Le Sénat adopte la création d’un ticket-restaurant étudiant

Le Sénat adopte la création d’un ticket-restaurant étudiant

Initiée par le sénateur centriste Pierre-Antoine Lévi, la proposition de loi, qui avait vu son champ d’action largement réduit en commission, a été adoptée en première lecture à la Haute Assemblée.
Public Sénat

Par Jules Fresard

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C’est un premier essai réussi pour Pierre-Antoine Lévi, sénateur centriste du Tarn-et-Garonne, arrivé au Palais du Luxembourg il y a tout juste huit mois. Sa première proposition de loi, qui vise à créer un ticket-restaurant à destination des étudiants, a été adoptée en première lecture au Sénat jeudi 10 juin, à l’occasion de la niche parlementaire centriste.

A terme, si le texte actuel venait à être définitivement adopté par le Parlement après son examen à l’Assemblée Nationale, il garantirait aux étudiants ne bénéficiant pas sur leur lieu d’étude de restaurant universitaire (RU), d’un ticket-restaurant d’une valeur de 6,60 €, dont 3,30 € seraient à leur charge. Les champs d’applications précis, comme le coût concret de la mesure, restent toujours à définir.

Une proposition en réponse à la précarité étudiante

« Comme beaucoup d’entre vous, j’ai été très sollicité par des étudiants en détresse. […] Des jeunes garnissant les files d’attente des restos du cœur, ce sont des images qui ne sont pas tolérables dans notre pays en 2020 ». Dans l’hémicycle, Pierre-Antoine Lévi a tenu a tenu à rappeler aux sénateurs et sénatrices présents les conséquences désastreuses de la pandémie sur la situation sociale des étudiants. Un constat à l’origine de sa proposition de loi.

Cette dernière, déposée le 3 mars, visait, dans sa formulation initiale, à mettre en place pour les étudiants un ticket-restaurant d’une valeur de 6,60 €, dont la moitié aurait été à leur charge, correspondant au tarif qu’ils doivent normalement débourser pour un repas dans un restaurant universitaire. Une mesure jugée d’autant plus nécessaire que les RU « ne peuvent pas être présents dans toutes les villes. Ils couvrent en priorité les campus, mais bien d’autres acteurs existent, comme les étudiants en école de commerce, ou ceux en classes préparatoires », a souligné le sénateur du Tarn-et-Garonne.

Un constat partagé par Jean Hingray, sénateur des Vosges et rapporteur du texte pour la commission de la Culture, de l’éducation et de la communication. D’autant que le sénateur juge l’actuelle mesure en vigueur dans les RU, celle des repas à 1 euro pour tous les étudiants, mise en place dans le contexte de crise sanitaire « ne constitue pas un modèle économique viable. Un repas coûte sept à huit fois le tarif. Il est là pour répondre à une situation d’urgence, or le ministère ne peut pas nous dire si cela va évoluer ».

Des ajustements majeurs pris en commission

Mais le texte, avant son arrivée dans l’hémicycle, a connu en commission une réduction importante de son champ d’action. Initialement ouverte à tous les étudiants, la version votée aujourd’hui par le Sénat prévoit que seuls les étudiants n’ayant pas accès sur leur lieu d’études à un RU pourront bénéficier des tickets-restaurants. « Il nous est apparu nécessaire d’ajuster ce bénéfice, en l’axant sur la problématique de l’accès au restaurant universitaire. Les 800 points de restauration ne sont pas répartis de façon homogène sur le territoire. […] Il y a des zones blanches », a détaillé Jean Hingray.

Un recalibrage salué par Céline Boulay-Espéronnier, oratrice à la tribune pour le groupe Les Républicains. « Il ne saurait s’agir de mettre en concurrence les Crous avec les opérateurs privés. Je soutiens pleinement l’amendement du rapporteur, qui entend faire bénéficier de ces tickets-restaurants les étudiants éloignés des restaurants universitaires ». Même son de cloche chez Stéphane Piednoir, lui aussi sénateur LR, qui « félicite le rapporteur pour avoir trouvé une réécriture de l’article premier ». Conséquence ? « Les sénateurs du groupe LR ont choisi de faire confiance à cette mesure, et voteront son adoption ». Contrairement aux sénateurs RDPI (LREM), qui se sont abstenus « de façon positive », comme l’a précisé Julien Bargeton, sénateur de Paris.

 

Socialistes et écologistes opposés à la mesure

C’est du côté de la gauche sénatoriale qu’est venue l’opposition la plus ferme à la mesure. Socialistes et écologistes ont en effet décidé de ne pas voter la proposition de loi. Les communistes, représentés par Pierre Ouzoulias, l’ont, eux, soutenu. Même s’ils ont rappelé que la mesure doit intervenir quand aucune autre offre n’est disponible. Ils considèrent « que cette proposition est susceptible de contribuer à une extension du service universitaire ».

La raison des griefs d’une partie de la gauche ? Socialistes comme écologistes dénoncent collectivement une « fausse bonne idée ». « Plus nous avons travaillé sur le sujet, moins nous avons été convaincus » a précisé Sabine Van Heghe, sénatrice socialiste du Pas-de-Calais. A la tribune, cette dernière a dénoncé une mesure symbole de « l’ultralibéralisme économique, et du repli sur la sphère privée ». « Quitte à faire un investissement conséquent, pourquoi ne pas aider directement les étudiants, avec une aide financière directe, qui permettra de lutter plus efficacement contre la précarité ». Sabine Van Heghe appelle ainsi à « l’extension du RSA jeune » et la pérennisation des repas à 1 euro dans les RU. Cette dernière a d’ailleurs déposé un amendement de suppression de la mesure, rejeté par les sénateurs.

Ticket resto étudiant : une mesure inspirée par "l’ultra-libéralisme économique"
05:30

Monique de Marco, sénatrice écologiste de la Gironde, a pointé du doigt le « montant du ticket trop faible (6,60 €, ndlr) pour donner accès à une restauration de qualité. Cela favorisera les fast-foods ». « Dans sa première mouture, la proposition mettait en danger les Crous. M. le rapporteur, vous avez entendu les critiques, de ce fait vous avez limité la mesure aux zones blanches. Mais cela ne règle pas tous les problèmes », a-t-elle jugé.

Des critiques auxquelles Jean Hingray comme Pierre-Antoine Lévi ont répondu, notamment sur la possible utilisation de ces tickets dans des fast-foods. « Les étudiants n’iront pas s’acheter de la junk food tous les jours. Arrêtons d’infantiliser les étudiants, ils valent bien mieux que cela » a souligné Pierre-Antoine Lévi.

La position en demi-teinte du gouvernement

Représenté par Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, le gouvernement a lui, tenu d’abord à « saluer l’initiative, de nous permettre de débattre de cette proposition de loi qui permet d’évoquer la problématique de la précarité étudiante », avant de rappeler les différentes initiatives déjà prises. « Le gouvernement a déployé un arsenal de mesures, avec le doublement des aides d’urgence, la revalorisation des bourses, le gel des frais d’inscription… » a tenu à souligner la ministre.

Concernant les « zones blanches » évoquées par l’auteur et le rapporteur du texte, Frédérique Vidal a tenu à minimiser la situation. « Les Crous maillent déjà l’essentiel du territoire. Sur les 2,8 millions d’étudiants, 2,3 ont déjà un RU dans leur environnement immédiat », avant de venir remettre en question plus largement la proposition de loi. « Cette proposition pose des questions centrales. Pour gommer les disparités, je crois qu’il faut mobiliser tous les leviers disponibles. En l’état, je ne suis pas convaincu que le ticket-restaurant soit une réponse satisfaisante […]. Son coût resterait conséquent, sans pour autant garantir l’égalité sociale », a précisé la ministre.

Mais pour certains sénateurs, l’existence de ces zones blanches est bien réelle, et mettre en place des services de restauration pour un nombre d’étudiants limités s’avère complexe. Annick Billon, oratrice pour le groupe centriste, a tenu à évoquer « l’antenne de la faculté d’Angers aux Sables d’Olonne, où le Crous le plus proche se situe à 30 kilomètres ». Là où la mise en place des tickets-restaurants universitaires pourrait être particulièrement favorable, selon la sénatrice.

Et face à l’amendement de suppression déposé par Sabine Van Heghe, Frédérique Vidal a émis un avis de sagesse, s’en remettant au vote des sénateurs. La proposition de loi doit maintenant se rendre à l’Assemblée Nationale, où la députée LR Anne-Laure Blin a déposé une proposition de loi similaire. Reste à savoir dans quel sens l’avis de sagesse émis jeudi 10 juin par le gouvernement est amené à évoluer. Au Palais Bourbon, le soutien des députés LREM sera nécessaire pour faire passer la mesure, quand leurs homologues au Sénat ont préféré s’abstenir.

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