Le déclassement des territoires, racine du malaise des « gilets jaunes »
Moins de services publics et de commerces de proximité, emploi en berne et vie associative qui s'endort: plus que la dégradation...

Le déclassement des territoires, racine du malaise des « gilets jaunes »

Moins de services publics et de commerces de proximité, emploi en berne et vie associative qui s'endort: plus que la dégradation...
Public Sénat

Par Marie HEUCLIN

Temps de lecture :

4 min

Publié le

Mis à jour le

Moins de services publics et de commerces de proximité, emploi en berne et vie associative qui s'endort: plus que la dégradation du niveau de vie, une étude avance que c'est le sentiment d'un déclassement local qui est à la source du mouvement des "gilets jaunes".

Plus d'un an après le déclenchement du mouvement sur les ronds points et à quelques mois des municipales, le Conseil d'analyse économique (CAE), centre de réflexion rattaché à Matignon, s'est penché sur les causes profondes de ce mécontentement qui a secoué toute la France.

S'il a émergé avec la hausse de la fiscalité sur les carburants, si on a beaucoup entendu les revendications des manifestants sur leur pouvoir d'achat, les racines de ce mouvement sont aussi à chercher dans l'évolution de l'environnement global de vie des Français dans certaines communes, selon cette étude, baptisée "Territoires, bien-être et politiques publiques".

"Le mouvement n'est pas un mouvement de pauvres, mais un mouvement de gens qui subissent le déclassement de l'endroit où ils vivent", explique Claudia Senik, économiste et un des auteurs de l'étude.

Pour arriver à cette conclusion, les auteurs ont recensé l'ensemble des communes ayant connu un événement lié aux "gilets jaunes" en novembre et décembre 2018, en les croisant avec cinq facteurs: le déclin de l'emploi, la fermeture des équipements publics et privés, le poids de la fiscalité locale, la baisse du nombre d'associations et des transactions immobilières.

Si on retrouve systématiquement un déclin de l'emploi dans les communes où a eu lieu un évènement "gilets jaunes", cette étude montre que la fermeture de services publics (écoles, gares, maternités...) et privés (commerces, cinémas...) a eu un impact beaucoup plus important sur le mal-être des populations et l'émergence de protestations.

"Il y a une probabilité plus forte d'événements +gilets jaunes+ quand la distance d'accès aux équipements a augmenté" entre 2012 et 2017, du fait de la fermeture de commerces, d'écoles, d'un cabinet médical, etc., explique Claudia Senik.

Ainsi, quand 8% des communes françaises ont été touchées par un événement "gilets jaunes", le taux monte à 30% pour les communes qui ont subi la fermeture de leur supérette.

"L'effet est particulièrement fort car la supérette ou l'épicerie est souvent le dernier commerce à fermer. On capture ici l'aboutissement du déclin des commerces dans une commune", décrypte Yann Algan, co-auteur de l'étude.

"Plus généralement, c'est la perte des lieux de socialisation qui semble participer au mal-être des territoires mobilisés dans le mouvement des +gilets jaunes+", selon cette étude.

- besoin de lien social -

Forts de ce constat, les auteurs estiment qu'il faut repenser les politiques territoriales pour y intégrer des objectifs en terme de bien-être des habitants, alors qu'elles se sont jusqu'ici surtout focalisées sur les gains strictement économiques, avec une tendance à la concentration des activités et des équipements dans les métropoles.

"Nous sommes à un moment où financer seulement les transports et les moyens de mobilité vers les agglomérations arrive à ses limites", selon Yann Algan.

Il faut "rééquilibrer cet arbitrage entre efficacité et équité" même si "ce n'est pas simple pour les politiques publiques", abonde Philippe Martin, président délégué du CAE.

L'étude critique notamment l'inefficacité de certaines aides aux territoires, comme les exonérations fiscales attribuées aux entreprises dans les zones de revitalisation rurale (ZRR), qui n'ont pas vraiment permis d'y stimuler l'emploi. Elle préconise donc leur suppression.

Les moyens dégagés (environ 300 millions d'euros par an) pourraient être réutilisés pour financer des projets à l'initiative des communes et en fonction de leurs besoins, comme l'embauche à temps partiel d'une infirmière ou la subvention à un établissement culturel.

Par ailleurs, le futur réseau France Services, annoncé par le président de la République au printemps pour faciliter les démarches administratives des Français, devrait aussi être élargi à tous les services de proximité, y compris privés, estime l'étude, afin de privilégier le lien social contre la stratégie du "tout numérique".

Partager cet article

Dans la même thématique

Paris : session of questions to the government at the Senate
9min

Politique

Face à un « budget cryptosocialiste », la majorité sénatoriale veut « éradiquer tous les impôts » votés par les députés

Ils vont « nettoyer » le texte, le « décaper ». Les sénateurs de droite et du centre attendent de pied ferme le budget 2026 et le budget de la Sécu. Après avoir eu le sentiment d’être mis à l’écart des discussions, ils entendent prendre leur revanche, ou du moins défendre leur version du budget : plus d’économies et faire table rase des impôts votés par les députés.

Le

Marseille: Amine Kessaci candidate
4min

Politique

Assassinat du frère d’Amine Kessaci : le militant écologiste engagé contre le narcotrafic était « sous protection policière et exfiltré de Marseille depuis un mois »

Le petit frère d’Amine Kessaci, jeune militant écologiste marseillais, connu pour son combat contre le narcotrafic, a été tué par balles jeudi soir à Marseille. L’hypothèse d’un assassinat d’avertissement est privilégiée et pourrait faire basculer la France un peu plus vers ce qui définit les narco Etats. C’est ce que craignaient les sénateurs de la commission d’enquête sur le narcotrafic. Le sénateur écologiste de Marseille Guy Benarroche, proche d’Amine Kessaci a pu s’entretenir avec lui, ce matin.

Le

Le déclassement des territoires, racine du malaise des « gilets jaunes »
2min

Politique

Assassinat du petit frère d’Amine Kessaci : revoir le documentaire sur le combat contre le narcotrafic du militant marseillais 

Mehdi, le petit frère d’Amine Kessaci, jeune militant écologiste marseillais, connu pour son combat contre le narcotrafic, a été tué par balles jeudi soir à Marseille. En 2020, c’est l’assassinat de son grand frère Brahim, qui avait conduit le jeune garçon à s’engager en politique. Son parcours est le sujet du documentaire « Marseille, des larmes au combat », Anaïs Merad, à revoir sur Public Sénat.

Le

Le déclassement des territoires, racine du malaise des « gilets jaunes »
3min

Politique

Projet de loi anti-fraudes : « C’est un objet politique qui vise essentiellement à montrer du doigt la fraude sociale »

Invités sur le plateau de Parlement Hebdo, le sénateur Bernard Jomier (Place Publique) et le député Sylvain Berrios (Horizons) sont revenus sur le projet de loi pour lutter contre les fraudes fiscales et sociales, examiné par la Chambre haute depuis mercredi. La majorité rassemblant les élus de la droite et du centre au Sénat ont affermi le texte en commission, y ajoutant une batterie de mesures qui ne fait pas consensus.

Le