« Opération politicienne » ou « décision sage » : les sénateurs s’opposent sur l’hypothèse d’un nouveau report des élections régionales

« Opération politicienne » ou « décision sage » : les sénateurs s’opposent sur l’hypothèse d’un nouveau report des élections régionales

Les Français devaient se rendre aux unes ce week-end. Mais les élections régionales ont été décalées en juin. L’hypothèse d’un nouveau report cet automne est sur la table, suscitant la vindicte de la droite.
Public Sénat

Par Pierre Maurer

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Les élections régionales et départementales auront-elles lieu en juin ? Face à la persistance de l’épidémie de covid-19, l’hypothèse d’un nouveau report est sur la table. Mercredi soir, lors d’une réunion de concertation avec les présidents des groupes parlementaires à Matignon, Jean Castex ne l’a pas caché. L’option de les reporter n’est pas « écartée », confiait à Public Sénat Patrick Kanner, le patron des sénateurs socialistes. « En gros, il y a une hypothèque mais pas besoin d’être grand clerc pour savoir que si la circulation est haute, une décision sera prise », abondait le président des centristes Hervé Marseille. « Si l’avis du Conseil est négatif, il faudra un nouveau texte », anticipait déjà, lui, le président du groupe écologiste Guillaume Gontard. Le Premier ministre a indiqué attendre la remise de l’avis du Conseil scientifique le 1er avril pour maintenir ou non les élections.

Dans la foulée, l’entourage du chef de l’Etat affirmait jeudi au Figaro que l’exécutif réfléchissait bien à reporter les élections cet automne. Selon le quotidien, le château prévoirait ainsi de convoquer les chefs de partis début avril pour convenir d’une décision consensuelle. « L’obsession du Président est de protéger les gens. Il ne prendra pas de décision, y compris le maintien d’une campagne, qui irait à cet encontre. On sent bien, sans trahir de secret, que la situation va plus mal aujourd’hui qu’hier, et il serait étonnant que le virus régresse dans quinze jours ou trois semaines », expliquait un proche d’Emmanuel Macron. L’exécutif avançait par ailleurs l’argument de la difficulté d’organiser la campagne électorale dans de telles conditions. Un véhicule juridique serait ainsi déjà « quasi-prêt » pour enterrer la date de juin. Le gouvernement présenterait alors un nouveau texte au Parlement en avril pour reporter les élections cet automne, en septembre ou octobre.

Interrogé sur la tenue du scrutin en marge de sa conférence de presse jeudi soir, Jean Castex aurait indiqué auprès de journalistes qu’il « s’en remettrait strictement à l’avis du Conseil scientifique ». « Je suis attaché à ce que ces élections aient lieu, a-t-il ajouté, en pointant l’incertitude liée à la situation. Je n’en sais rien si elles pourront avoir lieu fin juin. »

La droite vent debout

Sans surprise, Les Républicains ont accueilli la nouvelle avec défiance. « Le bruit court, mais il ne le faudrait pas. On ne peut pas priver la France d’un processus démocratique éternellement. Il faut que ces élections puissent avoir lieu au mois de juin prochain », souligne ce vendredi le président de la commission des lois du Sénat François-Noël Buffet dans l’émission de Public Sénat, « Parlement Hebdo ».

« Emmanuel Macron va tout tenter. Il est bien meilleur à gérer son avenir, qu’à gérer la France », a persiflé au Figaro le patron des sénateurs Bruno Retailleau, soupçonnant une stratégie politique. « Lors de sa nomination, Jean-Louis Debré avait constaté tout de suite que ses commanditaires voulaient qu’ils crédibilisent un report au-delà de la présidentielle parce que les départementales et les régionales allaient fragiliser Macron, lequel n’avait pas réussi à enraciner son parti », a rappelé le Vendéen.

Un nouveau report, le vice-président LR du Sénat Roger Karoutchi « n’y croit pas ». « Ou alors c’est que le gouvernement a un problème avec ses propres propos. On ne peut pas nous dire ‘on espère avoir vacciné 30 millions de Français d’ici juin et le baccalauréat se passera normalement, mais on ne peut pas aller dans un bureau de vote‘ », fustige-t-il. Cadre du groupe LR, il affirme que les partis peuvent tout à fait faire des « télés campagnes ». Si un report venait à être acté après la présidentielle, ce que l’on craint de longue date dans les rangs LR, « ce serait une opération plus que politicienne », analyse Roger Karoutchi : « Donc bonjour Bertrand, Pécresse et Wauquiez. Sans les régionales, Macron peut ainsi espérer un meilleur score à la présidentielle ».

Sénateur LR des Bouches-du-Rhône, Stéphane Le Rudulier soulève une autre difficulté. En cas de report à l’automne, il y a un risque de chevauchement des comptes de campagne des régionales et de ceux de la présidentielle. « A mon sens, on devra laisser à la Commission nationale des comptes de campagne le soin d’arbitrer. Une campagne présidentielle a besoin de recettes. Le fait de réduire cette période pour les donateurs, ça risque de peser pour les petits candidats », explique-t-il. Il s’interroge alors que d’autres pays européens ont tenu des élections en pleine crise sanitaire, comme les Pays-Bas. Et décèle également une volonté de la macronie de « déstabiliser » le calendrier des Républicains, qui ont fait des régionales une sorte de primaire pour déterminer leur candidat à la présidentielle.

« La droite n’est pas sans arrière-pensées »

Président du groupe RDPI (LREM) et fidèle d’Emmanuel Macron, François Patriat pense qu’il faut « maintenir les élections en juin ». « J’ai confiance dans la capacité du gouvernement à vacciner massivement d’ici juin. Et puis une campagne pendant l’été, c’est très difficile », souligne en connaissance de cause ce vieux routier de la politique. L’été dernier, dans la moiteur du mois d’août, le septuagénaire avait arpenté les routes de Côte-d’Or pour sauver son siège de sénateur. L’ancien socialiste s’était d’ailleurs prononcé pour un report des régionales « après la présidentielle ».

Dans cet embrouillamini entre la droite et l’exécutif, François Patriat – qui récuse être un « béni-oui-oui » - estime « qu’il y a des arrière-pensées des deux côtés ». « La droite s’est opposée à la clause de revoyure. Leurs critiques, c’est un aveu de faiblesse », cingle-t-il. Il concède également que « la campagne va être totalement virtuelle et va favoriser les sortants », ce qui ferait les affaires de la droite. A l’écouter, la proposition du gouvernement est « sage » face des oppositions vindicatives. « Mercredi soir, lors de la réunion avec le Premier ministre, ils ont fait le procès du gouvernement. Patrick Kanner (le patron des socialistes au Sénat) a dit que la date de juin était inscrite dans le marbre ! », regrette-t-il.

« Les Français n’en ont rien à faire ! »

A l’inverse, la sénatrice centriste de l’Orne Nathalie Goulet plaide depuis plusieurs semaines pour un report des régionales et départementales à l’automne ou même après la présidentielle. « Les Français n’en ont rien à faire ! Et puis la France est administrée. Il n’y a pas une urgence à faire des élections », assure celle qui est candidate en Normandie pour tenter de prendre la place du président sortant de la région, Hervé Morin.

Selon elle, plusieurs difficultés, qu’elle a détaillées dans une tribune publiée sur la Revue politique et parlementaire, s’opposent à la tenue des élections en juin. « En Normandie par exemple, les deux départements de l’ancienne Haute-Normandie, Eure et Seine-Maritime, sont confinés, impossible d’imaginer ne serait-ce qu’une distribution de tracts sur un marché », fait-elle valoir. Les conditions de campagne sont « anormales » et il y a beaucoup « d’empêchements », observe-t-elle. Par ailleurs, cette « grande hésitation » provoque une situation « inacceptable » : « La transformation de la prime au sortant en une espèce de sauf-conduit pour une réélection. Quand un sortant n’en finit pas de sortir… Les sortants font des tournées de rock stars ! », dénonce-t-elle. Elle identifie donc une « rupture d’égalité flagrante entre les challengers et les sortants » et un facteur de « démobilisation » supplémentaire pour les petits candidats. Pour contrer ces difficultés, elle travaille en ce moment même à des « mesures législatives adéquates ».

« N’essayons pas d’échafauder des polémiques politiciennes ! »

A gauche, la présidente du groupe communiste Éliane Assassi s’en tient au calendrier jusqu’ici convenu. « Il y a la clause de revoyure. Si la décision est prise qu’il faut reculer, dont acte », convient-elle, rappelant le caractère obligatoire d’une nouvelle loi de report. « Je ne suis pas médecin. Si le Conseil scientifique dit qu’il faut déplacer la date, on déplace », insiste-t-elle. La communiste, membre de la commission des lois note tout de même un « souci » en cas de report : « Si elles sont reportées après la présidentielle, cela pose une question démocratique. Et si c’est maintenu en juin, avec le nouveau confinement jusqu’à la mi-avril, le temps de la campagne va être très court… » Elle refuse en tout cas d’y voir une motivation politique. « La situation est assez grave. N’essayons pas d’échafauder des polémiques politiciennes ! »

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