Neutralité carbone : la France « n’est pas du tout sur la bonne trajectoire », alerte la présidente du Haut conseil pour le climat

Neutralité carbone : la France « n’est pas du tout sur la bonne trajectoire », alerte la présidente du Haut conseil pour le climat

Auditionnée au Sénat, Corinne Le Quéré, qui préside cette instance indépendante depuis sa création en 2018, signale que la baisse d’émissions de gaz à effet de serre est insuffisante en France. Elle demande une meilleure évaluation de l’impact climatique des lois économiques et environnementales.
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Cinq jours après les images d’Emmanuel Macron au chevet des glaciers en Haute-Savoie, le Haut conseil pour le climat (HCC), par la voix de sa présidente, est venu rappeler à l’exécutif que la France n’était pas très bien engagée pour respecter les objectifs qu’elle a elle-même fixés. La cible de la neutralité carbone à l’horizon 2050 figure à l’article 1 de la loi énergie-climat, promulguée le 8 novembre. Or, les efforts actuels sont « insuffisants », selon cette instance indépendante, présidée par la climatologue Corinne Le Quéré, et chargée depuis 2018 de suivre la « bonne en mise en œuvre des mesures prises pour réduire les émissions de gaz à effet de serre ».

« Les émissions diminuent presque deux fois moins vite que ce qui était anticipé. On n’est pas du tout sur la bonne trajectoire », souligne la présidente du HCC, tout en rappelant que le gouvernement annonce des mesures plus ambitieuses après 2024. Actuellement, la dimension des émissions gaz à effet de serre en France atteint un rythme annuel de -1,1 %. Corinne Le Quéré a encouragé les sénateurs à « s’emparer » des stratégies annoncées par le gouvernement, au lendemain de l'audition d'Élisabeth Borne.

Ce n’est pas la première fois que Corinne Le Quéré, en sa qualité de présidente du HCC, est entendue au Sénat. Mais cette venue était l’occasion pour elle de s’exprimer après la réponse, le mois dernier, du gouvernement au rapport annuel du HCC, six mois après sa remise. La climatologue a ainsi déploré que les décisions gouvernementales soient « rarement évaluées ». « On a un gros manque du pilotage de stratégie nationale bas carbone. On ne sait pas par exemple, pourquoi un certain nombre d’indicateurs, dans les transports et le bâtiment, n’ont pas atteint leurs objectifs. »

Le Pacte productif d’Emmanuel Macron attendu au tournant

Loi d’orientation sur les mobilités, loi énergie-climat, loi anti-gaspillage : les textes qui ont une incidence directe sur l’environnement se sont succédé ces derniers mois. Mais difficile pour le HCC d’analyser avec précision les orientations prises par le gouvernement : « Seulement 3% des articles de loi actuellement sont évalués sous l’angle climat », note Corinne Le Quéré.

Dans les conseils distillés en direction des ministres, la présidente du Haut conseil a également souligné qu’il fallait préparer l’économie et la société à l’atteinte de la neutralité carbone. Dans la droite ligne de son rapport de juin 2019. La préconisation arrive à point nommé. Emmanuel Macron doit présenter son « Pacte productif » en avril, plan qui doit faire le lien entre industrie, innovation et transition énergétique. « Il faut nous assurer qu’à l’intérieur de ce pacte il y ait une planification des incidences sur l’emploi », a-t-elle insisté.

La taxe carbone « n’est pas juste »

Sur la taxe carbone, l’un des leviers les plus puissants pour faire évoluer les comportements, Corinne Le Quéré a fait preuve d’un discours beaucoup plus critique. « Elle n’est pas juste, elle touche les plus démunis, plus que les moins démunis. Elle n’est pas acceptée, en partie à cause de cet élément de vulnérabilité et de justice. » Comme une majorité de sénateurs, elle demande une « transparence complète » sur l’utilisation des recettes de la taxe carbone et une refonte de son assiette, afin que son poids sur les catégories modestes soit allégé.

Interrogée par les sénateurs, la présidente du Haut-Conseil a également fait un état des lieux des travaux menés actuellement par son équipe, livrant une sorte de bande-annonce sur le contenu du prochain rapport de juin 2020. Seront notamment abordés une comparaison des politiques à l’étranger vis-à-vis de l’efficacité énergétique des bâtiments et un focus sur l’empreinte carbone des produits que la France importe.

« Une évaluation un peu cash »

En pleine convention citoyenne sur le climat, le HCC sera attentif aux débouchés de cette expérience inédite, rattachée au Conseil économique, social et environnemental (Cese). « Est-ce que ce n’est pas un gadget médiatique ? », s’est interrogé le sénateur LR Didier Mandelli. « On va regarder le processus et comment le gouvernement s’empare des conclusions », promet Corinne Le Quéré.

L’audition a probablement permis de clarifier le sens du Haut Conseil pour le climat. Plusieurs sénateurs, comme Pascale Bories (rapporteure pour la commission de l’Aménagement du territoire et du Développement durable dans le projet de loi énergie-climat), se demandaient si cette énième instance n’empiétait pas sur d’autres organismes.

« Nous ne sommes pas un conseil de représentation », a répondu Corinne Le Quéré, à propos de la prétendue ressemblance avec le Conseil national de la transition écologique (CNTE). Contrairement au CNTE, présidé par la ministre Élisabeth Borne, le Haut conseil se caractérise par son indépendance et son suivi au long cours des stratégies. Le ton de l’audition a aussi été apprécié des parlementaires de la commission. « Vous avez démontré votre utilité à travers une évaluation qui est objective, sans concessions qui est même parfois un peu sévère et un peu cash », a salué le socialiste Jean-Michel Houllegatte.

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