Passe vaccinal : les points de tension du projet de loi

Passe vaccinal : les points de tension du projet de loi

Le Conseil d’Etat a rendu son avis sur le projet de loi instaurant le passe vaccinal, lundi. La plus haute juridiction administrative valide la possibilité pour les professionnels des établissements recevant du public de demander une pièce d’identité « en cas de doute » lors du contrôle du passe vaccinal. Serge Slama, professeur en droit public à l’Université Grenoble-Alpes, éclaire les points sensibles du texte. 
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Par Héléna Berkaoui

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Après avoir franchi le seuil des 100 000 cas le jour de Noël, la France enregistre un nouveau record de contaminations au Covid avec 200 000 nouveaux cas sur les dernières 24 heures. Fulgurante, la propagation du variant Omicron a poussé le gouvernement à prendre une série de mesures sanitaires, dont l’instauration du passe vaccinal qui fait l’objet d’un projet de loi examiné en ce moment même à l’Assemblée nationale.

Ce texte a été validé par le Conseil d’Etat, lundi. Si la plus haute juridiction administrative valide l’ensemble du projet, elle suggère une modification concernant le certificat de rétablissement. « Les personnes contaminées ne peuvent pas se vacciner avant deux ou trois mois », rappelle également le professeur de droit public, Serge Slama. Il s’agira donc d’admettre le certificat de rétablissement « par dérogation et dans des conditions définies par décret », comme un substitut du justificatif de statut vaccinal.

Le Conseil d’Etat propose aussi de maintenir le passe sanitaire dans le cadre des déplacements « pour des motifs impérieux de nature familiale ou de santé » afin de prévenir toute atteinte à la liberté de circuler ainsi qu’au droit au respect de la vie privée et familiale.

Les débats attendus lors de l’examen du texte

Le projet de loi comporte, par ailleurs, un certain nombre de mesures, dont certaines constituent de forts points d’attention au Sénat. C’est notamment le cas de la possibilité pour les professionnels des établissements recevant du public de vérifier l’identité de leurs clients en cas de doute sur l’authenticité du passe vaccinal. Une mesure qui fait déjà débat.

« Il faudra que le gouvernement argumente beaucoup s’il veut me convaincre », prévient Philippe Bas, pressenti pour être le rapporteur du texte au Sénat. En juillet dernier, l’exécutif avait déjà essayé de faire passer une mesure plus large (contrôles systématiques d’identité) et y a renoncé en raison de l’opposition des restaurateurs.

Lire aussi. Passe vaccinal : le président de la République fait « un choix attentiste et un pari optimiste », juge Philippe Bas (LR)

« En l’état du texte, cette disposition paraît conforme aux exigences du Conseil constitutionnel », affirme le professeur de droit public, Serge Slama. Cette vérification d’identité risque, toutefois, de se heurter à l’acceptabilité du public et des professionnels. Contrairement à un contrôle de police, il reste possible de se soustraire à cette vérification avec pour conséquence de ne pas accéder aux lieux soumis au passe vaccinal.

Un des points d’interrogation soulevé par le vice-président de la commission des Lois, Philippe Bonnecarrère, est que cette vérification aléatoire interviendra « en cas de doute » sur l’authenticité du passe (lire ici). « S’il y a bien une notion qui n’est pas définie en droit, c’est le doute », s’étonnait le sénateur. Mais pour le professeur de droit public, Serge Slama, le caractère non-systématique de cette vérification permet justement de rester dans les clous au regard de l’article 12 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen.

« Je pense que le Conseil constitutionnel va valider le principe, en revanche il refusera le caractère systématique et le caractère discriminatoire de la vérification »

« Je pense que le Conseil constitutionnel va valider le principe, en revanche il refusera le caractère systématique et discriminatoire de la vérification », indique Serge Slama tout en soulignant que le caractère discriminatoire de ces vérifications restera difficile à prouver.

Cette disposition est destinée à lutter contre les fraudes, le ministère de l’Intérieur dénombrait, le 20 décembre, 182 000 faux passes sanitaires depuis l’instauration du dispositif cet été. Le texte prévoit un renforcement des sanctions. L’amende forfaitaire en cas de fraude passerait de 135 euros à 1 000 euros dès la première infraction.

Comme le remarque le site Next impact, les mesures vont aussi se durcir pour les personnes « faisant l’objet des mesures de mise en quarantaine ou de placement à l’isolement ». Il est ainsi prévu que les services préfectoraux puissent recevoir des données à caractère personnel afin d’assurer le suivi et le contrôle du respect de ces mesures de placement.

Inciter à la vaccination : le changement de paradigme du Conseil d’Etat

Serge Slama relève un autre point du projet de loi qui devrait donner lieu à d’intenses débats : le cumul des justificatifs. Ce dispositif, déjà appliqué en Allemagne, prévoit la présentation d’un test négatif en plus du certificat de vaccination pour accéder à certains lieux.

En se penchant sur l’avis du Conseil d’Etat, Serge Slama remarque que les hauts fonctionnaires du Palais Royal estiment désormais explicitement que « la fonction du passe est d’inciter à la vaccination. Le Conseil d’Etat reconnaît que c’est un objectif indirect et estime que c’est proportionné ». Jusqu’alors, ils se bornaient à considérer le passe comme « un instrument de lutte contre l’épidémie ». Une nuance qui ne doit pas être prise à la légère « alors même que le gouvernement a renoncé à l’obligation vaccinale ».

« C’est tout de même la première fois qu’on va refuser à plus de 5 millions de Français l’accès à de nombreux lieux »

« C’est tout de même la première fois qu’on va refuser à plus de 5 millions de Français l’accès à de nombreux lieux, activités ou établissements parce qu’ils ne sont pas vaccinés, au risque de les transformer en parias », souligne le professeur de droit public.

La méthode de gestion de la crise sanitaire par le gouvernement l’interroge à plus d’un titre. « Aujourd’hui, on ne sait pas ce qui relève de l’état d’urgence sanitaire et ce qui relève du droit commun. Formellement, on est sorti de l’état d’urgence en Métropole mais le brouillage est total », pointe Serge Slama.

La prolongation et le renforcement du passe sont, pour lui, symptomatiques de la situation dans laquelle on se trouve, où l’exception devient la norme. On va durablement avoir ces mécanismes dans le droit commun ». Comme une partie de l’opposition – au Parti socialiste notamment – Serge Slama est favorable à l’obligation vaccinale.

L’obligation aurait permis de s’épargner des « politiques à la petite semaine », juge-t-il. A la place, « ils avancent subrepticement et, à chaque fois, démentent leur propre parole. Comment s’étonner que les gens n’aient plus confiance dans la parole des pouvoirs publics », lance Serge Slama, rappelant les contradictions de l’exécutif sur les masques ou le vaccin.

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