Les sanctions en cas de non-respect du passe sanitaire sont-elles constitutionnelles ?

Les sanctions en cas de non-respect du passe sanitaire sont-elles constitutionnelles ?

C’est l’un des points de l’avant-projet de loi qui suscite des interrogations. Les amendes et peines d’emprisonnement encourues en cas de non-respect du passe sanitaire sont-elles constitutionnelles ? Certains sénateurs de la commission des lois et le juriste Jean-Philippe Derosier nous répondent.
Public Sénat

Par Marion Vigreux

Temps de lecture :

5 min

Publié le

Mis à jour le

L’article 1er de l’avant-projet de loi relatif à l’adaptation de nos outils de gestion de la crise sanitaire fixe les modalités d’extension du passe sanitaire. Mais il détermine également les sanctions en cas de non-respect.

6 mois de prison et 10.000 euros d’amende pour les usagers qui ne présentent pas de passe et un an de prison et 45.000 euros d’amende pour les exploitants en cas d’absence de contrôle.

Pour le juriste et spécialiste de droit constitutionnel, Jean-Philippe Derosier, les peines envisagées pour les responsables d’établissement sont tout à fait constitutionnelles. « Actuellement, un restaurateur qui exigerait la présentation d’un passe sanitaire, alors qu’il n’est pas encore obligatoire, encourt justement cette peine-là. Donc s’il y a un renversement de situation, avec un passe obligatoire, je ne vois pas en quoi cette peine présenterait une disproportion manifeste ».

En revanche pour les clients, il admet un excès. « A ce jour, les usagers risquent des peines contraventionnelles, avec des amendes de 135 euros. Si on falsifie le passe sanitaire, 6 mois de prison et 10.000 euros d’amende, ça ne me surprend pas. Par contre, en cas de défaut de document, ça me semble très sévère et je ne serais pas surpris qu’il y ait des évolutions sur ce point-là. »

De leur côté, les présidents des groupes centristes et LR, Hervé Marseille et Bruno Retailleau, ont d’ores et déjà annoncé qu’ils saisiraient le Conseil Constitutionnel à l’issue de l’examen du projet de loi afin d’avoir toutes les garanties possibles.

Philippe Bas, rapporteur du projet de loi et membre de la commission des lois, reste lui prudent. « Nous avons un texte, et toute l’utilité du Conseil d’Etat sera justement de nous éclairer sur ce type de questions. Mais le Sénat est très attentif à la proportionnalité des mesures par rapport aux objectifs poursuivis. ». « On doit d’abord vérifier que la situation justifie de nouvelles contraintes et je crois que c’est le cas », précise le sénateur de la Manche. « Ensuite, il y a deux questions à se poser. La première : l’Etat a-t-il les moyens de procéder à des vérifications massives, ne va-t-il pas être amené à déléguer sa responsabilité ? La seconde : les sanctions sont-elles proportionnelles ? Qu’il s’agisse de l’obligation vaccinale pour les soignants ou de l’obligation de contrôle pour les responsables d’établissement ».

Pour Philippe Bas, il faut éviter de tomber dans des sanctions excessives. « Tout ceci est sans précédent et va donner lieu à de nombreux débats. Et ne doutez pas que le Sénat cherchera à ce qu’il y ait des garanties pour que le système soit efficace mais pas disproportionné, pour que cela ne pèse pas sur les épaules de personnes dont le métier n’est pas de contrôler », ajoute le sénateur. « On peut aussi espérer que, spontanément, les Français se conformeront aux règles et que l’Etat ne sera pas obligé de se transformer en Etat policier. »

Le sénateur Jean-Yves Leconte, représentant des Français de l’étranger, s’interroge. « Au-delà des sanctions évoquées, je ne vois pas comment constitutionnellement on va pouvoir habiliter des milliers de Français à contrôler les passes sanitaires. Car il ne s’agit pas seulement de scanner un QR Code mais aussi de vérifier sa conformité et donc l’identité des gens. Et là, on arrive à quelque chose qui est tout sauf de l’état de droit. Car on prend le risque de contrôles aux faciès, avec des personnes qui iront vérifier ceux qu’ils n’ont jamais vus ou ceux qui ne leur plaisent pas. »

Le socialiste partage l’objectif de la vaccination pour tous. Mais, selon lui, la petite lâcheté, c’est de ne pas vouloir la rendre obligatoire. « Le président de la république veut imposer le vaccin sans rendre la vaccination obligatoire. Et il pense sauver les libertés en agissant de la sorte. Mais c’est tout le contraire. Moi je préfère qu’on rende la vaccination obligatoire pour tous au 1er octobre avec des contrôles et des gens habilités à contrôler. » Quant au fait d’associer des amendes et des peines de prison à tout manquement, Jean-Yves Leconte les considère disproportionnées. « Si cela doit s’appliquer, encore faut-il que la puissance publique laisse aux gens le temps d’être en règle dans des délais corrects, » ajoute-t-il.

Pour Guy Benarroche, toutes ces mesures pénales paraissent bien floues sur le plan juridique. « Franchement, je ne peux pas vous dire si elles sont constitutionnelles. Par contre, elles sont excessives et on se demande s’il ne s’agit pas là d’une stratégie politique plutôt que d’une volonté réelle ». Le sénateur écologiste des Bouches-du-Rhône a tendance à penser que ce texte serait une sorte d’amendement d’appel voire de loi d’appel avec un certain nombre de retraits qui seraient ensuite opérés pour le rendre acceptable et compatible à un vote des deux assemblées. « On conçoit qu’il y a des mesures à prendre notamment pour la couverture vaccinale et la protection des lieux ouverts », précise le sénateur. « Mais sur l’échelle du raisonnable, il y a comme un excès volontaire ».

Dans la même thématique

La commission mixte paritaire sur la loi d’orientation agricole est conclusive.
6min

Politique

Loi d’orientation agricole : en commission mixte paritaire, députés et sénateurs s’accordent sur un texte proche de celui voté au Sénat

À peine voté au Sénat, le projet de loi d’orientation agricole a fait l’objet d’un compromis en commission mixte paritaire. La nouvelle version du texte laisse la part belle à plusieurs mesures introduites par les sénateurs, notamment le principe de « non-régression » de la souveraineté alimentaire et la dépénalisation de certaines atteintes à la biodiversité. L’opposition dénonce un débat « au pas de charge ».

Le

« Cela va être serré » : l’avenir de Richard Ferrand au Conseil constitutionnel toujours très incertain avant ses auditions
7min

Politique

« Cela va être serré » : l’avenir de Richard Ferrand au Conseil constitutionnel toujours très incertain avant ses auditions

Chaque voix comptera pour le candidat d’Emmanuel Macron à la présidence du Conseil constitutionnel. Après l’avoir auditionné chacune à leur tour, les commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat décideront au cours d’un vote, qui s’annonce disputé, si elles confirment ou rejettent cette désignation. La droite sénatoriale fait part de ses doutes et ne donne pas de consigne de vote. Les députés du RN, qui détiennent aussi la clé du scrutin, maintiennent le suspense.

Le

Les sanctions en cas de non-respect du passe sanitaire sont-elles constitutionnelles ?
3min

Politique

Finances publiques : « Ce qui va être nouveau, c'est l’association que nous allons avoir des parlementaires », assure la ministre des comptes publics 

Invitée de la matinale de Public Sénat, la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin s’est félicitée de l’adoption définitive des textes budgétaires. La ministre promet de poursuivre la trajectoire de réduction du déficit et d'associer plus largement les parlementaires dans le suivi des dépenses.

Le

Les sanctions en cas de non-respect du passe sanitaire sont-elles constitutionnelles ?
5min

Politique

LR : la campagne de Bruno Retailleau et Laurent Wauquiez pour la présidence du parti officiellement lancée

L’élection du futur président des Républicains se tiendra les 17 et 18 mai. À la fois ministre et candidat, Bruno Retailleau assure que la guerre des chefs « ne viendra pas de lui ». En face, Laurent Wauquiez, qui espérait s’imposer naturellement à la tête du parti, répète que cette fonction n’est pas compatible avec l’agenda d’un ministre.

Le