Lien entre immigration et terrorisme : le sénateur UDI Loïc Hervé accuse la droite de « courir derrière le RN »
Après l’attaque terroriste de Rambouillet, les responsables de droite dénoncent le lien entre immigration et terrorisme. « Il faut arrêter d’être dans le déni », défend la sénatrice LR Jacqueline Eustache Brinio. Une ligne dénoncée à gauche, mais aussi au centre droit. « Les thèses de l’extrême droite ne doivent pas prendre le pas sur l’inspiration traditionnelle de la droite et du centre », met en garde le sénateur UDI Loïc Hervé.
Depuis l’attaque terroriste qui a coûté la vie à une policière, dans l’entrée du commissariat de Rambouillet, vendredi 23 avril, plusieurs responsables de droite se sont empressés de prendre la parole sur le thème du lien entre immigration et terrorisme. L’auteur des faits, un homme de nationalité tunisienne de 36 ans, avait été régularisé en 2019. Il était arrivé de façon irrégulière en 2009.
Dans Le Point, samedi, c’est Bruno Retailleau, président du groupe LR du Sénat, qui se lance : « Le laxisme migratoire est une bombe placée au cœur de notre pays ». « Le gouvernement a refusé de traiter, dans sa loi sur le séparatisme, les deux questions pourtant essentielles de l’immigration et de l’assimilation », ajoute le sénateur, alors que la droite sénatoriale avait durci le texte (lire ici). Si on n’est pas surpris de voir Bruno Retailleau sur cette ligne, on peut l’être un peu plus de la part de Valérie Pécresse. La présidente (ex-LR) de la région Ile-de-France fait partie, comme le sénateur de Vendée, des présidentiables à droite. « Il faut cesser de nier le lien entre terrorisme et l’immigration récente. L’Europe et la France doivent reprendre le contrôle de leurs frontières par la maîtrise des flux d’immigration et l’accélération des expulsions des clandestins », a-t-elle affirmé dimanche sur Europe 1.
« On a un vrai problème avec une partie de cette immigration » selon Jacqueline Eustache Brinio
Une ligne défendue par la sénatrice LR Jacqueline Eustache Brinio. « Il faut arrêter d’être dans le déni permanent de ce qu’il se passe dans le pays. On ne peut pas ne pas poser réellement le problème de la maîtrise de l’immigration. Ça ne veut pas dire évidemment que tous les immigrés sont terroristes », souligne cette proche de Bruno Retailleau (voir la vidéo ci-dessous). Mais au regard des « derniers attentats », elle soutient qu’« on a un vrai problème avec une partie de cette immigration ». Jacqueline Eustache Brinio ajoute : « J’ai entendu le ministre Bruno Le Maire dire – c’est le grand classique – que dans les auteurs des attentats, il y avait des Français. Ils s’appelaient Koulibaly, Kouachi, Merah. Donc des enfants issus de l’immigration. On peut se poser la question de savoir comment ils se sont intégrés, assimilés et ont refusé ce que nous sommes ».
Pour Laure Darcos aussi, sénatrice LR de l’Essonne et porte-parole de Libres, le mouvement de Valérie Pécresse, aborder ce lien se justifie. « Je ne suis pas du genre à faire des amalgames. Je veux bien regarder les choses avec recul. Mais j’ai trouvé appréciable que Valérie Pécresse dise qu’on peut se poser des questions. Et ne pas avoir peur de regarder ce vrai souci. Ces gens-là n’ont rien à faire chez nous, s’ils deviennent des fondamentalistes. Ça commence à bien faire », lance la présidente de la fédération LR de l’Essonne.
En 2015, faire le lien entre immigration et terrorisme faisait polémique au Sénat, y compris à droite
Reste que la droite n’a pas toujours défendu ces positions. On observe en réalité depuis quelques années un glissement sur le sujet. En 2015, lors d’un débat au Sénat, le sénateur Jean-Louis Masson, qui siège chez les non-inscrits mais aux prises de position depuis longtemps proches de l’extrême droite, avait créé la polémique en déclarant que « l’immigration d’aujourd’hui, ce sont les terroristes de demain » (voir la vidéo ci-dessous). Soit des propos comparables dans le sens à ceux d’aujourd’hui.
« L’immigration d’aujourd’hui, ce sont les terroristes de demain » affirme le sénateur non-inscrit Jean-Louis Masson
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Philippe Bas, alors président LR de la commission des lois, avait lui-même pris ses distances, affirmant que le « travail » de la majorité sénatoriale conduisait « naturellement à ne pas souscrire, ni de près, ni de loin, à certains propos qui ont été justement dénoncés et qui ne sont pas les nôtres. Cette mise au point est indispensable » (revoir notre article et la vidéo sur le sujet).
« Il faut pouvoir parler de tout et sans tabou. On est un certain nombre à le faire depuis un moment »
Jaqueline Eustache Brinio récuse, elle, tout rapprochement avec les mots et les thèses issues de l’extrême droite. « On nous a souvent dit qu’on s’associait à la dialectique du FN. Mais pas du tout. Rien n’appartient à personne, il faut pouvoir parler de tout et sans tabou. On est un certain nombre à le faire depuis un moment. Aujourd’hui, on nous écoute peut-être davantage », dit la sénatrice du Val-d’Oise, avant de reconnaître que « les choses ont évolué probablement. Peut-être que c’était difficile pour certains d’en parler. En tout cas, je fais partie de ceux qui en parlent depuis longtemps. Ce n’est pas électoraliste, c’est prendre les choses à bras-le-corps ».
Selon Laure Darcos, cette évolution de la droite a une explication : elle n’a plus peur d’être comparée au RN. « Pendant très longtemps, la droite se défendait de parler de ces sujets, car on était accusés d’extrême droite », rappelle la sénatrice LR de l’Essonne. Elle ajoute :
Beaucoup à droite s’autocensuraient avant car c’était l’apanage de l’extrême droite. Si on en parlait, on était estampillés d’extrême droite.
Or justement, pour cette proche de Valérie Pécresse, « ces sujets ne doivent plus rester simplement l’apanage de l’extrême droite », mais abordés par sa famille politique. « Et si vous regardez les derniers attentats », ajoute Laure Darcos, « à chaque fois, ce sont des personnes arrivées en situation irrégulière ». La droite peut aussi aborder ces sujets sans trop de craintes, en raison de l’évolution du débat et d’une certaine libération de la parole.
« Je pense que tout est prêt pour que la droite parlementaire participe au gouvernement de Marine Le Pen » selon le communiste Pierre Ouzoulias
A gauche, sans surprise, on dénonce avec force la teneur du débat. « Je pense que tout est prêt pour que la droite parlementaire participe au gouvernement de Marine Le Pen le jour où elle sera présidente de la République. Les digues ont sauté. On est dans une configuration à l’italienne où le pouvoir pourrait être exercé par une large coalition, allant de l’extrême droite à une partie du centre », pense Pierre Ouzoulias, sénateur PCF des Hauts-de-Seine. Il ajoute :
Il n’y a plus de différence idéologique entre la droite et l’extrême droite. On tourne le dos à tout ce qui constituait encore les résidus gaullistes, républicains et humanistes de la droite traditionnelle.
Un « rapprochement » avec le RN que l’élu des Hauts-de-Seine a « déjà senti en séance, lors de la discussion au Sénat de la loi sur les principes républicains, où le sénateur RN, Stéphane Ravier, n’avait pas besoin de s’exprimer. L’essentiel de sa pensée avait été exprimé par des amendements du groupe LR. Là, le glissement était réalisé. Maintenant, il est revendiqué ». Une évolution que Pierre Ouzoulias date « de Nicolas Sarkozy », qui avait créé en 2007 un ministère de l’Identité nationale. « Et maintenant, les choses sont claires. La conquête idéologique de la droite passe par la reprise de tous les thèmes de l’extrême droite. Il n’y a plus de distinction. C’est une victoire idéologique de l’extrême droite ».
La droite se retrouve en réalité coincée entre Emmanuel Macron, qui a capté une part de l’électorat de droite, et le RN. « Le problème majeur de la droite, c’est que l’essentiel de son projet politique et social est porté par le gouvernement. Donc la seule solution pour se distinguer de l’exécutif, c’est d’aller sur le terrain de l’extrême droite », analyse Pierre Ouzoulias, qui pense que « le moment est très inquiétant. Il y a une responsabilité générale, collective, pour la mise en place d’un pouvoir d’extrême droite en France ».
« Si une partie de nos alliés va sur ces thèmes-là, on ne pourra pas soutenir les mêmes candidats » prévient Loïc Hervé
Si on n’est pas surpris d’entendre ce type de critique venant de la gauche, au centre droit aussi, ces débats passent mal chez certains. C’est le cas pour le sénateur UDI de la Haute-Savoie, Loïc Hervé. « Il existe et doit perdurer une digue extrêmement ferme entre la droite républicaine, qui est alliée au centre, et l’extrême droite sous toutes ses formes. A aucun moment les thèmes et les thèses de l’extrême droite ne doivent prendre le pas sur l’inspiration traditionnelle de la droite et du centre, qui est une inspiration humaniste », soutient le sénateur, qui était corapporteur de la loi sécurité globale. Regardez :
«Une digue extrêmement ferme entre la droite et l’extrême droite doit perdurer" selon Loïc Hervé
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Le sénateur centriste, qui avait dénoncé le « musée des horreurs », après le passage du texte séparatisme au Sénat, ne veut pas être « de ceux qui apportent de l’eau au moulin de Madame Le Pen et de ses sbires ». Et Loïc Hervé prévient : cette ligne à droite toute des LR pourrait ne pas être sans conséquence, aussi bien pour la majorité sénatoriale que pour 2022. « Il y a un vrai risque qui est celui de l’élection présidentielle. […] Si une partie de nos alliés va sur ces thèmes-là, on ne pourra pas soutenir les mêmes candidats. Et il y aura une conséquence immédiate en termes de résultat électoral. Vouloir aller courir derrière le RN, c’est prendre le risque de lui faire sa propre campagne, quand les Français préféreront toujours l’original à la copie. Donc j’invite les collègues de droite à rester européens, rationnels, mesurés, humanistes », lance Loïc Hervé, qui ajoute :
J’appelle mes collègues de droite à la raison, à la réflexion et à préserver ce qui fait le socle de la majorité sénatoriale, c’est-à-dire un certain nombre de convictions héritées du gaullisme, du radicalisme, de la démocratie chrétienne, qui sont des valeurs humanistes.
Préférant « faire appel à la raison plutôt qu’à de basses passions », suite au drame de Rambouillet, il entend « se garder de tout amalgame, cette espèce d’angoisse permanente relayée plutôt par le RN ».
« Les citoyens de confession musulmane ne sont menacés nulle part »
Un autre point de divergence avec sa collègue du groupe LR. Surtout, ne parlez pas du risque d’amalgame à Jacqueline Eustache Brinio. A ses yeux, il n’existe pas. « Arrêtons avec ce mot d’amalgame. Ce ne sont pas les musulmans, ce sont des musulmans », lance la sénatrice LR du Val-d’Oise. Elle continue :
Il n’y a pas de rejet des musulmans dans ce pays. Arrêtons, ça n’existe pas. Il y a de l’antisémitisme, mais pas de rejet des populations musulmanes.
« On est dans la victimisation permanente », dénonce Jacqueline Eustache Brinio, « les citoyens de confession musulmane ne sont menacés nulle part ».
Politiquement, on voit que ce débat entre les tenants d’une ligne de droite dure et les défenseurs d’une droite plus modérée ne sera pas sans conséquence. A vouloir parler aux électeurs de Marine Le Pen, les LR pourraient en perdre quelques autres de l’autre côté. Au risque, pour LR, de renforcer Emmanuel Macron, contre lequel la droite rêve de prendre sa revanche.
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