engagé et le lancement d’un nouveau processus », annonce le chef de l’État aux 150 Français, tirés au sort pour participer à la convention citoyenne. « J’irai au bout de ce contrat moral qui nous lie. »

Mais, déjà, la mise en scène de cette grand-messe écolo laisse un goût amer aux sénateurs. « On a retrouvé le roi qui l’on a remis un document dans lequel il vient piocher », remarque le sénateur Guillaume Gontard. « Cela tranche totalement avec le principe de la convention citoyenne. »

Le parlementaire de l’Isère, qui a « déjà du mal à croire au virage écologique d’Emmanuel Macron », doute d’autant plus de son « virage démocratique ». « On aurait pu poursuivre cette réflexion en remettant directement le rapport de la convention au Parlement », défend-il.

Quant au calendrier, Jean Bizet, sénateur LR de la Manche, ne peut s’empêcher de tirer son chapeau : « C’est assez malicieux d’avoir programmé un timing bien huilé par rapport aux municipales pour occulter un résultat qui ne lui serait pas favorable ». Et de lâcher, moqueur : « Très astucieux ! »

« De la poudre de perlimpinpin… »

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que le président de la République brandit la transition écologique à l’occasion de grands rendez-vous électoraux. Le conseil de défense écologique avait ainsi été créé à trois jours des européennes, déjà marquées par un bon score d’EELV. Le gouvernement s’était alors paré de vert avec l’annonce de trois mesures successives : l’abandon du projet minier de « montagne d’or » en Guyane ; le renoncement à l’ouverture d’un méga complexe commercial, l’Europacity, à Gonesse ; et enfin, la fermeture de Fessenheim, opportunément intervenue au lendemain de la restitution de la convention climat.

Maintes fois annoncé, le « virage écologique » d’Emmanuel Macron peine donc à convaincre la majorité sénatoriale. « Souvenez-vous, lance le sénateur LR, Jean-François Husson. Nicolas Hulot s’en va, lui, le chantre de l’écologie ! Et il ne se passe rien. Puis, après l’épisode des gilets jaunes, on allait voir ce qu’on allait voir… Et toujours rien ! Et bien, jamais deux sans trois. »

Mais mieux vaut tard que jamais, estime Olivier Jacquin. « La société évolue, tout le démontre : "l’affaire du siècle", les élections européennes, ces municipales, etc. », souligne le sénateur socialiste, qui dit « faire partie de ces sénateurs qui ont encouragé la convention citoyenne dès le début ».  

Le diable va se nicher dans les détails, prévient néanmoins Guillaume Gontard. Le sénateur rattaché au groupe écologiste estime qu’on « reste dans la poudre de perlimpinpin… même si elle est verte. » Le « grand flou », entourant notamment les dispositions réglementaires, laisse place – selon lui – à « beaucoup d’incertitude ».

« On ne va pas attendre le projet de loi annoncé par Emmanuel Macron, annonce-t-il. On va faire nos propositions dès le passage du projet de loi de finances rectificative. Cela aura valeur de test. »

« Un gouvernement spécialiste du recyclage »

« Le discours est bien charpenté, reconnaît Ronan Dantec, sénateur de Loire-Atlantique (rattaché RDSE). Mais c’est toujours dans les détails que cela se joue ». Car certains sujets consensuels peuvent cacher nombre de désaccords, remarque le sénateur écologiste avant de prendre pour exemple la rénovation énergétique : « Concernant l’obligation de travaux lors des ventes, héritages ou transmission d’ici à 2024, il est évident que la mesure va être impopulaire. » L’élu attend donc le projet de loi, présenté d’ici la fin de l’été, pour juger de la sincérité du virage écologique du président de la République.

Car la promesse du Président d’injecter dans la « conversion énergétique de l’économie », « dès le plan de relance » post-Covid19, la somme de « 15 milliards supplémentaires sur deux ans » ne laisse pas d’interroger. « Quels sont les sujets qui font l’objet d’un financement effectif et surtout nouveau ? », demande le sénateur LR, Jean-François Husson. « La valse des milliards devient incompréhensible pour les Français. »

Même air dubitatif sur les bancs socialistes : « Le gouvernement est devenu le spécialiste du recyclage, estime Olivier Jacquin. Il réannonce sans cesse des sommes déjà engagées. Donc j’attends le budget, je ne sais pas ce qu’il prend en compte. »

Une annonce d’autant plus critiquée, qu’elle ne couvre pas les besoins de la transition énergétique, selon nombre de parlementaires. « Pour tenir les objectifs sur les énergies renouvelables, il faut 50 milliards par an », compte Ronan Dantec. « Et à cela s’ajoutent les 100 à 200 milliards qui doivent être mis sur la table par les collectivités. »

Et quid de la fiscalité verte ?

Ces lignes budgétaires, considérables, nécessitent dès lors un financement ad hoc, observent les parlementaires de gauche. « C’est d’ailleurs le gros point faible de cette convention sans la taxe sur le carburant. Et, au-delà de ça, je ne vois pas comment on peut faire une transition énergétique et climatique sans une contribution carbone et sans voyer un signal prix à l’usager. »

Mais le Sénat pourra-t-il faire obstacle aux mesures des « conventionnels » ? « Emmanuel Macron a dit qu’il transmettait leurs propositions "sans filtre". Mais c’est "sans filtre" pour lui, pas "sans filtre" pour nous », insiste Jérôme Bignon, par ailleurs « très favorable à la nouvelle forme de démocratie directe », inaugurée par la convention climat. « Quel que soit le sujet, trouver des crédits, les outils législatifs pour le faire, etc. Cela ne va pas se faire en 24 heures ! Si c’était facile, ça se saurait… »

Reste le positionnement d’Emmanuel Macron, qui aura  – au moins –  séduit une partie des parlementaires de droite. Jean Bizet applaudit des deux mains à l’écoute du président de la République : « Il fait quand même le tri entre une écologie constructive et une écologie bâtie sur la décroissance. » Le sénateur de la Manche souligne notamment la mise à l’écart de trois mesures emblématiques et, selon lui, « irréalistes » : la taxe de 4% sur les dividendes des grandes entreprises, la réforme du préambule de la constitution et la mise en place des 110/km sur les autoroutes. « Là, dieu merci, il y a une forme de courage politique. »

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