Nouvelle-Calédonie : Alain Christnacht sur l’indépendance « personne n’a convaincu personne »
À quelques jours du référendum sur l'indépendance, la Nouvelle-Calédonie peut-elle subvenir à seule à son développement économique ? L'usine métallurgique développée dans le Nord de l'île par André Dang tendrait à le prouver. Mirage ou réelle possibilité ?

Nouvelle-Calédonie : Alain Christnacht sur l’indépendance « personne n’a convaincu personne »

À quelques jours du référendum sur l'indépendance, la Nouvelle-Calédonie peut-elle subvenir à seule à son développement économique ? L'usine métallurgique développée dans le Nord de l'île par André Dang tendrait à le prouver. Mirage ou réelle possibilité ?
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Par Marie Oestreich

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Une réussite économique

Elle se dresse au pied de la montagne de Koniambo, proche de la ville de Koné, dans le Nord de l'île. Cette usine de nickel implantée par André Dang à la suite des accords de Matignon produit aujourd'hui près de 20 000 tonnes de nickel par an. Une usine portée comme un étendard et qui prouve la capacité de la population kanake à se rendre maîtresse de sa destinée économique. Un « véritable succès » pour l'économiste spécialiste de l'Outre-Mer Olivier Sudrie qui ajoute que « les inégalités de développement humain entre la Province Nord où se situe la mine et la province sud où se trouve Nouméa ont été divisées par deux en vingt ans » Symbole de ce succès, d'après Jonathan Tholo, fonctionnaire et citoyen calédonien d’origine Kanak, il y a désormais des « routes et des ronds points » en dehors de Nouméa, ce qui constitue pour lui une grande avancée.

Olivier Sudrie « Les inégalités entre le Nord et le Sud ont été divisées par deux en vingt ans »
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Toujours des inégalités

Pour autant la fracture entre les Kanaks et les Caldoches existe encore. L’économiste Olivier Sudrie s’interroge : « Peut-on avoir une destinée commune avec de telles inégalités économiques et sociales ? ». De son point de vue, malgré une tendance à la baisse, « les inégalités de revenus perdurent », notamment dans le domaine de l’éducation et dans une moindre mesure dans le domaine de la santé. L’archipel constitue « un monde d’inégalités ». Par ailleurs, « l’or vert » que représente le nickel peut pour Jonathan Tholo, créer des inégalités au sein même des territoires et des tribus kanakes : l’explosion économique qu’a engendrée l’usine de Koniambo proche de la ville de Koné dans le Nord, a amené les populations kanakes à se rapprocher de la mine, ce qui creuse un écart entre les Kanaks venus s’installer dans la nouvelle zone industrielle, et les autres. Pour Isabelle Merle, historienne et directrice du CREDO, « ces transformations ne sont pas forcément négatives », puisqu’elles permettent par ailleurs des avancées comme « une hausse des emplois féminins dans les usines » ou « de la richesse et des mobilités ». Pourtant, d'après l'économiste, « Si la Nouvelle-Calédonie était indépendante et était dans le club des pays riches de l'OCDE, ce serait la deuxième nation la plus inégalitaire, juste après Singapour ».

Olivier Sudrie « Si la Nouvelle-Calédonie était indépendante, ce serait la deuxième nation la plus inégalitaire »
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Une société encore fracturée

La question identitaire n’est elle non plus, pas encore résolue. À ce sujet, Jonathan Tholo, dont la grand-mère a vécu sous le régime de l’indigénat, nous explique « qu’il est peut-être encore trop tôt » pour une partie de cette communauté pour imaginer un destin commun. De son point de vue, malgré les avancées considérables qu’il a vécues en tant « qu’enfant des accords de Nouméa », la fracture engendrée par l’ancien régime colonial semble encore exister « dans la chair des gens ».

C’est un fait, la société néocalédonienne semble encore clivée sur la question de l’indépendance. Alain Christnacht, corédacteur des accords de Nouméa, l’interprète ainsi : « Il semble qu’une grande majorité des Kanaks continuent de se prononcer pour l’indépendance, alors que très peu d’Européens, d’Asiatiques, de Wallisiens, et Futuniens en sont partisans. » Donc, on retrouve le même clivage qu’il y a trente ans, et en définitive, pour Alain Christnacht « personne n’a convaincu personne ».

Un scrutin joué d'avance ?

Toujours est-il, pour le jeune citoyen calédonien, que « beaucoup de politiques publiques sont sous perfusion de l’État ». Les transferts métropolitains qui financent majoritairement les compétences régaliennes (armée, police, justice, diplomatie) sont de l’ordre d’environ un milliard d’euros par an, et les Calédoniens « ont bien conscience que ce robinet risque d’être coupé ». Conséquence, si l’indépendance est proclamée, ces transferts risquent d’être revus à la baisse. Pourtant, pour Alain Christnacht, « l’indépendance ne signifie pas l’arrêt des transferts et on peut même imaginer un système spécifique pour la Nouvelle-Calédonie ».

Jonathan Tholo sur la Nouvelle-Calédonie : « Beaucoup de politiques publiques sont sous perfusion de l’Etat »
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Construction d’un « projet pays »

L’idée de « système spécifique » avancée par Alain Christnacht rejoint le point de vue d’Isabelle Merle lorsqu’elle se demande si « Les îles Cook pourraient être un exemple ». Les pouvoirs dans les îles Cook sont partagés entre exécutif géré par le Royaume-Uni, et législatif représenté par des habitants de l’île. Si on se base sur ce modèle inédit, on peut se demander si la question de l'indépendance entre la France et la Nouvelle-Calédonie est vraiment le principal défi de l’archipel. C’est la position qu’Alain Christnacht avance « Le problème principal (...) repose sur la question : comment construire une société pluriethnique et pluriculturelle durable et équilibrée ? C’est ça le défi. ». Comme dans les îles Cook, un nouveau système institutionnel respectueux de cette diversité culturelle resterait-il à inventer ?

Comme Isabelle Merle le stipule, le défi est donc « la construction d’un projet pays » plus que de savoir si oui ou non l’archipel sera indépendant. À ce sujet, le fonctionnaire et citoyen calédonien semble confiant et relativement satisfait des avancées qui ont déjà eu lieu : « Je suis confiant pour mon pays parce que du coup, on parle de la Nouvelle-Calédonie comme « mon pays », même si ça peut générer juridiquement d’autres réflexions, mais la plus grande peur pour moi étant des réactions qui amèneraient la violence au lendemain du référendum, je ne pense pas que ce sera le cas, car on a construit depuis trente ans quelque chose d’absolument inédit. »

 

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