« Où vais-je aller faire mes courses ? » : le couvre-feu à 18 heures, nouveau coup dur pour les commerçants

« Où vais-je aller faire mes courses ? » : le couvre-feu à 18 heures, nouveau coup dur pour les commerçants

L’abaissement généralisé du couvre-feu inquiète les enseignes qui affirment réaliser une grande partie de leur chiffre d’affaires en début de soirée. La simplification du travail le dimanche est à l’étude.
Public Sénat

Par Pierre Maurer

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Baisser le rideau deux heures plus tôt. C’est la consigne adressée aux commerçants par le gouvernement jeudi soir. En généralisant l’abaissement du couvre-feu de 20 heures à 18 heures sur l’ensemble du territoire à partir de ce samedi, l’exécutif contraint tous les établissements recevant du public, commerces en tête, à fermer leurs portes aux heures de sorties des bureaux. Une nouvelle gageure pour un secteur déjà touché de plein fouet par les deux derniers confinements. Au Sénat, les renforcements de restrictions successifs enclenchent la même réponse désabusée au fil des semaines. « C’est un nouveau coup dur pour les commerçants », souffle le communiste Fabien Gay (CRCE). La sénatrice Sophie Primas (Les Républicains) y voit un « coup difficile, à quelques jours d’une date qu’on avait choisie pour repousser les soldes ». Son collègue Serge Babary (LR), lui, se range à la réaction de la CPME (confédérations des petites et moyennes entreprises) : « Une mauvaise nouvelle ».

Membre de la commission des affaires économiques, ce dernier admet que les décisions sanitaires du gouvernement ne sont pas faciles à prendre. Mais le couvre-feu à 18 heures, c’est « une mesure nationale qui s’appuie sur pas grand-chose ». D’autant plus inopérants selon lui, que « ceux qui ne respectaient pas le couvre-feu à 20 heures ne vont pas le respecter à 18 heures ». Et puis, « qu’est-ce que ça va amener de plus le couvre-feu à 18 heures ? L’argumentaire est trop léger ». Présidente de la commission des affaires économiques, Sophie Primas ne veut pas « accabler » le gouvernement, mais exprime tout de même ses doutes. « Est-ce que c’est une bonne ou mauvaise décision ? Tout ce que l’on voit c’est qu’on est sûrs de rien ». Quant à l’absence d’une date de réouverture normale, elle approuve pour une fois la prudence de l’exécutif. « C’est très inconfortable mais je préfère un gouvernement qui dit’je ne sais pas quand ce sera terminé’plutôt que de laisser espérer. Donner une date, c’est toujours une déception ». La sénatrice (LR) Céline Boulay-Espéronnier a, elle, décidé d’écrire au ministre délégué aux PME, Alain Griset :

’'État a par ailleurs annoncé la prolongation des aides mises en place et continuer à prendre en charge 10 0% de la rémunération versée aux salariés.

« Effet entonnoir » amplifié

Sur l’aspect économique, Serge Babary estime qu’avec une amplitude horaire réduite, « on aura des effets entonnoirs renforcés dans les magasins », et ne croit pas que les gens qui travaillent, vont faire leurs courses plus tôt. « Ça va être une concentration de clients le midi, en fin d’après-midi. D’autant qu’en grande surface, on sait que le contrôle de la jauge de 8 m2 se fait très peu. Il n’y a pas assez d’agents de contrôle », souligne-t-il. Les magasins sont soumis à une jauge réduite depuis le 28 novembre, d’une personne pour 8 m². À ses yeux, la situation des salariés est préoccupante. « Le problème, ce sont les conditions dans lesquelles ils vont être exposés… Notamment dans les petits commerces d’alimentation qui vont être pris d’assaut et où il n’y a pas d’agents de contrôle de la jauge. » En effet, seuls les commerces de plus de 400 m2 ont l’obligation d’avoir un employé à l’entrée de leurs magasins pour compter les clients. Fabien Gay attire également l’attention sur les nouvelles contraintes organisationnelles que l’abaissement du couvre-feu engendre pour les employés. « 18 heures, cela veut dire que les salariés vont devoir débaucher à 16 h 30 pour aller chercher les enfants à la crèche. Ça demande une nouvelle organisation de vie. Ce sont des questions qui ne sont pas faciles à mettre en place d’un coup de cuillère à pot… »

Quel secteur sera le plus touché ? « C’est l’alimentaire », rétorque Serge Babary. Puis il s’interroge : « Quand je sors du Sénat, où vais-je aller faire mes courses ? » Les grandes surfaces alimentaires considèrent que la nouvelle mesure pénalisera les « 30 % du chiffre d’affaires qui se font après 17 heures. » Les enseignes de l’habillement, quant à elle, « réalisent jusqu’à 20 % de leur chiffre d’affaires au-delà de 18 heures », a affirmé Yohann Petiot, directeur général de l’Alliance du commerce, au Monde. « Depuis le début de la crise, les magasins d’habillement ont accumulé du stock et espéraient se rattraper sur les soldes. Là, ils se rendent comptent que l’on ne va rien faire », regrette Sophie Primas.

Simplifier l’ouverture des commerces le dimanche ?

Pour tenter de compenser les pertes, Jean Castex a appelé les commerçants à « se saisir des possibilités d’ouverture supplémentaires sur la pause déjeuner » qui existent « dans la plupart des départements », dans le but d’éviter les concentrations de clients aux heures ouvrables. « Des dérogations permettant l’ouverture des commerces le dimanche ont également été accordées par certaines collectivités locales suite aux concertations menées par les préfets », a ajouté le premier ministre. « J’invite, là aussi, les commerçants à s’en saisir. » Ce vendredi matin le directeur général de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD), Jacques Creyssel, a indiqué sur BFM Business avoir « demandé au gouvernement de libéraliser totalement l’ouverture des magasins le dimanche pour ceux qui le souhaitent ». Selon la FCD, le dimanche permettrait « du point de vue sanitaire et économique de compenser » les nouvelles mesures restrictives annoncées, comme « d’étaler les flux de clients ». Sophie Primas y est très favorable. « Je souhaiterais qu’on ait au moins de la flexibilité, et qu’on autorise ces commerçants à ouvrir le dimanche. J’ai toujours milité pour qu’on puisse augmenter les plages horaires. Car on risque l’augmentation des effets de masse », argue la sénatrice des Yvelines.

À l’inverse, Fabien Gay est totalement opposé à une telle mesure. « Le travail du dimanche pour mon groupe, c’est non. » Et puis, « à chaque fois qu’on prend une mesure d’exception pendant la crise, elle finit par être inscrite dans le droit commun », redoute-t-il. « Je ne suis pas sûr que rattraper la perte le dimanche soit vraiment efficace. Il faut quand même qu’il y ait un jour de repos pour les salariés ! » Si la mesure venait à être simplifiée et étendue, il rappelle qu’il faut que le travail le dimanche soit fait sur la base d’un volontariat réel. « Et pas du volontariat subi ! Ce qui est trop souvent le cas… », déplore-t-il. Mais peu importe. Simplifier le travail le dimanche, « c’est donner aux commerçants l’illusion de les aider », estime-t-il.

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