Majorité pénale : « la loi française est la plus répressive d’Europe »

Majorité pénale : « la loi française est la plus répressive d’Europe »

Véritable serpent de mer pour la droite, l’abaissement de la majorité pénale de 18 à 16 ans figure désormais au programme de François Fillon. Dominique Attias, vice-bâtonnière de Paris, rappelle qu’en France « un enfant de 7 ans peut avoir un casier judiciaire ».
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Comme en 2007 et 2012, l’abaissement de la majorité pénale de 18 à 16 ans est au programme du candidat de la droite à l’élection présidentielle. « L'ordonnance de 1945 sur la délinquance des mineurs, bien que modifiée maintes fois, ne permet pas d'apporter une réponse proportionnée aux actes de délinquance commis par des individus de 16 ou 17 ans » a déclaré, hier, François Fillon dans un communiqué. Une proposition sous forme de tribu à Nicolas Sarkozy avec qui il déjeunait hier. Englué dans les soupçons d’ « emplois fictifs »  depuis des semaines, l’ancien Premier ministre a fait sienne une tactique chère à l’ancien président de la République : bouger quand on est pris pour cible. « François Fillon déjeune avec Nicolas Sarkozy, et il ressort avec les bonnes ficelles de Nicolas Sarkozy : en cas d'ennuis, faisons diversion » a résumé la ministre des Droits des femmes, Laurence Rossignol, hier soir.

Alors que les tensions se poursuivent dans certains quartiers, conséquences des graves blessures infligées au jeune Théo lors d’un contrôle de police, François Fillon reprend donc une des propositions phares de celui qui le nommait son « collaborateur ». L’abaissement de la majorité pénale est-elle la contrepartie d’un appui en coulisses de Nicolas Sarkozy au candidat LR en pleine tourmente? Difficile à dire pour le moment. Une chose est sûre, la proposition ne faisait pas partie du programme de François Fillon mais de Nicolas Sarkozy. L’ancien chef de l’Etat l’avait même défendue lors de la campagne de 2007 et de 2012.

Une proposition avortée plusieurs fois

« J’en ai rêvé, et François Fillon serait prêt à le faire «  s’est félicité Christian Estrosi, président LR du conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur. Fin 2010, alors député LR, il avait déposé, sans succès, une proposition de loi visant à renverser l’excuse de minorité. Ce principe implique que la peine appliquée à un mineur de plus de 16 ans est divisée par deux par rapport à des majeurs, sauf exception. L’exception serait alors devenue la règle. Durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, le sénateur LR Serge Dassault avait, lui aussi, manifesté sa volonté de déposer un texte dans ce sens.

L’ordonnance du 2 février 1945 atténuée par plusieurs lois

La philosophie de l’ordonnance du 2 février 1945, rédigée sous la présidence du général de Gaulle, fixe la spécialisation des juridictions pour mineurs, la primauté de l’éducation sur la répression et l’atténuation de la peine en raison de la minorité. Depuis les lois Perben I (2002) et II (2004) ou encore la loi du 5 mars 2007 et celle du 10 août 2011 sur la justice pénale et le jugement des mineurs ont atténué la spécificité du droit pénal des mineurs. Comme la réintroduction de la détention provisoire à partir de 13 ans, des peines-plancher, et la suppression automatique de l’excuse atténuante de responsabilité pour les mineurs de 16 ans encourant au moins 7 ans d’emprisonnement.

Que changerait l’abaissement de majorité pénale ?

Difficile de répondre à cette question. En effet, François Fillon a précisé, hier, que « ces jeunes délinquants, lorsqu'ils seront condamnés à des peines de prison, seront incarcérés dans des établissements spécialisés pour mineurs pour les protéger des contacts avec des prisonniers adultes ». Actuellement, les mineurs incarcérés sont déjà séparés des majeurs soit dans des quartiers pour mineurs en maisons d'arrêts, soit dans les six établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) qui existent en France. Les détenus y bénéficient de mesures éducatives. Un rapport parlementaire de 2011 de l'ancien sénateur LR, Jean-René Lecerf, évaluait à plus de 1000 euros une journée de détention pour  un mineur. Qu'en serait-il avec la réforme de François Fillon, les mineurs continueraient-ils à bénéficier d’un programme éducatif ?

Jean-Pierre Sueur: l'abaissement de la majorité pénale est
01:08

Cet après midi, le sénateur LR Hugues Portelli n’a pas caché son opposition  à la nouvelle proposition de François Fillon. « Je crois que le droit en vigueur est suffisant » a-t-il déclaré. Le vice-président PS de la commission des lois, Jean-Pierre Sueur a quant à lui rappelé que la possibilité de juger un mineur comme un majeur « existe déjà à la discrétion des juges ». (voir les vidéos)

Hugues Portelli: "dans aucun pays européen la majorité pénale est à 16 ans"
01:19

« Un enfant de 7 ans peut avoir un casier judiciaire »

Pour Dominique Attias, vice-bâtonnière de Paris, avocate spécialisée dans la défense des enfants, « la loi française est la plus répressive d’Europe concernant les mineurs ». « Il n’y a pas d’âge fixé par la loi en matière de responsabilité pénale. C'est-à-dire qu’en France, un enfant de 7 ans peut avoir un casier judiciaire. Un gamin qui a volé un vélo peut être poursuivi pénalement, avoir une sanction éducative inscrite à son casier. En Allemagne, en Italie, en Espagne la responsabilité pénale est fixée à 14 ans » explique-t-elle. Si en France, l’incarcération est possible  dès l’âge de 13 ans, abaisser la majorité pénale de 16 à 18 ans serait contraire à la convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant qui prévoit un droit dédié pour les mineurs.

Juger automatiquement les mineurs de plus de 16 ans comme des adultes serait-il pour autant efficace ?

Totalement contreproductif selon Dominique Attias, qui indique que pour 70% des jeunes qui passent devant les tribunaux pour enfants, « on ne les revoit plus ». Le rapport  de l’ancien sénateur LR Jean René Lecerf vient corroborer ces statistiques. « D’après les évaluations réalisées par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, sept mineurs sur dix ne font pas l’objet de nouvelles poursuites ou d’une mesure alternative aux poursuites dans l’année suivant la fin de leur prise en charge » notait-il. Quant aux nombre de mineurs incarcérés : « Au 1er juillet 2010, 758 mineurs étaient détenus (soit 1,2 % de la population carcérale française) » détaille le rapport. Selon les chiffres de l’administration pénitentiaire, ils étaient 704 en 2015.

 

 

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