Le jour où … le Sénat a enterré la réforme de l’école privée
Le 5 juillet 1984, le Sénat torpille le projet de loi de réforme de l’enseignement privé porté par le ministre de l’Éducation nationale Alain Savary, en usant d’une stratégie parlementaire qui va se retourner contre l’Élysée et le gouvernement Mauroy. Quatrième épisode de notre série d'été sur les jours qui ont marqué l'histoire du Sénat.
Avec l’ouverture du septennat de François Mitterrand, le Sénat redevient une chambre d’opposition. La guérilla parlementaire n’est pas pour autant systématique. La chambre haute ne cherche pas à résister à toutes les impulsions réformatrices des socialistes dans les premiers mois. Certaines lois du septennat précédent sont abrogées rapidement. L’abolition de la peine de mort emporte également une majorité de suffrages au palais du Luxembourg. Après les cantonales de mars 1982, à l’issue desquelles la droite dirige désormais six départements sur dix, le Sénat ne va plus retenir ses coups.
Dans ses mémoires, le sénateur RPR Charles Pasqua, élu pour la première fois dans cette chambre en 1977, reconnaît que le Sénat se révèle être « une redoutable machine de guerre ». De 1981 jusqu’à 1986, date du retour de la droite à l’Assemblée nationale, le Sénat entre en conflit ouvert avec l’Assemblée nationale et le gouvernement.
Durant toute la législature, le nombre d’accords entre les deux chambres est en chute libre (un texte sur dix quasiment), rares sont les commissions mixtes paritaires qui sont conclusives. « Le Sénat devient une chambre de démolition », dira même Christian Pierret, le rapporteur général de la commission des Finances à l’Assemblée nationale, fin 1983.
24 juin 1984 : un million de personnes dans les rues de Paris
L’escalade s'amplifie en 1984. Voilà trois ans que le ministre de l’Éducation nationale, Alain Savary, planche sur une réforme de l’enseignement privé, traduction d’une promesse de campagne de François Mitterrand. Le candidat socialiste rêvait d’un « grand service public et laïc, de l'éducation nationale ».
Le gouvernement dépose le 19 avril son projet de loi « relatif aux rapports entre l’État, les communes, les départements, les régions et les établissements d’enseignement privé », afin d’intégrer les enseignants des écoles privées dans le système public. Le sujet est explosif. L'école catholique regroupe à l’époque, relate Le Monde, près de deux millions d'élèves dans ses dix mille établissements. La réforme provoque une mobilisation intense et inédite avec une apogée le 24 juin 1984, jour où un million de personnes défilent dans les rues de Paris en scandant « l’école libre vivra ! »
Choisir librement le mode d'éducation de ses enfants
« Le vote de la loi Savary n’aurait dû poser aucun problème. Mais voilà qu’avant que ce texte ne vienne en examen, une série de modifications ont eu comme conséquence de le durcir. Il s’agissait d’un projet attentatoire à une liberté essentielle : le droit pour les familles de choisir librement, comme elles l’entendaient, le mode d’éducation de leurs enfants », explique Charles Pasqua, le président du groupe RPR de l’époque, au micro de Public Sénat en 2011.
La bataille se joue aussi dans les hémicycles, et la droite parlementaire use de tous les outils de procédure pour retarder l’adoption, avec des motions et des amendements. Le blocage s’arrête lorsque le gouvernement Mauroy engage sa responsabilité par le biais de l’article 49-3. La motion de censure des groupes RPR et UDF est rejetée.
Le Sénat dégaine l’arme du référendum
Au Sénat, l’opposition est résolue. Fin juin, le président Alain Poher s’oppose à l’inscription à l’ordre du jour du texte dans la session extraordinaire, demandant au gouvernement d’attendre la session ordinaire d’octobre. Comme le souligne un rapport sénatorial, le président Poher est « écouté mais n’est pas entendu ».
Le sénateur Charles Pasqua se remémore les mots que le président du Sénat lui a confiés en juillet 1984, après une entrevue à l’Élysée pour tenter d’arracher quelques concessions et aménagements sur la réforme controversée. « Ça s’est très mal passé. Il [François Mitterrand] a refusé toute discussion et il m’a dit : vous avez déjà fait partir un président de la République [De Gaulle], vous n’en ferez pas partir un second. Je n’accepterai aucune discussion. »
Visite d'Alain Poher à François Mitterrand au sujet de l'école libre, en juillet 1984
Sur ce texte, la majorité de droite sait qu’elle a peu de chance d’obtenir gain de cause avec ses amendements dans la navette parlementaire et que l’obstruction est vaine. D’autant que plane la menace du vote bloqué, un instrument à la disposition du gouvernement.
« Une affaire qui ne pouvait que mal tourner »
Le 5 juillet, Charles Pasqua, alors président du groupe RPR au Sénat, trouve la parade : la motion référendaire. Adoptée par 208 voix contre 107, elle prévoit de soumettre le projet de loi à référendum. Stupeur de l’exécutif, conscient que la réforme était mal engagée comme en attestent les enquêtes d’opinion. L’Élysée est pris au piège, les réactions au sommet de l’État sont violentes.
En visite officielle en Auvergne, dénonçant une « médiocre politique », François Mitterrand prévient qu’il ne se laissera « pas intimider par les invectives et les obstructions ». Devant l’Assemblée nationale, où la motion sénatoriale sera rejetée, le Premier ministre Pierre Mauroy stigmatise « les rêves de subversion » de l’opposition. « Le président de la République s’est rendu compte qu’il était engagé dans une affaire qui ne pouvait que mal tourner », raconte en 2011 Charles Pasqua.
Le 12 juillet, François Mitterrand change de réforme
Un texte sur l’école pouvait-il de toute manière faire l’objet d’un référendum au titre de l’article 11 de la Constitution ? En 1984, le spectre des projets de loi pouvant faire l’objet d’une consultation des électeurs était bien plus réduit qu’il ne l’est actuellement. Seuls ceux portant sur l’organisation des pouvoirs publics entraient dans ce cadre. Pas encore les réformes économiques, sociales, environnementales ou tout ce qui touche aux services publics.
Le 12 juillet, une semaine après la motion sénatoriale, François Mitterrand s’adresse à la télévision, pour chercher à reprendre l’avantage. Le projet de loi Savary est retiré, un autre texte sera présenté par le gouvernement et soumis à une procédure parlementaire habituelle. Pour masquer son recul, le président de la République annonce que le « moment est venu » d’engager une réforme constitutionnelle de l’article 11, pour permettre des référendums sur la question des libertés publiques.
Le lendemain, le président du Sénat Alain Poher est reçu à l’Élysée. Le troisième personnage de l’État fait part de ses doutes sur la réforme : il ne veut pas revivre le « conflit » qui a opposé le Sénat et la présidence de la République à travers deux référendums en 1962, puis en 1969. « ll ne faut, pour le futur, ni plébiscite ni questions ambiguës ou mal posées », met en garde Alain Poher.
« Le Sénat a renversé le gouvernement »
Les rebondissements s’enchaînent la semaine suivante. Le 17 juillet, le Sénat, en pleine séance de l’après-midi, apprend la démission d’Alain Savary, puis le départ de Matignon de Pierre Mauroy, totalement désavoué par l’intervention présidentielle. Laurent Fabius lui succède. « Le Sénat a renversé le gouvernement, ce qui n’était pas la pratique constitutionnelle normale », analyse Charles Pasqua, presque trente ans plus tard.
Trois jours après, la réforme constitutionnelle atterrit sur le bureau du Sénat. Le rapporteur de la commission des Lois, Étienne Dailly, dénonce un projet qui « fait diversion » et qui « crée la confusion dans les esprits ». Les sénateurs sont d’autant plus mécontents qu’ils constatent que le projet de loi ne comporte pas les « garanties parlementaires constitutionnelles » exigées par Alain Poher. Par conséquent, le texte est rejeté, la réforme constitutionnelle ne peut pas aboutir. C’est un nouvel échec pour l’Élysée.
Les jours qui ont marqué l'histoire du Sénat - tous les épisodes :
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