Paroles de caissières

Paroles de caissières

Elles aussi sont en premières lignes. Presque en tenue de combat. Gantées, masquées. Devant elles, un fragile plexiglas tente aussi de faire obstacle au Covid. A l'« Intermarché » de Brionne (Eure), les hôtesses de caisses font face au virus et - trop souvent encore - à la mauvaise humeur des clients. Pierre-Henri Gergonne nous chronique chaque semaine l'histoire de cette petite ville où la vie s'est figée.
Public Sénat

Par Pierre-Henri Gergonne

Temps de lecture :

5 min

Publié le

Vie Figée Chronique

« On est venu. On n’a pas reculé et on a continué à travailler ». Il y a dans le regard de Sylvie la responsable presse du magasin et caissière « à l'occasion » quelque chose de cette détermination qui soulève parfois des montagnes. Une détermination partagée par ses collègues caissières. Dès le début de l'épidémie, tout le monde a bien réagi » poursuit-elle.

sylvie_on_est_meritant_on_na_pas_recule.jpg
Sylvie : « On est méritant, on n’a pas reculé »

Il a fallu bien sûr s'adapter et vite dans des conditions où le pragmatisme garantissait souvent l'efficacité. « C'est vrai, il n'y a pas eu de réticence majeure même si au début c'était compliqué, insiste Bruno Anselme, le directeur cette « moyenne surface » normande. Tout de suite, les caisses ont été considérées comme les zones les plus sensibles du magasin ».  Affichage, marquage au sol de distance de sécurité et équipement des caissières, en quelques jours l'essentiel était mis en place. Les stocks de gants étaient suffisants et le groupement Intermarché a assuré l'approvisionnement en masques. D'abord des FFP2 puis des masques chirurgicaux.

« Mais les premiers étaient pénibles à porter et c'était compliqué pour les employés, précise Bruno Anselme. Les masques chirurgicaux sont plus aisés à porter. On respire mieux ». Aujourd'hui les règles d'hygiène et sanitaires semblent satisfaisantes « même si le panneau de plexiglas est un peu court » et que selon les jours les hôtesses achètent elles-mêmes leurs flacons de gel hydroalcoolique. Un état des lieux partagés par les intéressées.

bruno_anselme_je_suis_fier_de_mes_equipes_et_de_mon_personnel.jpg
Bruno Anselme : « Je suis fier de mes équipes et de mon personnel »


« Nous sommes méritants même si on est des petits »

Dans ces conditions, après un mois de confinement et de conditions de travail aussi inédites que difficiles, les propos d'Emmanuel Macron mettant en avant dans sa récente intervention l'abnégation des caissières dans les commerces a fait chaud au cœur dans les rayonnages brionnais. « J'ai été surprise réagit Sylvie qui a regardé le Président de la République. Ça m'a fait plaisir. Il y a évidemment les personnels soignants, mais nous aussi nous sommes méritants même si on est des petits ».

Même tonalité dans la bouche d'Aurélie, elle aussi caissière. « Oui ça fait du bien de se sentir un peu valorisée, dit-elle. Si on n’était pas là, les clients ne pourraient plus s'alimenter. Et après tout, la nourriture est aussi une sorte de médicament ».

aurelie_il_y_a_aussi_des_marques_dattention_qui_font_chaud_au_coeur.jpg
Aurélie : « Il y a aussi des marques d'attention qui font chaud au cœur »

Charlène, elle aussi se réjouit de cette nouvelle reconnaissance. « On était un peu mises de côté, dit dans un sourire cette jeune étudiante désormais « à plein temps » derrière sa caisse. Alors oui les propos du Président font plaisir ». Mais qu'en attendre ? A cette question, un certain fatalisme teinté d'un vrai scepticisme reprend le dessus. « On aimerait bien croire que ces discours débouchent sur quelque chose. Mais on n’y croit pas, soupire Sylvie la responsable des caisses du magasin. On est blasé ».

Son homonyme du rayon presse espère quand même plus de reconnaissance, c'est à dire une rémunération supplémentaire via peut-être des ajustements sur l'ancienneté ou les grilles d'échelons de salaires. « Nous sommes au Smic » rappelle-t-elle. « Il y aura une prime », indique le directeur.

L’agressivité de certains clients qui ne retombe pas

Pour l'heure, le quotidien de l'Intermarché de Brionne s'est réglé sur le rythme du confinement. Il y a moins de passage en caisse. Entre 600 et 800 par jour contre largement plus de 1 000 avant l'épidémie.

Des chiffres trompeurs qui reflètent mal une « ambiance anxiogène » que décrit Aurèlie. « Les clients sont nerveux, ils ne respectent pas forcément les règles, explique la caissière. Et cette situation s'aggrave. Il est temps que ça se termine ». Mêmes remarques chez Charlène : « le regard des clients n'a pas changé contrairement à ce que j'aurais pu croire. Il y a une agressivité croissante. Peut-être la conséquence d'un confinement qui dure ».

supermarches_des_clients_parfois_difficile_a_gerer.jpg
Des clients parfois difficile à gérer.

« Il y a des comportements difficiles à gérer » admet laconique Bruno Anselme. Depuis peu, une étiquette collée à l'entrée de chaque caisse intime aux clients plus de respect à l'égard des hôtesses de caisses tout en les invitant à plus d'amabilité et de courtoisie…

je_suis_hotesse_de_caisse_respectez-moi.jpg

Dans ces conditions, « les nerfs des collègues commencent à lâcher. Le stress existe déjà à la maison, explique Aurélie, mère de 3 enfants, et je n'ai pas envie d'y importer celui du travail ». Alors parfois, la caissière de Brionne de retour chez elle le soir s'arrête quelques minutes dans la forêt toute proche. Pour y hurler seule son trop-plein d'angoisses.

CARTE BRIONNE (EURE)
Brionne (Eure)

Dans la même thématique

Majorité numérique à 15 ans : « La problématique, c’est le système pour vérifier l’âge »
5min

Société

Majorité numérique à 15 ans : « La problématique, c’est le système pour vérifier l’âge »

Dans son discours sur l’Europe à la Sorbonne, Emmanuel Macron a appelé à reprendre le contrôle sur les contenus en ligne et à protéger la jeunesse des contenus dangereux. Pour Olivia Tambou, maître de conférences, la clé d’une telle réglementation au niveau européen réside dans la vérification de l’âge. La sénatrice Catherine Morin-Desailly appelle à une réflexion plus globale sur les usages et la formation.

Le

Police operation de lutte contre les depots sauvages a Nice
5min

Société

Couvre-feu pour les mineurs : quel pouvoir pour les maires ?

La décision de Gérald Darmanin d’instaurer un couvre-feu pour les mineurs en Guadeloupe inspire les maires de métropole. À Béziers, la mesure est en vigueur depuis lundi. À Nice, Christian Estrosi songe aussi à la mettre en place. Dans quelle mesure les maires peuvent-ils restreindre la liberté de circuler ?

Le

Manifestation contre les violences sur les mineurs, Toulouse
4min

Société

Relaxe d’un homme accusé de violences familiales : le droit de correction invoqué par les juges est « contraire à la loi »

Ce 18 avril, la cour d’appel de Metz a relaxé un policier condamné en première instance pour des faits de violences sur ses enfants et sa compagne. Dans leur arrêt, les juges ont indiqué qu’un « droit de correction est reconnu aux parents ». Une décision qui indigne la sénatrice Marie-Pierre de la Gontrie, rapporteure d’une proposition de loi qui interdit les « violences éducatives » depuis 2019.

Le