Les sanctions en cas de non-respect du passe sanitaire sont-elles constitutionnelles ?
C’est l’un des points de l’avant-projet de loi qui suscite des interrogations. Les amendes et peines d’emprisonnement encourues en cas de non-respect du passe sanitaire sont-elles constitutionnelles ? Certains sénateurs de la commission des lois et le juriste Jean-Philippe Derosier nous répondent.

Les sanctions en cas de non-respect du passe sanitaire sont-elles constitutionnelles ?

C’est l’un des points de l’avant-projet de loi qui suscite des interrogations. Les amendes et peines d’emprisonnement encourues en cas de non-respect du passe sanitaire sont-elles constitutionnelles ? Certains sénateurs de la commission des lois et le juriste Jean-Philippe Derosier nous répondent.
Public Sénat

Par Marion Vigreux

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L’article 1er de l’avant-projet de loi relatif à l’adaptation de nos outils de gestion de la crise sanitaire fixe les modalités d’extension du passe sanitaire. Mais il détermine également les sanctions en cas de non-respect.

6 mois de prison et 10.000 euros d’amende pour les usagers qui ne présentent pas de passe et un an de prison et 45.000 euros d’amende pour les exploitants en cas d’absence de contrôle.

Pour le juriste et spécialiste de droit constitutionnel, Jean-Philippe Derosier, les peines envisagées pour les responsables d’établissement sont tout à fait constitutionnelles. « Actuellement, un restaurateur qui exigerait la présentation d’un passe sanitaire, alors qu’il n’est pas encore obligatoire, encourt justement cette peine-là. Donc s’il y a un renversement de situation, avec un passe obligatoire, je ne vois pas en quoi cette peine présenterait une disproportion manifeste ».

En revanche pour les clients, il admet un excès. « A ce jour, les usagers risquent des peines contraventionnelles, avec des amendes de 135 euros. Si on falsifie le passe sanitaire, 6 mois de prison et 10.000 euros d’amende, ça ne me surprend pas. Par contre, en cas de défaut de document, ça me semble très sévère et je ne serais pas surpris qu’il y ait des évolutions sur ce point-là. »

De leur côté, les présidents des groupes centristes et LR, Hervé Marseille et Bruno Retailleau, ont d’ores et déjà annoncé qu’ils saisiraient le Conseil Constitutionnel à l’issue de l’examen du projet de loi afin d’avoir toutes les garanties possibles.

Philippe Bas, rapporteur du projet de loi et membre de la commission des lois, reste lui prudent. « Nous avons un texte, et toute l’utilité du Conseil d’Etat sera justement de nous éclairer sur ce type de questions. Mais le Sénat est très attentif à la proportionnalité des mesures par rapport aux objectifs poursuivis. ». « On doit d’abord vérifier que la situation justifie de nouvelles contraintes et je crois que c’est le cas », précise le sénateur de la Manche. « Ensuite, il y a deux questions à se poser. La première : l’Etat a-t-il les moyens de procéder à des vérifications massives, ne va-t-il pas être amené à déléguer sa responsabilité ? La seconde : les sanctions sont-elles proportionnelles ? Qu’il s’agisse de l’obligation vaccinale pour les soignants ou de l’obligation de contrôle pour les responsables d’établissement ».

Pour Philippe Bas, il faut éviter de tomber dans des sanctions excessives. « Tout ceci est sans précédent et va donner lieu à de nombreux débats. Et ne doutez pas que le Sénat cherchera à ce qu’il y ait des garanties pour que le système soit efficace mais pas disproportionné, pour que cela ne pèse pas sur les épaules de personnes dont le métier n’est pas de contrôler », ajoute le sénateur. « On peut aussi espérer que, spontanément, les Français se conformeront aux règles et que l’Etat ne sera pas obligé de se transformer en Etat policier. »

Le sénateur Jean-Yves Leconte, représentant des Français de l’étranger, s’interroge. « Au-delà des sanctions évoquées, je ne vois pas comment constitutionnellement on va pouvoir habiliter des milliers de Français à contrôler les passes sanitaires. Car il ne s’agit pas seulement de scanner un QR Code mais aussi de vérifier sa conformité et donc l’identité des gens. Et là, on arrive à quelque chose qui est tout sauf de l’état de droit. Car on prend le risque de contrôles aux faciès, avec des personnes qui iront vérifier ceux qu’ils n’ont jamais vus ou ceux qui ne leur plaisent pas. »

Le socialiste partage l’objectif de la vaccination pour tous. Mais, selon lui, la petite lâcheté, c’est de ne pas vouloir la rendre obligatoire. « Le président de la république veut imposer le vaccin sans rendre la vaccination obligatoire. Et il pense sauver les libertés en agissant de la sorte. Mais c’est tout le contraire. Moi je préfère qu’on rende la vaccination obligatoire pour tous au 1er octobre avec des contrôles et des gens habilités à contrôler. » Quant au fait d’associer des amendes et des peines de prison à tout manquement, Jean-Yves Leconte les considère disproportionnées. « Si cela doit s’appliquer, encore faut-il que la puissance publique laisse aux gens le temps d’être en règle dans des délais corrects, » ajoute-t-il.

Pour Guy Benarroche, toutes ces mesures pénales paraissent bien floues sur le plan juridique. « Franchement, je ne peux pas vous dire si elles sont constitutionnelles. Par contre, elles sont excessives et on se demande s’il ne s’agit pas là d’une stratégie politique plutôt que d’une volonté réelle ». Le sénateur écologiste des Bouches-du-Rhône a tendance à penser que ce texte serait une sorte d’amendement d’appel voire de loi d’appel avec un certain nombre de retraits qui seraient ensuite opérés pour le rendre acceptable et compatible à un vote des deux assemblées. « On conçoit qu’il y a des mesures à prendre notamment pour la couverture vaccinale et la protection des lieux ouverts », précise le sénateur. « Mais sur l’échelle du raisonnable, il y a comme un excès volontaire ».

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