Ouverture du procès Guérini, affaire tentaculaire

Ouverture du procès Guérini, affaire tentaculaire

Le sénateur des Bouches-du-Rhône et ancien président (ex-PS) du département, Jean-Noël Guérini, est suspecté d’avoir voulu favoriser son frère Alexandre dans l’obtention du marché public d’une décharge, à La Ciotat. Il comparaît pour « prise illégale d’intérêts ».
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Une décennie d’enquête, trois juges d’instruction, un total de 12 prévenus et des centaines d’heures d’écoutes téléphoniques, 150 personnes auditionnées, 31 gardes à vue… Ce lundi s’est ouvert à Marseille le procès Guérini. Une affaire tentaculaire impliquant Jean-Noël Guérini, sénateur des Bouches-du-Rhône, et son frère Alexandre.

Jean-Noël Guérini risque cinq ans de prison et 500.000 euros d’amende

L’ancien homme fort du département des Bouches-du-Rhône, qu’il a dirigé de 1998 à 2015 quand il était au PS, comparaît pour « prise illégale d’intérêts ». Il risque cinq ans de prison, 500.000 euros d’amende et une éventuelle peine d’inéligibilité. Les chefs d'« association de malfaiteurs » et de « trafic d’influence » n’ont finalement pas été retenus à l’encontre de Jean-Noël Guérini. Les agissements concernés par ce dossier, parti d’une dénonciation anonyme en février 2009, s’étalent de 1999 à 2011. Quelque 13 millions d’euros ont été saisis sur des comptes en France, au Luxembourg et en Suisse.

C’est l’affaire de la décharge du Mentaure, qui est au cœur du dossier. La justice reproche au sénateur d’avoir favorisé son frère cadet, Alexandre Guerini, 64 ans, quand il dirigeait le département. La collectivité a ainsi préempté, en 2004, un terrain à La Ciotat, ville membre de la métropole marseillaise. Raison officielle : protéger une plante vivace locale, le liseron duveteux. Mais deux ans plus tard, le terrain est cédé à la communauté d’agglomération Garlaban-Huveaune-Sainte-Baume, qui entendait l’utiliser pour étendre son centre d’enfouissement des ordures. Or c’est la société SMA Environnement, dirigée alors par un certain Alexandre Guérini, qui se voit attribuer le marché public portant sur l’aménagement et l’exploitation de ce terrain utilisé comme centre d’enfouissement des déchets ménagers. Alexandre Guérini, homme clef du dossier, encourt pour sa part dix ans de prison, 750.000 euros d’amende.

« Dévoiement généralisé de la chose publique », « procédés de type mafieux »

Selon l’ordonnance de renvoi du juge d’instruction du 22 janvier 2020, que se sont procurés notamment France 3 PACA et 20 minutes, « c’est un dévoiement généralisé de la chose publique au service d’intérêts économiques privés, outre une confusion permanente dans la définition des priorités devant présider au fonctionnement des collectivités publiques et des entreprises privées ». La préemption du terrain s’est effectuée « alors qu’il savait que cette cession allait profiter à son frère Alexandre Guérini », selon le juge d’instruction. Au passage, le juge estime que « la convocation du liseron duveteux dans cette procédure constitue au mieux un simple alibi ».

Mais les mots du juge d’instruction, Fabrice Naudé, vont plus loin. Il précise aussi que « des comportements ou des méthodes présentant les caractéristiques de procédés de type mafieux […] ont pu être ponctuellement mis en évidence, qu’il s’agisse du recours à des actes de soumission, d’intimidation, voire à une forme d’omerta, aux fins d’acquérir directement ou indirectement la gestion ou le contrôle d’activités économiques ou de marchés publics, de réaliser des profits indus ou encore de fausser le jeu d’élections en s’assurant des votes futurs ». Pour sa part, le parquet avait fustigé « un système clientéliste ».

L’affaire n’a pas empêché Jean-Noël Guerini, membre du groupe RDSE au Sénat, d’être réélu sénateur en septembre 2020, avec son parti La force du 13. Ce qui montre que l’implantation de l’ancien homme fort du PS dans les Bouches-du-Rhône, et surtout son poids local, sont toujours une réalité.

« Toute ma vie, j’ai été d’une droiture exemplaire » assure Jean-Noël Guérini

Pour sa défense, Jean-Noël Guérini avait estimé en janvier 2020 avoir été « conspué, diffamé, traité de voyou, de mafieux ». Il nie avoir « jamais mis son pouvoir au service de son frère ». « Toute ma vie, j’ai été d’une droiture exemplaire », a lancé lundi matin, à l’ouverture du procès, Jean-Noël Guérini. La défense du sénateur, Maitre Dominique Mattei, a plaidé la prescription des faits reprochés. Il souligne que la décision de préempter le terrain date du 22 novembre 2004, soit plus de trois ans, au-delà de la durée de la prescription, avant l’ouverture de l’enquête en février 2009. Le juge d’instruction s’est lui basé sur une seconde délibération datant de juin 2006 sur la vente du terrain, fait qui n’est pour le coup, pas prescrit.

Alexandre Guérini a soutenu de son côté que son frère « n’était pas informé » des « interventions » qu’il effectuait « de manière totalement désintéressée ». Les magistrats vont décortiquer jusqu’au 9 avril les dix volets de ce dossier aux multiples ramifications.

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