Pénurie de médicaments : quand le Sénat pointait « la perte d’indépendance sanitaire française »

Pénurie de médicaments : quand le Sénat pointait « la perte d’indépendance sanitaire française »

La Ligue contre le cancer tire la sonnette d’alarme face à l’aggravation de la pénurie de médicaments. Un phénomène qui s’est aggravé avec la période de confinement. En 2018, une mission d’information du Sénat incitait déjà à « recréer les conditions d’une production pharmaceutique de proximité ».
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« Il y a eu des choix (de fait) dans les personnes à soigner en priorité (…) Et on a des témoignages de personnes qui ont vu leur opération repoussée notamment à cause de problèmes de stock de curare » alertait la semaine dernière, Emmanuel Jammes, délégué à la mission société et politique de santé de la ligue contre le cancer, devant la commission d’enquête du Sénat, sur la gestion de la crise de la Covid-19.

Ce lundi, la ligue contre le cancer lance une campagne de mobilisation face à l’aggravation de la pénurie de médicaments. Afin de centraliser les témoignages des malades, l’association a créé le site Internet « penueries.ligue.cancer.net ». En plus de cette collecte de « cahiers de doléances électroniques », elle lance également une campagne d'affichage : « Cher patient, pour votre médicament, merci de patienter ».

"Il y a eu plus de 1 500 signalements de ruptures d’approvisionnement en 2019" indique la Ligue contre le cander devant le Sénat
02:22

1 500 signalements de ruptures d’approvisionnement en 2019

Si ce phénomène s’est aggravé avec la crise de la Covid-19, il remonte à beaucoup plus loin. « C’est quelque chose que l’on sait depuis des années (…) La ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament) trace depuis 10 ans les problèmes de stocks et les difficultés d’approvisionnement de certains médicaments. Le nombre a été multiplié par 34 depuis 10 ans (…) Il y a eu plus de 1 500 signalements de ruptures d’approvisionnement en 2019. Et c’est un chiffre qui sera en augmentation en 2020 » a exposé Emmanuel Jammes.

C'est « un fléau silencieux qui s'aggrave d'année en année qui a pu s'aggraver avec l'épidémie de Covid-19, mais « en aucun cas n'a été créé par la Covid » (…) « Il s'agit « vraiment (d') un problème qui est lié à la structure économique du marché du médicament », et qui concerne des « médicaments indispensables », essentiellement des génériques, très peu chers confirme à l’AFP, Axel Kahn le président de la ligue contre le cancer.

Pour René-Paul Savary, vice-président LR de la commission d’enquête sénatoriale, les défauts d’approvisionnement de certains médicaments ont des conséquences d’autant plus graves que la période de confinement a entraîné « des retards de dépistages et de prise en charge de certaines pathologies dont les cancers. Les spécialistes font face aujourd’hui à des pathologies beaucoup plus avancées » note-t-il (voir notre article). Raison pour laquelle, le sénateur plaide pour une relocalisation de la production de médicaments via une modification des politiques d’investissements des laboratoires.

En marge d'un comité exécutif du Conseil national de l'Industrie, interrogé sur capacité de la France à relocaliser certains biens stratégiques, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire, a estimé qu’on ne peu(vait) pas dépendre à 80% de la production de principes actifs en Asie ».

Les pistes du Sénat pour « recréer les conditions d’une production pharmaceutique de proximité »

En 2018, une mission d’information du Sénat faisait déjà état « d’une perte d’indépendance sanitaire française et européenne préoccupante ». « Près de 40 % des médicaments finis commercialisés dans l’Union européenne proviennent de pays tiers et 80 % des fabricants de substances pharmaceutiques actives utilisées pour des médicaments disponibles en Europe sont situés en dehors de l’Union ». En 2017, « 35 % des matières premières utilisées dans la fabrication des médicaments en France provenaient de trois pays : l’Inde, la Chine et les États-Unis » relevait la Haute assemblée.

La mission d’information du Sénat préconisait de « recréer les conditions d’une production pharmaceutique de proximité », en expérimentant « la mise en place d’exonérations fiscales ciblées au bénéfice d’entreprises s’engageant sur des investissements pour l’implantation en France de sites de production de médicaments ou de substances pharmaceutiques actives essentielles pour la sécurité sanitaire européenne » et en instituant « un programme public de production et distribution de quelques médicaments essentiels concernés par des arrêts de commercialisation, ou de médicaments « de niche » régulièrement exposés à des tensions d’approvisionnement ».

Le président PS de cette mission d’information, Yves Daudigny appelle aujourd’hui à, au moins, « faire respecter la loi qui impose des contraintes plus fortes aux laboratoires. Ce qui n’empêche pas de travailler sur la relocalisation des médicaments ».

Obligation de constituer un stock sous peine de sanction pour les industriels du médicament

En effet, l’article 48 du dernier projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) impose aux industriels une obligation de constituer jusqu'à quatre mois de stock de médicaments. Un cas de manquement, l’entreprise peut se voir infliger une sanction financière pouvant aller jusqu’à 30 % du chiffre d’affaires journalier moyen réalisé en France (…) pour le produit considéré. »

Les industriels du médicament (Leem) avaient alors jugé la mesure « incohérente ». « Cette mesure contraignante ferait peser un risque d'aggravation des ruptures si elle se cumulait avec de nouvelles baisses de prix des médicaments », avait jugé Frédéric Collet, président du Leem, dans un communiqué, en demandant en vain un moratoire sur la baisse des prix du médicament.

Devant la mission d’information du Sénat, le Leem avait reconnu « que l’absence d’attractivité d’un marché comme la France, dans lequel le prix des médicaments est inférieur à celui des autres États, est un facteur aggravant de la situation [de pénurie] car il n’incite pas au gonflement des stocks (…) « au regard d’autres pays, la France devient de moins en moins prioritaire pour les allocations imprévues, notamment en cas de tension d’approvisionnement. »

 

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