Le modèle européen qu’incarnait Jean Monnet est « désormais considéré comme un échec » pour l’historien Arnaud Teyssier
L’histoire de l’Union européenne est intrinsèquement liée au destin de Jean Monnet, qui fut l’un de ses principaux artisans. Un destin méconnu du grand public. Pourquoi cet oubli ? Jean Monnet a-t-il la postérité qu’il mérite ? Sa vision et sa méthode sont-elles encore pertinentes aujourd’hui ? Ce sont toutes ces questions que tentent d’éclairer Jérôme Chapuis et ses invités, pour Un Monde en docs, sur Public Sénat.

Le modèle européen qu’incarnait Jean Monnet est « désormais considéré comme un échec » pour l’historien Arnaud Teyssier

L’histoire de l’Union européenne est intrinsèquement liée au destin de Jean Monnet, qui fut l’un de ses principaux artisans. Un destin méconnu du grand public. Pourquoi cet oubli ? Jean Monnet a-t-il la postérité qu’il mérite ? Sa vision et sa méthode sont-elles encore pertinentes aujourd’hui ? Ce sont toutes ces questions que tentent d’éclairer Jérôme Chapuis et ses invités, pour Un Monde en docs, sur Public Sénat.
Public Sénat

Par Hugo Ruaud

Temps de lecture :

5 min

Publié le

Mis à jour le

De simple négociant en Cognac à président de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA), Jean Monnet a traversé le vingtième siècle avec une idée en tête : créer les conditions de la paix et de la prospérité sur le vieux continent, jetant ainsi les bases de la construction européenne. Aujourd’hui encore, dans les manuels d’histoire, il est considéré - aux côtés de Robert Schumann, Alcide De Gasperi, ou encore Konrad Adenauer -, comme l’un des « pères de l’Europe ».

« Un homme de l’ombre »

Pourtant, Jean Monnet est relativement méconnu du grand public. En dehors des cercles intellectuels et des spécialistes de l’Union européenne, ce personnage central de l’histoire du XX° siècle reste en retrait dans les mémoires collectives. Un décalage qui s’explique très bien, selon le député Jean-Louis Bourlanges : « Je trouve ça assez normal qu’on n’en parle pas beaucoup, car c’est un homme qui n’a jamais été dans la lumière, c’est un homme qui n’a jamais écrit, et qui n’a jamais parlé. C’est le prototype de l’homme de l’ombre ».

« On en parle moins aujourd’hui, mais on en parlait beaucoup dans les années 1970 et 1980 », Arnaud Teyssier.

Un homme de l’ombre qui a passé sa vie à influencer les hommes politiques, à leur inspirer des solutions face aux problèmes qu’ils rencontraient. « C’était le contraire d’un chef charismatique, d’un manieur de foule, d’un tribun » conclut le député.

« Son modèle est un échec »

Pour Arnaud Teyssier, historien et ancien collaborateur de Philippe Séguin, si la figure de Jean Monnet est un peu oubliée c’est que le modèle européen qu’il défendait a failli, ses idées ne sont plus une référence comme elles l’étaient encore il y a 30 ans : « On en parle moins aujourd’hui, mais on en parlait beaucoup dans les années 1970 et 1980 ». En 1988, François Mitterrand lui-même avait rendu hommage lors d’un discours célébrant le centième anniversaire de sa naissance.

Une postérité érodée pour une raison précise d’après Arnaud Teyssier : l’échec de la construction européenne telle que Monnet l’avait conçue. « Le modèle qu’il incarnait est désormais considéré comme un échec. Ce qui triomphe aujourd’hui, c’est la vision gaullienne, ou celle de Philippe Séguin lors du discours de Maastricht à l’occasion des failles terribles du modèle de Monnet ».

« Monnet était quelqu’un qui croyait au pouvoir de la raison, alors qu’un homme politique est quelqu’un qui croit au pouvoir de la représentation », Jean-Louis Bourlanges.

Des failles qui tiennent, pour l’historien du gaullisme, en partie par la méthode employée par l’ancien négociateur en Cognac. Jean Monnet n’était pas un politique, mais un lobbyiste de l’Europe il a cherché à influencer le cours de l’histoire en agissant dans l’ombre et en contournant le politique. « Monnet était quelqu’un qui croyait au pouvoir de la raison, alors qu’un homme politique est quelqu’un qui croit au pouvoir de la représentation, c’est certes très intelligent, ça a ses limites » explique Jean-Louis Bourlanges.

Souveraineté et social, les angles morts du projet européen de Monnet

Si l’idée d’interpénétrer les économies pour densifier les liens entre pays a permis de construire une union économique, la dimension sociale est longtemps restée absente. Même si pour Jo Leinen, ancien eurodéputé allemand social-démocrate, il ne fait pas oublier que dès la création de la CECA, la question des conditions de travail des salariés est abordée.

Mais pour Jean-Louis Bourlanges, la sous-estimation de l’attachement des peuples au sentiment de souveraineté nationale explique en grande partie la faiblesse du projet porté par Jean Monnet : « La philosophie de Monnet est contraire à celle de De Gaulle. Leur rapport à la nation est fondamentalement différent. Monnet est un rationaliste, peu importe d’où l’on vient… Alors que de Gaulle est un enraciné, il incarne la légitimité française, ce n’est absolument pas le même univers de référence ». Et à l’heure du Brexit, du regain des différents nationalismes et d’un recul global des projets fédéralistes européen, c’est sans doute ce qui explique que la mémoire de Jean Monnet s’étiole.

--

Retrouvez le replay de notre émission Un Monde en Docs, sur notre site internet.

Vous pouvez également retrouver ici le replay du documentaire, « Jean Monnet, le père discret de l’Europe ».

 

Partager cet article

Dans la même thématique

Buste de Marianne
2min

Politique

Sondage : 76% des Français s’intéressent aux prochaines municipales

Comme lors des précédentes élections municipales, le thème de la « sécurité et de la lutte contre la délinquance » se dégage largement comme prioritaire pour 50% des Français interrogés, en particulier chez les sympathisants de droite et d’extrême droite, dans un sondage Odoxa pour Public Sénat et la presse régionale. La santé et le niveau des impôts locaux suivent, avec 35% de citations chacun.

Le

107th anniversary of the 1918 Armistice
3min

Politique

Sondage : Sébastien Lecornu reste beaucoup moins impopulaire qu’Emmanuel Macron

L'impopularité du Premier ministre est bien moindre que celle du chef de l’Etat : Sébastien Lecornu bénéficie de 35% d’opinions favorables contre 21% pour Emmanuel Macron, selon le dernier baromètre Odoxa de décembre 2025. Cet écart s'est même creusé, puisque le locataire de Matignon a progressé de 5 points depuis octobre tandis que le président stagne.

Le

3min

Politique

Municipales : le front « anti-LFI » désormais plus fort que le front « anti-RN »

59% des Français sont disposés à se reporter sur un candidat qui ne bénéficie pas de leurs faveurs politiques afin d'empêcher LFI de l’emporter aux prochaines municipales. Ce chiffre dépasse de loin les 44% qui se disent prêts à faire de même contre le RN, selon un sondage Odoxa pour Public Sénat et la presse régionale. C’est au sein de la droite et du centre que le sentiment anti-LFI s’exprime avec le plus de force.

Le

Le modèle européen qu’incarnait Jean Monnet est « désormais considéré comme un échec » pour l’historien Arnaud Teyssier
4min

Politique

Budget : « Nous avons tout à fait matière à trouver le compromis », estime la ministre de l’Action et des Comptes publics

Adopté sans surprise par les sénateurs, le projet de loi de finances éveille malgré tout des crispations au sein de la Chambre haute, le chiffre du déficit avoisinant désormais les 5,3% du PIB, loin de la volonté de la majorité sénatoriale de le contenir à 4,7%. La pression s’accroit et se déporte désormais sur la commission mixte paritaire qui se tiendra les 19 et 20 décembre.

Le