Les « riches » et les Français : histoire d’un désamour en 6 dates

Les « riches » et les Français : histoire d’un désamour en 6 dates

Après le vote par les députés de la suppression de l’impôt sur la fortune, retour sur les différents rapports entre politique et argent. De 1981 année où François Mitterrand émet pour la première fois l’idée d’un impôt sur les grandes fortunes, à l’instauration du « bouclier fiscal » censé protéger les plus fortunés d’une fiscalité confiscatoire, pourquoi est-ce si difficile de parler de la richesse et des riches sans tomber dans l’excès ?
Public Sénat

Par Priscillia Abereko

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1972, la vignette automobile

En 1972, la vignette automobile est une véritable source de revenus pour l’État. Créé en 1956, cet impôt indirect et proportionnel à la dépense, est une manière de taxer les plus riches en fonction de leur consommation. Plus l’on dépensait pour acheter une belle voiture, plus la taxation était forte. L’historien spécialiste de la politique fiscale en France, Frédéric Tristram, tient à rappeler « en 1956, la voiture est un signe de richesse. Le raisonnement du gouvernement socialiste du Front républicain de Guy Mollet, c’était  qu’il y avait d’un côté 2 millions de vieux à aider et de l’autre la présence de 2 millions d’automobilistes. Dès lors, on va taxer les 2 millions d’automobilistes qui étaient encore une minorité à l’époque. Mais ce n’était pas la première taxe de luxe, on a essayé plusieurs fois d’instaurer des taxes somptuaires. La difficulté c’est toujours de définir ce qu’est le signe extérieur de richesse. C’est un problème que l’on va retrouver en 1982, c’est pourquoi cet impôt sur les très grandes fortunes est très mal ciblé ».

En 1972, la voiture peut être sujet de contestation pour les uns et source de revenu pour les autres
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1981, François Mitterrand créé l’IGF

En 1981, en pleine campagne présidentielle, François Mitterrand annonce la création de l’impôt sur les grandes fortunes (IGF). Face à la journaliste Anne Sinclair, le candidat manifeste sa volonté de taxer ces très grandes fortunes qui s’investissent dans la spéculation foncière, dans la détention d’objets de luxe ou de diamants. Une promesse de campagne qui n’aurait finalement pas tant rapporté à l’État. Pour l’ancien ministre de l’Économie et des Finances, Jean Arthuis, « cet impôt a sans doute permis à François Mitterrand d’être élu. Mais cette taxe était à la marge par rapport au budget de l’État, c’était quelques milliards, néanmoins c’était un symbole. On se rendait sympathique parce qu’on taxait les très grandes fortunes ». En réalité, cet impôt ne ciblerait pas toutes les grandes fortunes selon l’historien Frédéric Tristram. Pour lui, « François Mitterrand ne crée pas un impôt général sur le capital, c’est un impôt politique, un impôt symbolique et c’est un impôt mal ciblé parce qu’il ne taxe pas les milliardaires mais les millionnaires ». 

1981, Faire « rendre gorge » aux patrons

En 1981, les frères Willot sont l’incarnation de la richesse mal acquise. Ces figures du patronat français et propriétaires de filatures dans le Nord seraient trop riches et pas assez regardant sur les conséquences sociales de leur gestion.  De quoi rendre furieux certains politiques comme André Lajoinie membre du PCF, dont la reprise des propos du ministre de l’Industrie de l’époque sonne presque comme une menace : « nous ferons tout pour faire rendre gorge aux Willot ». Une expression forte, qui en dit long sur la gauche française de 1981. Pour l’historien spécialiste de la politique fiscale en France, « cette expression dit que l’on n’aimait pas ce genre de riches à cette époque, c’est-à-dire des riches en costume cravate ». L’ancien ministre de l’Économie et des Finances souligne par ailleurs qu’à cette époque « c’est le début de la mondialisation, le début des délocalisations. On a une France qui n’a pas bien compris ce qui est en train de se produire, qui n’investit pas pour se moderniser, qui continue à voter des lois sociales et des dispositions qui plombent la compétitivité des entreprises. C’est l’époque où les activités et les emplois vont partir sur d’autres cieux ».

1983, Bernard Tapie, l’argent comme étalon

Dans les années 80, l’image des « riches » va changer. Plus présentables, plus appréciables, les fortunés plaisent. Bernard Tapie, cet homme d'affaires et chef d’entreprise est l’exemple même du « bon riche ». Deux ans après l’adoption de l’IGF, faire fortune n’est plus un tabou, il devient même synonyme d’aventure. L’historien Frédéric Tristram l’admet, « l’argent devient légitime et on va adapter ces anciennes industries qui faisaient la force économique de la France dès le XIXe siècle, à un monde où l’argent circule et où les goûts et les consommations sont désormais universels ».

1996, la droite ne supprime plus l’ISF

Supprimé en 1986 par Jacques Chirac puis réinstauré sous le gouvernement de Michel Rocard, la droite avait juré de ne plus toucher à l’ISF. En 1996 pourtant, l’impôt sur la fortune fait de nouveau débat. La droite est contre l’idée d’une suppression pure et simple de cet impôt mais prône un allégement de son taux, pour Jean Arthuis : « Jacques Chirac pense que s’il n’a pas été élu en 1988 c’est du fait de la suppression de l’ISF. Le sujet est véritablement tabou. On va imaginer différentes formules pour essayer d’alléger son poids. Les acteurs politiques n’assument pas la suppression pure et simple de l’ISF, or cela aurait été une bonne mesure ».

2004, les origines « modestes » du baron Sellière

Au tournant des années 2000, toutes les richesses ne sont plus aussi légitimes que dans les années 80. Dans un reportage télévisé, le patron du Medef le baron Ernest Antoine Sellière évoque sa fortune familiale. Interrogé sur sa famille, et l'empire industriel des Wendel, il préfère mettre en avant les origines « très modestes» de sa famille : « Elle n'a jamais vécu sur la côte d'azur, n'a jamais eu de yachts, si elle a eu des châteaux c'était parce que c'était dans la tradition, mais ça a toujours été régional ». Des propos bien choisis, pour minimiser sa fortune. Derrière cette modestie, une peur de l’opinion publique pour l’historien Frédéric Tristram, qui explique que « la famille Wendel est restée discrète. C’est une manière d’être riche en France ».

2010, le bouclier fiscal

En 2007, Nicolas Sarkozy, président de la République instaure le bouclier fiscal. Une manière de lutter contre « l’impôt confiscatoire » en protégeant les plus fortunés. Pour l’historien Frédéric Tristram, « le bouclier fiscal n’était pas une mesure honteuse. C’est une mesure qui existait de tout temps dès lors où l’impôt existait ». Pourtant, trois ans plus tard, la fiscalité recommence à augmenter. C’est la fin du bouclier fiscal.

Après la récente annonce du gouvernement d’Édouard Philippe, d’une suppression de l’ISF, l’ancien ministre de l’Économie et des Finances aujourd'hui membre de la République en Marche, Jean Arthuis, espère « qu’on puisse enfin sortir de cette façon d’opposer les Français les uns par rapport aux autres » en matière de fiscalité.

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