Le président de Vinci Autoroutes au Sénat : « 2020 sera une année noire »

Le président de Vinci Autoroutes au Sénat : « 2020 sera une année noire »

Le président de Vinci Autoroutes est revenu sur la rentabilité du modèle actuel, sans pour autant donner les chiffres précis qu’attendaient les sénateurs. Il prédit toutefois que, conséquence de la crise, « 2020 sera une année noire. »
Public Sénat

Par Ariel Guez

Temps de lecture :

7 min

Publié le

Mis à jour le

« Vos propos ne sont pas dignes d'un dirigeant d'une grande entreprise française », avait lancé Hervé Maurey au président de Vinci Autoroutes en mai 2019. Ces propos avaient été tenus lors d'une audition très tendue entre la commission de l'aménagement du territoire du Sénat et la direction de Vinci, comme nous vous le racontions dans cet article. Ce mardi, dans le cadre des travaux de la commission d'enquête sur les concessions autoroutières, le président de Vinci Autoroutes est revenu au Palais du Luxembourg, pour une audition d'une heure et demie qui a été moins bien tendue que celle de l'an dernier.

« Je vous donne rendez-vous en 2032 »

La commission d'enquête sénatoriale « n'est pas un procès des sociétés d'autoroutes » a rassuré d'entrée Vincent Delahaye. Toutefois, Pierre Coppey a fermement défendu son bilan. Dans son introduction, il a loué le travail qu'il a effectué depuis 2009 à la tête de Vinci Autoroutes. Arrivé à ce poste trois ans après les privatisations de 2006, Pierre Coppey est longuement revenu sur la rentabilité du modèle en place. Faut-il réévaluer le taux de rentabilité interne (TRI) ? Non, assure-t-il.

Ce taux, qui est un indicateur important pour mesurer la pertinence d'un projet, aide à la décision avant tout investissement. En 2006, lors des privatisations effectuées sous le gouvernement Villepin, il avait été estimé entre 7 et 8 %, raconte Pierre Coppey. « Lorsqu'on achète ou qu'on investit dans une concession, on fait tourner un modèle avec d'un côté les recettes, et de l'autre, les engagements d'investissements de maintenance du concessionnaire. Entre les deux, on a un TRI », explique-t-il. « Comment ce taux évolue-t-il ? Je n'en sais rien. Je vous donne rendez-vous en 2032 pour vous dire ce qu'il a en aura été », répond le patron de Vinci Autoroutes.

« Comment le taux de rentabilité interne évolue-t-il ? Je n’en sais rien »

Pierre Coppey justifie son propos en expliquant que les investissements ont été considérables au fil du temps et que le trafic a vu des hausses et des baisses importantes depuis quatorze ans. « Le TRI, aujourd'hui, je ne suis pas en mesure de vous dire si nous le réévaluons. Les hypothèses ont beaucoup bougé par rapport à 2006 et elles bougeront encore d'ici la fin des concessions (en 2033, ndlr). (...) Je ne sais pas vous dire et personne ne pourrait vous dire quel est le TRI à date, car c'est un non-sens », affirme Pierre Coppey.

Pour le président de Vinci Autoroutes, « le TRI à date est un non-sens »
04:42

 

« Nous sommes en retard sur le plan de marche » fixé en 2006

Un argumentaire qui n'a pas convaincu Vincent Delahaye. « On ne peut que l'évaluer de manière rétrospective, mais aussi par rapport aux prospectives qu'on a et qui partent d'hypothèses, comme on le fait au début de la concession », a répondu le rapporteur de la commission d'enquête. « Je pense qu'on peut recalculer le TRI de manière théorique aujourd'hui ».

Alors, Pierre Coppey a esquissé une réponse, sans pour autant totalement satisfaire le sénateur de l'Essonne. « En constatant l'évolution des hypothèses, je peux en déduire que nous sommes en retard sur le plan de marche » fixé en 2006, a-t-il expliqué.

Éric Bocquet, ne partira pas non plus en vacances avec Pierre Coppey. D'accord avec Vincent Delahaye sur le TRI, le sénateur communiste du Nord a pointé dans sa salve de questions la hausse du chiffre d'affaires des sociétés concessionnaires qui serait, selon les données d'un rapport universitaire, de 45,3 % entre 2006 et 2017. Sauf que, souligne Éric Bocquet, la baisse des charges de personnel correspond sur la même période entre 12,5 et 8 % du chiffre d'affaires. Les ordres de grandeur évoqués par le sénateur Bocquet ne « choquent pas » Pierre Coppey, mais le patron de Vinci Autoroutes réfute toute corrélation entre les deux données.

Selon le président de Vinci Autoroutes, « le rapport de force est extrêmement déséquilibré... au bénéfice de l’État »

Interrogé par le sénateur communiste sur son ressenti sur le rapport de l’autorité à la concurrence de 2014, qui affirmait qu’il existait « un rapport de force extrêmement déséquilibré entre les concessionnaires et l’État », Pierre Coppey a répondu qu’il était « d’accord ». « Le rapport de force est extrêmement déséquilibré... au bénéfice de l’État », a-t-il lancé. « Nous avons en face de nous, le ministère de l’Environnement, les services du Trésor et les services de Bercy (...) nous avons en face de nous le Conseil d’État qui examine les dossiers avec une particularité bien française puisque le qu’il est à la fois juge du contrat et conseil du gouvernement. Dans le genre déséquilibre, je crois qu’on peut difficilement faire mieux ! » a dénoncé Pierre Coppey. « J’en suis pas archi-convaincu », commentera plus tard lors de l’audition Vincent Delahaye.

[ A LIRE AUSSI - Autoroutes : la Cour des comptes pointe « la faiblesse » de l’État face aux sociétés concessionnaires ]

Surtout, c'est le manque de précisions qui a peut-être légèrement agacé les membres de la commission d'enquête. Outre le TRI, Pierre Coppey n'a pas souhaité donner de chiffres précis concernant les prévisions qu'il faisait pour la suite de l'année 2020. Toutefois, l'année en cours est « une année noire », selon le patron du concessionnaire, qui rappelle qu'après la crise de 2008, il a fallu dix ans pour retrouver le même niveau de trafic des poids lourds.

« Je ne peux pas donner aujourd'hui les hypothèses d'atterrissage de fin d'année »

Pierre Coppey a « confirmé que ce qui s'est passé depuis le 17 mars aura un impact significatif sur nos plans d'affaires » et espère que « le trafic reprendra rapidement ». Selon lui d'ailleurs, le trafic « va moins mal depuis quelques jours. »

Mais les sénateurs n'en sauront pas plus... Pierre Coppey, qui témoignait sous serment, a invoqué « les règles de communication financière », qu'il enfreindrait selon lui s'il était plus précis. « Je ne peux pas donner aujourd'hui les hypothèses d'atterrissage de fin d'année, qui sont de toute façon fausses, car la situation sanitaire évolue tous les jours », a-t-il précisé.

Le rapporteur de la commission d'enquête, Vincent Delahaye, l'a tout de même relancé : « Forcément, les budgets ne sont pas réalisés à l'euro près, il y a toujours des surprises, des choses qui sont en plus en moins », a-t-il expliqué, avant de demander : « Est-ce que vous pouvez être un petit peu plus précis ? ».

« Le trafic est toujours négatif par rapport à la même période en 2019, mais je ne vous dirai rien de plus. J'en suis navré mais je me mettrai en contradiction avec les règles de communication financière », a répété Pierre Coppey. En réponse, le léger « bon... » de Vincent Delahaye, qui n'avait pas éteint son micro, ne pouvait dissimuler une certaine déception, voire un léger agacement de l'élu face au directeur général adjoint de Vinci. Au fond, celui de l’État face au privé.

 

Dans la même thématique