Les Européens réunis à Versailles : « La guerre a rendu ce sommet absolument vital », selon la directrice générale de la Fondation Schuman

Les Européens réunis à Versailles : « La guerre a rendu ce sommet absolument vital », selon la directrice générale de la Fondation Schuman

Le sommet européen voulu par la France à Versailles ces 10 et 11 mars prend une dimension nouvelle avec les enjeux stratégiques posés par la guerre en Ukraine. Il y sera question d’indépendance énergétique ou stratégique, et plus seulement de règles budgétaires. Pour la directrice générale de la Fondation Schuman, les Européens abordent l’exercice unis.
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Par Guillaume Jacquot et Norbert Evangelista

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Les chefs d’États et de gouvernement européens se réunissent, ces 10 et 11 mars, pour aborder les questions liées la défense et à la stratégie d’indépendance énergétique européennes. Ce sommet organisé au château de Versailles dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, était à l’origine consacré au « nouveau modèle de croissance et d’investissement ». L’invasion russe en Ukraine a bouleversé l’ordre du jour. Est-ce le début d’un nouveau tournant dans l’histoire européenne ? Emmanuel Macron, le 2 mars, dans une allocution télévisée, avait prévenu : « À ce retour brutal du tragique dans l’Histoire, nous nous devons de répondre par des décisions historiques ». Pascale Joannin, directrice générale de la Fondation Robert Schuman, évoque les enjeux de ce sommet.

 

Défense, énergie, économie : des sujets stratégiques vont être abordés à Versailles. En quoi c’est un moment clé pour l’Europe de définir une stratégie commune sur ces questions ?

Ce sommet était déjà prévu avant la guerre en Ukraine. Les 10 et 11 mars, on savait qu’il y allait y avoir un sommet, il avait été annoncé par le président de la République. Or, la guerre en Ukraine a rendu ce sommet absolument vital, puisqu’on doit montrer notre unité. Ce conflit a montré que l’Europe s’était réveillée, qu’il y a eu une unité sur les mesures, l’ampleur des sanctions, la question des réfugiés, l’aide à Ukraine. Maintenant qu’un pays voisin est agressé, que fait-on si jamais ça devait durer ou se propager ailleurs ? Être plus indépendant en matière énergétique, en matière stratégique, en matière économique.

 

L’Europe fait face à une urgence. Est-ce que cela rend improbable toute division dans ce sommet ?

Sur certains points, on a déjà acquis une unité. On est d’accord pour en faire plus pour la Défense. Les Allemands, les Finlandais, les Suédois, se dirigent vers plus d’investissements, au cas où on aurait besoin de défendre nos intérêts, qui ne sont pas forcément ceux des Américains, même si on a un partenariat stratégique avec eux depuis longtemps.

On voit bien que les sanctions vont avoir une répercussion et que les Etats essayent de voir dans quelle mesure il est possible de compenser le coût de cette guerre, les effets immédiats sur le prix des matières premières, les problèmes d’approvisionnement, etc. La question énergétique n’était pas posée immédiatement, mais à partir du moment où certains Etats membres sont très dépendants du gaz russe, il va falloir chercher à diversifier cet approvisionnement pour moins dépendre de la Russie. Comment on peut les aider à en sortir ? Cela peut être un chemin qui va prendre du temps.

 

Ces derniers mois les Européens se sont montrés plutôt divisés sur les questions énergétiques, lorsqu’il a fallu notamment définir les sources d’énergie utiles à la transition énergétique, la fameuse taxonomie verte. Comment dans le moment actuel les Etats membres pourraient converger vers un accord ?

Je ne dis pas qu’il y aura une position commune, il y aura peut-être la décision de réduire la dépendance. Il y en a certains qui ont fait le choix du nucléaire, je ne pense pas qu’ils reviendront sur ce choix demain. La France est plus à l’aise vis-à-vis de la Russie, car nous sommes plus indépendants à cause du choix nucléaire. Pour d’autres, c’est un système de dépendance. On va trouver des moyens pour que ça ne se fasse pas avec des ruptures brutales d’approvisionnement. C’est peut-être le premier pas pour dire qu’on va trouver toutes les possibilités, par des énergies renouvelables, d’autres énergies, ou par des réductions de consommation, d’autres fournisseurs. Il n’y a pas que la Russie qui fournit du pétrole et du gaz.

 

Quels pays vont être particulièrement concernés par ces questions ?

L’Allemagne a fait le choix d’arrêter le nucléaire. Mais ils ont déjà dû suspendre le gazoduc Nord Stream 2, un gazoduc qui liait directement la Russie à l’Allemagne via la Baltique. Les Italiens sont aussi très dépendants de Moscou. Il y a aussi les Hongrois, les Roumains, les Bulgares, pleins de pays d’Europe centrale et orientale car c’était commode. Il y a aussi la question du risque d’une coupure du gazoduc transitant par l’Ukraine.

 

Et pour la défense, qui a longtemps été un serpent de mer dans l’histoire de la construction européenne, faut-il s’attendre à un véritable élan ?

La défense en commun est une question de longue haleine. Il y a eu des projets dès le début qui ont été avortés. Mais il y avait sur la table, quoiqu’il arrive, un dossier qui s’appelle la boussole stratégique. Elle a été lancée en 2020 et devait être adoptée au mois de mars 2022. Son adoption formelle aura lieu demain ou lors du prochain Conseil européen dans deux semaines. C’est un pas.

Mais ce que l’on voit avec l’Ukraine, avec la guerre à nos portes, cela a fait changer un certain nombre de pays qui étaient moins-disants en matière de Défense que ne l’est la France. Là, il y a une prise de conscience chez nos partenaires européens. Les Américains ont dit – et peut-être que c’était une erreur – « on n’interviendra pas militairement en Europe ». Que fait-on si demain on a besoin d’intervenir pour défendre nos intérêts ? L’Otan c’est bien, mais il faut peut-être essayer de faire quelque chose qui nous permette d’être indépendants, sans être contre l’Otan. Les Allemands ont fait un pas conceptuel fondamental le 27 février. Le Bundestag a décidé d’augmenter le budget de l’armée. On a des pays neutres depuis 1945, la Finlande et la Suède, qui sont en train de se dire sérieusement que la situation a suffisamment changé pour qu’eux aussi modifient leur conception stratégique. Et ils le disent. Enfin, il y a des pays qui étaient peut-être très dépendants des Américains et qui vont se dire que c’est bien aussi d’avoir un partenariat entre Européens, avec nos propres capacités et des coopérations entre États dans la construction de chars ou d’avions, interopérables avec le temps sans doute.

 

Les conséquences économiques de la guerre et des contre-sanctions, ces investissements dans la défense ou l’énergie va nécessiter de réaliser des investissements en commun, pour la deuxième fois en deux ans, après le plan de relance post-pandémie. Ce type d’investissement à plusieurs centaines de milliards d’euros va-t-il se normaliser ?

On voit bien là que, face à cette crise et à cette guerre, il va y avoir des répercussions pour l’Europe. Il faut faire en sorte que la récession ne soit pas trop forte, pour qu’elle soit acceptable par la population. Ce plan va-t-il être un plan de relance, un nouveau plan d’investissement, pour faire, qu’en matière de défense, qu’en matière énergétique, de transition climatique ou numérique pour se prémunir de cyberattaques, est-on en mesure de mettre sur la table des moyens de contrevenir à ces répercussions ? La croissance avait repris, il ne faut pas qu’elle soit stoppée par la guerre. Il faut peut-être que l’on trouve des moyens, peut-être prolonger la mise entre parenthèses des règles budgétaires pendant la crise covid-19. Et inventer un nouveau plan qui nous permettre d’éviter une situation économique dramatique à cause d’un évènement extérieur.

 

Finalement, est-ce que ce sommet pourrait faire date dans l’histoire de la construction européenne ?

Il pourrait, car il y a une situation nouvelle. La date du 24 février va certainement rester dans l’histoire. On a vu que la réponse de l’Union européenne a été rapide, de grande ampleur. Cela a été un des révélateurs de cette crise. Elle a répondu de manière totalement inattendue. Là, il va y avoir une concrétisation pendant ces deux jours. Il y a un deuxième sommet au mois de mars, on devrait avoir dans l’intervalle, des réponses à la crise pour que l’Europe se renforce à l’avenir.

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