Loi sur les fake news : le Sénat rejette à nouveau le texte
Ce mardi, le Sénat a rejeté une seconde fois les propositions de loi contre les fausses informations, dites « fake news ». Considérant le texte « inefficace, voire dangereux », la Haute Assemblée estime plus opportun de légiférer au niveau européen.

Loi sur les fake news : le Sénat rejette à nouveau le texte

Ce mardi, le Sénat a rejeté une seconde fois les propositions de loi contre les fausses informations, dites « fake news ». Considérant le texte « inefficace, voire dangereux », la Haute Assemblée estime plus opportun de légiférer au niveau européen.
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Par Alice Bardo

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« Se tromper est humain, persister dans son erreur par arrogance est diabolique. » C’est en citant Cicéron que le sénateur (LR) Christophe-André Frassa, rapporteur, entend marquer son hostilité aux propositions de loi contre les fausses informations, dites « fakes news », émanant des députés de la majorité et soutenues par le gouvernement. Et il n’est définitivement pas le seul à s’être insurgé contre ces textes : « Sans rien écouter des réserves de fond émises à l’intérieur et à l’extérieur du Parlement, le gouvernement a décidé de poursuivre l’examen de ce texte à la hussarde », abonde le sénateur communiste Pierre Ouzoulias.

Sans surprise, le Sénat a donc rejeté mardi, une seconde fois, les propositions de lois contre les fake news, en adoptant à 288 voix pour contre 31 la motion tendant à opposer une question préalable. Les modifications apportées par la chambre basse n’ont à l’évidence pas convaincu les sénateurs : « L’Assemblée nationale a adopté 23 amendements sur un texte que nous n’avons pas adopté, je vous laisse juger du caractère abouti de ce texte… » ironise Christophe-André Frassa, quand Pierre Ouzoulias déplore un « rafistolage de fortune » du texte lors de son dernier passage au Palais Bourbon.

Du « jamais vu » en quatorze ans de mandat

Fin juillet, en première lecture, les sénateurs avaient déjà marqué leur opposition à ces textes « au mieux inefficaces, au pire dangereux » en déposant une motion tendant à opposer une question préalable, là aussi adoptée à 288 voix pour contre 31. Du « jamais vu » en quatorze ans de mandat, commente la sénatrice centriste Catherine Morin-Desailly, également rapporteure. « Ce n’est pas dans nos habitudes de rejeter un texte » souligne Catherine Morin-Desailly, en réponse à son homologue à l’Assemblée, Bruno Studer. Peu avant l’échec de la commission mixte paritaire, réunie le 26 septembre dernier pour tenter de trouver un accord entre les deux assemblées, le député aurait « préféré que (le Sénat) apporte des modifications au texte, au lieu de le rejeter en bloc ». Mais pour les sénateurs ç’en était trop. Rappelant le rôle du « Sénat, grand défenseur des libertés publiques », Catherine Morin-Desailly et la quasi-totalité de ses collègues de l’hémicycle craignent que les textes leur portent atteinte. « Quand on touche à la liberté d’expression, il faut le faire avec une main tremblante », alerte-t-elle.

Le recours au juge des référés, « une mesure irréaliste »

Selon elle, « l’écueil majeur » de la proposition de loi qui vise à lutter contre les « fake news » en période électorale, c’est l’introduction de la possibilité de saisir le juge des référés quand une fausse information « de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir est diffusée de manière délibérée, artificielle ou automatisée et massive par le biais d’un service de communication au public en ligne ». Le tout dans les trois mois précédant le premier jour du mois d’élections générales, jusqu’à la date du tour du scrutin où celles-ci sont acquises. Catherine Morin-Desailly déplore une « mesure totalement irréaliste, voire potentiellement dangereuse ». « Le juge des référés sera dans l'incapacité de traiter en 48h toute la masse des demandes dont il sera saisi. La plupart des fausses informations, non sanctionnées, obtiendront de facto une légitimité de vraies informations » explique le sénateur socialiste, David Assouline.

 L’éducation aux médias comme « grande cause nationale »

À droite comme à gauche, les parlementaires sont vent debout contre les propositions de loi des députés LREM. Et Catherine Morin-Desailly ne manque pas de rappeler que « même le nouveau ministre de la Culture, Franck Riester, n’avait pas pris part au vote lorsqu’il était encore député ». Celui-ci affirme désormais le « soutien du gouvernement » à ces textes, et « regrette » que le Sénat ait refusé de les examiner.

Si les textes ont été rejetés par le Sénat, le débat reste ouvert dans un autre cadre. « Oui à la question posée, non à la réponse apportée », assure la rapporteure. La sénatrice préconise avant toute chose une éducation aux médias, qu’elle souhaite voir érigée en « grande cause nationale ». Objectif : « Faire monter en compétence numérique tous les citoyens, des personnes âgées aux tout petits, en passant par les entreprises ».

Le ministre de la Culture, qui considère lui aussi l’éducation aux médias comme un « remède essentiel contre la désinformation », a égrené les mesures de la proposition de loi qui y attraient, tels la création à venir d’un grand programme de service civique pour l’éducation aux médias et des actions de sensibilisation menées auprès des jeunes par des associations et professionnels.

Un statut pour les plateformes numériques

En outre, les membres de la Haute Assemblée s’accordent également sur la nécessité de légiférer au niveau européen plutôt qu’au niveau national pour réguler les plateformes numériques. D’après Catherine Morin-Desailly, il faudrait ainsi commencer par revoir la directive e-commerce, qui confère aux plateformes un « non-statut ». « Il leur faut un statut ! » martèle la rapporteure. Elle veut s’attaquer « au cœur du réacteur : le modèle économique de l’Internet » : « Il y a un lien inextricable entre l’objectif de manipulation et l’intérêt commercial. Les intérêts commerciaux et politiques sont liés », considère la sénatrice.

Le ministre de la Culture reconnaît que l’ « évolution se fera au niveau européen, et notamment en revoyant la directive e-commerce », mais estime que cela n’est pas incompatible avec la prise de mesures au niveau national. « Il serait dangereux d’attendre une réponse européenne qui tarde à venir », met en garde Franck Riester. Et de rappeler le « devoir » de la France de « donner l’impulsion, d’expérimenter ». Ce qui passera, par exemple, par l’obligation de transparence et le devoir de coopération des plateformes, proposés dans le texte des députés de la majorité.

 « Le nouveau rôle du CSA n’a pas été expertisé »

Reste le nouveau rôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) proposé par les députés de la majorité. Cet organe de régulation audiovisuelle pourrait notamment empêcher, suspendre ou interrompre la diffusion de services de télévision contrôlés « par un État étranger ou sous l’influence de cet État et portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou participent à une entreprise de déstabilisation de ses institutions. « Le nouveau rôle du CSA n’a pas été expertisé. Mais il trouvera peut-être sa place dans la réforme de l’audiovisuel », analyse Catherine Morin-Desailly. Fin septembre, Bruno Studer avait argué s’être « borné à traduire la jurisprudence en droit positif ». Une fois encore, cela n’a pas suffi à convaincre son homologue, convaincue que les textes des députés LREM sont « une réponse de circonstance à une problématique réelle ». Plus encore, la sénatrice centriste rappelle que « les pays qui cherchent à légiférer sur les fausses informations sont autoritaires ». Puis de tempérer : « Je préfère penser qu’il s'agit plus d‘inexpérience que d’intention réelle. »

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