Loi agriculture et alimentation : les sénateurs s’insurgent contre « la mise sous tutelle de l’Assemblée »

Loi agriculture et alimentation : les sénateurs s’insurgent contre « la mise sous tutelle de l’Assemblée »

Les sénateurs ne digèrent pas l’ingérence de l’exécutif dans la navette parlementaire. En cause : le rapporteur de l’Assemblée nationale qui, sur le projet de loi agriculture et alimentation, a décidé de revenir sur un point de consensus entre les deux chambres du Parlement pour aller dans le sens du gouvernement.
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Journée difficile pour les relations entre le Sénat et l’exécutif ce mardi. Premier lieu d’accroche : au palais du Luxembourg, à l’ouverture des débats sur le nouveau texte de la ministre du Travail, réformant l’apprentissage, la formation et l’assurance chômage. L’hémicycle s’est montré très remonté contre le gouvernement, qui a préparé à la dernière minute un amendement ouvrant la voie à une révision des règles d’indemnisation (relire notre article).

Au même moment, à l’Assemblée nationale, sept députés et sept sénateurs ont échoué à trouver un point d’accord sur le projet de loi agriculture et alimentation, lors d’une commission mixte paritaire (CMP). Cette issue n’est guère surprenante. Lors de sa lecture au Sénat, le texte a connu plusieurs évolutions notables, notamment sur le chapitre relatif à l’alimentation et à l’environnement.

« C’était un retour au texte du gouvernement ou rien »

Trop selon les députés, pour qui « un certain nombre de lignes ont été franchies ». Selon la commission des Affaires économiques, le Sénat était « disposé à des rédactions de conciliation », mais ses propositions n’ont pas été examinées. « Dans l’esprit de la majorité En Marche, c’était un retour au texte du gouvernement ou rien », pointe la commission.

Mais là n’est pas le principal problème, pour les sénateurs. Certains points, alors qu’ils faisaient pourtant consensus entre les deux chambres, n’ont pas reçu l’aval du gouvernement. C’est notamment le cas de l’article 1 qui encadre la formation des prix agricoles. Dans la version adoptée par les sénateurs, les indicateurs qui servent à la construction de ces prix sont définis par les interprofessions. En cas de désaccord, c’est l’Observatoire des prix et des marges qui prend le relais. Il s’agit à l’origine d’une modification des députés (reprise ensuite par les sénateurs), contre l’avis du rapporteur du texte, et surtout du gouvernement, opposé à l’intervention de l’Observatoire et au principe d’indicateurs publics.

« Le gouvernement a demandé au rapporteur de faire échouer la CMP »

« J’ai été frappée de voir Jean-Baptiste Moreau [le rapporteur du texte à l’Assemblée, NDLR], dire : le gouvernement ne veut pas ça », raconte Sophie Primas, la présidente (LR) de la commission des Affaires économiques du Sénat, « heurtée » par une « CMP ubuesque ». « C’est clairement le gouvernement qui a demandé au rapporteur de faire échouer la CMP », accuse-t-elle.

Au lendemain de la réunion, la sénatrice des Yvelines estime que cette méthode « porte une atteinte grave au fonctionnement de la navette parlementaire ». « C’est contre tous les usages. Quand on est d’accord sur une rédaction, on n’y revient pas en CMP […] C’est un signal extrêmement curieux qu’envoie l’Assemblée nationale de complète dépendance au gouvernement. »

Deux jours après le Congrès de Versailles, la présidente de la commission des Affaires économiques ne peut s’empêcher de repenser au discours du chef de l’État, qui a promis, à travers la réforme institutionnelle, le « renforcement de la représentation nationale »

« Plus on avance dans cette législature, plus on ressent un mépris total pour le Parlement. La mise sous tutelle de l’Assemblée nationale est très inquiétante », nous explique Sophie Primas.

Techniquement, rien n’empêche la majorité présidentielle de remettre l’article 1 sur le métier. L’adoption entre les deux chambres n’a pas été « conforme » sur tous les alinéas. Mais les grandes lignes restent les mêmes. « Juridiquement, ils ont raison. Moralement, ils ont tort », considère Sophie Primas.

De son côté, le rapporteur (LREM) Jean-Baptiste Moreau a précisé dans un communiqué que les sénateurs soutenaient « une déresponsabilisation des interprofessions ». Leur disposition était contraire, selon lui, aux recommandations de l’Autorité de la concurrence et à l’esprit des États généraux de l’alimentation, comme du discours de Rungis du président de la République.

« On trouvait plus de positions communes quand on était dans une logique gauche-droite »

Sans la présence d’un acteur « neutre » comme l’Observatoire des prix et des marges, « on va retomber dans ce rapport du faible au fort », regrette Sophie Primas, inquiète pour les prochaines négociations annuelles entre producteurs et distributeurs.

Pour elle, l’argument de la « responsabilisation » des filières, régulièrement répété par le ministre de l’Agriculture Stéphane Travert durant les débats, n’explique pas tout. « Le gouvernement craint le retour de boomerang. Les députés nous l’ont dit pendant la CMP. S’il se passe encore une crise, et si celle-ci n’est pas résolue, le gouvernement a peur d’être mis en cause par les éleveurs, via l’Observatoire des prix et des marges ».

Le consensus entre les deux chambres du Parlement sur la réforme ferroviaire paraît déjà loin. Le texte agriculture et alimentation prend tout droit la direction du « dernier mot » accordé à l’Assemblée nationale. Sophie Primas, élue LR, regretterait presque l’ambiance qui prévalait sous le quinquennat précédent. « J'ai l'impression qu'on trouvait plus de positions communes quand on était dans une logique gauche-droite, c'était plus calme, c’était moins méprisant », souffle-t-elle. Depuis 2017, le dernier mot a été accordé à l’Assemblée nationale sur 32% des textes, contre 23% sur l’ensemble de la législature précédente (2012-2017).

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