Le rapport qui veut réconcilier les élèves français avec les maths

Le rapport qui veut réconcilier les élèves français avec les maths

Une mission, menée par le député (LREM) Cédric Villani, et l’inspecteur général Charles Torossian, a remis ses conclusions au gouvernement. Pour améliorer le niveau des élèves en mathématiques, ils font de la formation des enseignants la « clé » et veulent introduire de nouvelles méthodes d’apprentissage.
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Les élèves français sont-ils fâchés avec les mathématiques ? L’Hexagone décroche depuis plusieurs années dans les classements pédagogiques internationaux.

Dans le test TIMSS, qui évalue le niveau de compétence en mathématiques des écoliers de CM1, la France pointe au dernier rang sur les 22 États européens en course. Même déception dans la dernière enquête PISA qui mesure le niveau des élèves de quinze ans : la France est au 27e rang des 72 pays participants.

Les « résultats sont catastrophiques », souligne en préambule un rapport rendu public ce lundi par le député (LREM) Cédric Villani, mathématicien lauréat de la médaille Fields en 2010, et l’inspecteur général de l’Éducation nationale Charles Torossian. Cette mission, lancée par Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’Éducation nationale, dresse 21 mesures pour l’enseignement des mathématiques et améliorer le niveau des élèves. « Il est grand temps de réagir », insistent les auteurs, qui proposent de faire de cette matière « une priorité nationale ».

Des élèves aux enseignants, du CP à la terminale, le rapport propose pêle-mêle plusieurs pistes, comme « cultiver le sens des quatre opérations dès le CP » (un point qui avait suscité l’inquiétude de certains syndicats d’enseignants) ou proposer aux lycéens un module annuel de « réconciliation » avec les mathématiques. « Réconciliation », le mot est lâché.

 « Il n’y aura pas de recette miracle », a toutefois prévenu Cédric Villani ce matin rue de Grenelle, mais il a fait de la question de la formation des enseignants « la mesure la plus importante » du rapport. « L'encadrement humain est déficient. Très peu des enseignants des écoles se sentent à l'aise en mathématiques, et c'est normal, au vu de leurs parcours et leur formation », expliquait-il ce matin chez nos confrères de LCP.

Rénover la formation des enseignants

Si 80% des professeurs des écoles proviennent de filières littéraires et des sciences humaines, le rapport met surtout en cause la très nette insuffisance des heures de formation en mathématiques dispensées dans les deux années des ESPE, les écoles supérieures du professorat et de l'éducation. « Les enseignants singapouriens reçoivent cinq fois plus d’heures de formation que nos instituteurs français », rappelle le député de l’Essonne. Le rapport propose que la formation initiale des enseignants soit réaménagée dès la première année de licence, avec de l’interdisciplinarité.

« La formation des enseignants est très importante », acquiesce la sénatrice Françoise Laborde (RDSE), qui estime que la lutte contre « l’innumérisme » doit être aussi fondamentale que l’est celle contre l’illettrisme. « Ça ne s’improvise pas, on peut avoir des jeunes qui ont fait des masters en maths, ce n’est pas pour autant qu’ils sont de bons pédagogues. »

Une méthode venue de Singapour

Parmi les nouvelles méthodes pédagogiques que l’Éducation nationale pourrait introduire ou approfondir au primaire, le rapport a puisé son inspiration dans les recettes des pays en tête des classements. Et notamment celle du petit État de Singapour, dont le niveau en mathématiques des écoliers s’est élevé à partir des années 1990. Les deux rapporteurs préconisent des méthodes intuitives, à partir d’exemples concrets, avant d’aborder la matière avec plus d’abstraction.

Pour les épauler dans leur raisonnement, les écoliers manipuleraient des objets. La méthode semble faire ses preuves localement, comme en témoignent divers établissements qui l’ont adoptée. Selon la Librairie des Écoles, maison d’édition qui a mis sur le marché les premiers manuels de cette méthode dite de « Singapour » il y a 10 ans, environ 120.000 écoliers y sont aujourd’hui confrontés (soit 2% des élèves du premier degré).

« Il faudra aider les enseignants, avec des stages d’école et des fiches didactiques », prévient Françoise Laborde, qui a été elle-même institutrice avant son mandat parlementaire. Une méthode, qui ne doit pas faire disparaître, selon elle, les « leçons-chansons », pour apprendre par exemple les tables de multiplication.

« C’est peut-être la mesure qui a le plus d’importance à mon sens », réagit le sénateur (LR) Jean-Claude Carle, qui plaide depuis longtemps pour des pédagogies « adaptées » et « différenciées ». « Aujourd’hui, on a un système qui ne prend en compte qu'une forme d’intelligence, abstraite, en oubliant qu’un certain nombre de gens ont une intelligence plus concrète, celle du geste ». Cette piste peut être introduite, « à condition que les enseignants soient formés », selon lui.

Quelle mise en œuvre ?

Dans ses recommandations, la mission propose notamment d’expérimenter, dès la rentrée prochaine, des « méthodes dites explicites et intuitives » dans près de 1000 classes allant du CP au CE2. La « méthode de Singapour » est ici évoquée, mais « elle n’est pas la seule », insistent les auteurs.

Pour le ministre de l’Éducation nationale, qui a mis l’accent sur l’acquisition des savoirs fondamentaux au primaire, il ne s’agit pas de « transposer directement » cette méthode, mais d’avoir « la même démarche que celle qui a réussi à Singapour ». « Nous pouvons être capables d’avoir une méthode française comme il y a une méthode de Singapour », déclarait-il le 17 octobre sur RTL.

Face à ces « bonnes mesures », le sénateur de la Haute-Savoie, Jean-Claude Carle, regrette que le système éducatif actuel soit « rétif aux expérimentations ».

Inversement, pour « rattraper le retard français », François Laborde considère qu’il faudra sans doute « imposer » ces évolutions dans un système éducatif qui fait encore la part belle à la « liberté pédagogique ».

Comment désormais faire « vivre » ces mesures ? Les membres de la mission rappellent que la déclinaison de leurs recommandations « suppose une mobilisation rapide, coordonnée, durable et certainement ardente de l’ensemble des acteurs du système éducatif ».

Ces dernières années, l’enseignement des mathématiques a déjà fait l’objet de plusieurs états des lieux, au niveau de plans ministériels ou de conférences. Najat Vallaud-Belkacem avait ainsi mis sur pied en décembre 2014 une « Stratégie mathématiques », où l’amélioration de la formation faisait déjà partie des préconisations. Et en 2012, une Conférence nationale sur l’enseignement des mathématiques s’était elle aussi penchée sur cette matière.

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